Article extrait du Plein droit n° 6, janvier 1989
« Les demandeurs d’asile »

Du droit au devoir d’asile

Gérard Soulier

 
Avant 1977, le droit d’asile ne se discutait guère sur la place publique. La question a été introduite dans le débat - et la polémique - politique à l’occasion, simultanément, de l’affaire Croissant et de la signature de la Convention anti- terroriste de Strasbourg. Mais ces deux affaires ne doivent pas masquer que le droit d’asile est, ou devrait être, d’abord une protection pour les millions de réfugiés que l’on compte aujourd’hui dans le monde.

Ressortissant ouest-allemant, Klaus Croissant était l’avocat de ce que l’on appelait « la bande à Baader ». Il fut extradé dans les minutes qui suivirent l’autorisation donnée par la Chambre d’accusation, alors qu’aucun acte matériel de violence n’était retenu contre lui, et bien qu’il eût expressément et publiquement demandé asile lors de son arrivée en France. Quant à la Convention de Strasbourg, si elle ne visait pas directement le problème de l’asile, son application pouvait, dans certains cas y porter atteinte [1].

Ces deux affaires ont eu le mérite de révéler qu’il existait une sensibilité vive à l’égard du droit d’asile. Cependant, la lumière jetée sur un aspect particulier du problème - l’interférence éventuelle avec la procédure d’extradition - a eu pour effet regrettable de conduire un bon nombre à confondre les deux problèmes, et de voiler ainsi ce qui est malgré tout l’essentiel : le sort des quelque douze millions de réfugiés que l’on dénombre actuellement dans le monde, sans compter les Palestiniens.

Le droit d’asile renvoie d’abord à cette réalité-là, même s’il ne coïncide pas tout à fait avec elle. Mais c’est cette réalité-là qui fait du droit d’asile un droit précieux entre tous. « Devant la persécution, dit la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, toute personne a droit de chercher asile ». Mais s’agit-il véritablement d’un droit au sens strict, ou simplement d’un droit moral fondé sur une philosophie humanitariste ? C’est une question d’effectivité. La Déclaration de 1948 consacre le droit de chercher asile, et non celui de l’obtenir.

Un droit précieux mais fragile

Le droit d’asile est un droit fragile, faiblement constitué sur le plan du droit, pour deux raisons principales : d’abord parce qu’il met en jeu la souveraineté de l’Etat ; ensuite parce qu’il est revendiqué par un individu en situation de particulière faiblesse, persécuté au sein de son propre Etat ou par son propre Etat. Pour l’essentiel, le demandeur d’asile cherche la protection d’un Etat pour échapper à l’emprise d’un autre Etat.

Voilà qui redouble la fragilité du droit d’asile : d’une part, le droit international reste essentiellement fondé sur le principe de la souveraineté (donc le bon vouloir) des Etats ; d’autre part, il est facile d’imaginer que l’Etat sollicité va évaluer les répercussions de son geste d’accueil sur ses relations avec l’Etat dont le demandeur est ressortissant.

De fait, en droit international géné- ral, il n’y a pas de norme générale obligatoire consacrant expressément le droit d’asile ; cela ne veut pas dire pour autant que le droit d’asile n’existe pas. Dans la pratique internationale, il peut prendre plusieurs formes. D’abord, ce que l’on appelle l’asile diplomatique, c’est-à-dire l’accueil dans un hôtel d’ambassade. Il s’agit d’une pratique bien connue en Amérique latine (en liaison avec cette autre « tradition » latino-américaine des « pronunciamientos ») [2].

L’asile territorial, lui, se traduit très littéralement par l’accueil accordé par un Etat sur son propre territoire à un étranger fuyant des persécutions. Il s’agit pleinement d’un acte de souveraineté. Comme tout charbonnier, l’Etat est maître chez lui. Il n’accueille qu’en fonction de l’appréciation qu’il porte sur le cas individuel, avec tous les risques d’arbitraire et d’opportunité inhérents à l’exercice de la souveraineté étatique lorsque n’existe aucune règle contraignante du droit international. Ainsi, aucun acte formel n’atteste l’asile ; de ce fait, en dehors des cas de personnalités bénéficiant d’une grande notoriété, il s’agit bien souvent d’une situation tacite et discrète. C’est dire que la condition de l’asilé est précaire et inconfortable. Elle l’est particulièrement lorsque la réglementation concernant les étrangers est exigeante en matière de titre de séjour ou d’accès au marché du travail. Double jeu de l’Etat qui, d’une part sait, mais d’autre part laisse les intéressés dans la condition juridique des « clandestins », ce qui est détesta- ble à tous égards.

