Article extrait du Plein droit n° 6, janvier 1989
« Les demandeurs d’asile »

RFA : de la dissuasion à la fermeture

Pendant plus de vingt ans, la République fédérale a accueilli très largement sur son territoire les réfugiés, dont la plupart provenaient des pays de l’Est. Depuis une dizaine d’années, cependant, une politique de plus en plus restrictive, tendant à décourager d’éventuels « candidats » à l’asile, s’est mise en place, au mépris bien souvent des droits les plus élémentaires des individus.

Le droit d’asile est, en Allemagne, un droit constitutionnellement garanti, puisque la Loi fondamentale dispose en son article 16, que « les personnes persécutées pour des raisons politiques jouissent du droit d’asile ». L’Allemagne est, d’autre part, signataire de la Convention de Genève.

Depuis la fin des années 1970, toutefois, on assiste à une dégradation progressive du droit d’asile : à l’instar des autres pays européens, mais avec plus de détermination et, souvent, de brutalité, la RFA a pris des mesures draconiennes pour freiner l’afflux des demandeurs d’asile, dont la majeure partie est désormais originaire du Tiers-Monde et non plus d’Europe. Cette politique restrictive n’a pas manqué d’avoir des répercussions sur l’attitude des pays voisins, qui, pour éviter que les candidats à l’asile refoulés d’Allemagne ne tentent leur chance chez eux, ont été incités à adopter à leur tour des mesures plus sévères.

La politique des autorités allemandes est d’abord fondée sur la dissuasion : en rendant les conditions de vie plus difficiles aux demandeurs d’asile, on espère décourager les candidats potentiels.

La loi du 18 juillet 1980 « sur l’accélération de la procédure d’asile » a ainsi interdit aux demandeurs d’asile de travailler pendant les deux premières années de leur séjour - interdiction qu’une loi récente, du 6 janvier 1987, a portée à cinq ans ! (cette durée étant ramenée à un an pour les personnes originaires d’Europe de l’Est) ; et à l’issue de ces années, l’autorisation de travailler n’est donnée que si la situation de l’emploi ne s’y oppose pas. Les demandeurs d’asile dépendent donc entièrement de l’aide publique ; or, aux termes de la loi fédérale du 1er juillet 1981 sur l’aide sociale, ils ne perçoivent plus l’intégralité de cette aide, mais une « aide à la survie », inférieure en moyenne de 20% aux prestations versées aux ressortissants allemands. Cette aide est accordée en priorité sous forme de vivres et de vêtements, ce qui renforce encore la dépendance des intéressés [1].

Mais ce n’est pas tout : dans le cadre de cette politique de dissuasion, la loi du 16 juillet 1982 sur la procédure d’asile a limité la liberté de mouvement des demandeurs d’asile, en prévoyant que, sauf exception, ils seraient logés dans des « logements communs ». En pratique, il s’agit le plus souvent de véritables camps, dont l’équipement et le confort, quoique variables d’un Land à l’autre, sont en général très insuffisants, surtout lorsqu’on sait que la durée de résidence dans ces camps peut atteindre plus de cinq ans [2]. De plus, les demandeurs n’ont pas le droit de quitter sans autorisation, même temporairement, le lieu de séjour auquel ils sont assignés.

Contrôle aux frontières

Mais les raisons qui poussent Turcs, Iraniens, Palestiniens, Libanais, Sri-Lankais, Pakistanais, Kurdes, Ghanéens et tant d’autres à chercher refuge en Europe sont trop impérieuses pour que la politique de dissuasion suffise à les décourager : le gouvernement allemand s’est donc efforcé, parallèlement, de renforcer les contrôles aux frontières. En 1980, le visa est devenu obligatoire pour les ressortissants d’un grand nombre d’États dont sont habituellement originaires les demandeurs d’asile, et cette obligation, progressivement étendue à d’autres nationalités, s’est doublée par la suite de l’obligation de détenir un visa de transit en cas d’escale sur le