C’est finalement cette absence de règles générales consistantes qui a déterminé l’adoption, à la suite de la deuxième guerre mondiale, de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Le texte initial ne visait que le continent européen. Son application dans l’espace a été étendue à la planète par le Protocole de Bellaggio du 31 jan- vier 1967.

La Convention de Genève...

Cette Convention a été ratifiée par 94 Etats, ce qui lui donne une exten- sion considérable. Cependant, aucun pays communiste (à l’exception de la Yougoslavie) ne l’a ratifiée. Les choses pourraient changer : très ré- cemment, la Hongrie a émis l’hypothèse d’une ratification, au regard du nombre de réfugiés de culture hongroise affluant de la Roumanie. Mais, pour l’heure, force est d’admettre que les règles fixées par la Convention de Genève n’ont pas une portée universelle. Cette Convention constitue néanmoins la base la plus solide d’un droit international des réfugiés, forme qui recouvre quantitativement l’es- sentiel des situations d’asile.

La Convention définit tout d’abord la qualité de réfugié. Il s’agit de « toute personne qui... craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenante à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays... »

Le terme de réfugié recouvre ainsi deux choses : d’une part, il y a la situation d’une personne qui a dû fuir son pays pour échapper à des dangers et cette situation doit être constatée (on dit que le statut est « recognitif », ce qui a des conséquences pratiques importantes, puisque le demandeur d’asile doit être traité comme un réfu- gié en puissance) ; d’autre part, la reconnaissance de cette situation détermine l’application d’un statut auquel s’attache un certain nombre de prérogatives d’ordre civil et d’ordre socio-économique (droits de la per- sonne, accès aux emplois lucratifs, protection sociale, etc...).

La protection comporte en outre des garanties en matière d’expulsion : elle ne peut avoir lieu que pour des raisons de sécurité nationale ou d’or- dre public ; elle est exclue en direction d’un pays présentant pour le réfugié un danger pour sa vie ou sa liberté. On n’oubliera pas la très déshonorante expulsion de France, le 7 décembre 1987, de réfugiés (d’origine iranienne et turque) sous statut, qui souleva une très vive indignation dans le monde, et conduisit le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés à demander des explications au gouver- nement français (démarche habituel- lement pratiquée auprès des dictatu- res et, pour la première fois, auprès d’un pays démocratique), explications qui furent jugées non satisfaisantes. Fragilité décidément avérée du droit d’asile.

...et son application

Convention quelquefois malmenée, on vient de le voir, mais aussi Con- vention dont l’interprétation est par- fois délicate et dont l’application laisse place à des difficultés. Notamment, la Convention n’associe pas à la recon- naissance de la qualité de réfugié la délivrance d’un titre de séjour. A la lettre du texte, un Etat peut reconnaî- tre qu’une personne a vocation à bé- néficier du statut, et cependant ne pas l’accueillir sur son territoire. Seule chose certaine : il ne pourrait pas le refouler ou l’expulser vers un Etat où sa vie ou sa liberté seraient menacées. C’est par là que s’expliquent un cer- tain nombre de difficultés que rencon- trent les demandeurs d’asile à la frontière, les Etats ne renonçant pas à une interprétation rigoureuse de leur souveraineté territoriale.

Autre limite : chaque Etat aménage comme il l’entend les mécanismes par lesquels il reconnaît à une personne la qualité de réfugié et l’accueille sur son territoire. Suivant les pays, la compétence est dévolue au ministère des Affaires étrangères, au ministère de l’Intérieur ou au ministère de l’Immigration. En ce qui concerne la France, la mise en oeuvre de la Con- vention de Genève a été réalisée par une loi du 25 juillet 1952 et un décret du 2 mars 1953. Ces deux textes créent et organisent un organisme autonome placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, mais doué d’une réelle indépendance statutaire, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).

Le demandeur d’asile dépose un dossier à l’OFPRA dans lequel il ex- pose sa situation. L’OFPRA dispose d’un délai de quatre mois pour exa- miner le dossier et rendre réponse, le silence valant rejet. Dans cette hypo- thèse, l’intéressé dispose d’un délai d’un mois pour présenter un recours, à caractère juridictionnel, devant une commission de recours au sein de laquelle siège, fait remarquable, un représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (H.C.R.), organisme international. La compétence de l’OFPRA ne se limite pas à la reconnaissance de la qualité de réfugié. La loi de 1952 lui donne également mission d’exercer « la protection juridique et administrative des réfugiés ». A ce titre, il peut, en particulier, délivrer aux réfugiés des certificats tenant lieu d’actes d’état- civil.

Dans son économie générale, ce système est relativement satisfaisant. Cependant, son fonctionnement laisse aujourd’hui à désirer. En raison d’abord du manque de moyens : ainsi, les délais ne sont-ils pas tenus et l’at- tente d’une réponse définitive est de plus en plus longue. Plus grave en- core, le contexte politique est depuis quelques années peu favorable, pour ne pas dire hostile, aux réfugiés.

Un contexte de plus en plus hostile

En 1983 et 1984, une campagne de dénigrement avait été méthodique- ment menée dans certains journaux où l’on accusait sans preuve, ou avec des données chiffrées totalement fausses ou falsifiées, les réfugiés et les demandeurs d’asile d’être tantôt des terroristes, tantôt un ramassis de pillards et de fraudeurs venus dilapi- der l’aide sociale.

Une telle campagne ne peut évi- demment être dissociée du dévelop- pement d’un courant raciste et xéno- phobe. Même dans des secteurs de l’opinion non extrémiste, on en est venu à opposer « vrais » et « faux » ré- fugiés, les « vrais » étant ceux qui ar- rivent en France avec un visa d’éta- blissement obtenu dans une représen- tation diplomatique française, les « faux » devant être recherchés parmi ceux qui se présentent inopinément à la frontière.

Ainsi, sous divers gouvernements, a-t-on tenté de renforcer les pouvoirs de la police de l’air et des frontières, pour lui permettre d’effectuer un premier tri et d’éconduire ou de refou- ler les réfugiés présumés faux. Toute réglementation de ce genre est évi- demment inacceptable au regard de la loi qui donne à l’OFPRA et à lui seul compétence pour reconnaître (ou re- fuser) la qualité de réfugié. Combat incessant.

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L’image que l’on se fait générale- ment de l’asile est celle d’un lieu : un abri, un refuge où le persécuté trouve sinon la paix, du moins un répit. Dans la réalité, il s’agit plutôt d’un chemin, long, souvent périlleux, toujours éprouvant. Toucher au port n’est pas trouver la paix : il y a ensuite le long dédale de la procédure, de l’installa- tion, du logement et du travail qu’il faut trouver, la très lente adaptation à un univers différent. Pour peu que l’on s’y prête, la paix peut venir. Pour peu que l’on ne s’y prête pas, c’est toujours l’épreuve. Le droit d’asile ne trouve décidément sa consistance que si les Etats qui le reconnaissent assu- ment pleinement leur devoir d’asile.




Notes

[1Ainsi que l’avait reconnu, à l’époque de sa signature, le Directeur des affaires juridiques du Conseil de l’Europe. Voir Le Monde, 18 novembre 1976. C’est pour s’opposer à la ratification de cette Convention que se constitua la Commission de Sauvegarde du Droit d’Asile (CSDA), qui réunit plusieurs dizaines d’organisations, et dont le secrétariat permanent est assuré par France Terre d’Asile, la Ligue des Droits de l’Homme, la CIMADE et le GISTI.

[2La Cour internationale de justice a été saisie une fois d’un problème d’asile diploma- tique dans l’affaire Haya de la Torre (arrêts du 20 novembre 1950 et 13 juin 1951). Il était notamment demandé à la Cour de dire si une coutume régionale existait en l’espèce : elle considéra qu’elle n’était pas établie. Cepen- dant la pratique existe. Variante de cette mo- dalité d’accueil : l’asile maritime (accueil sur un navire de guerre).


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Dernier ajout : lundi 17 mars 2014, 16:59
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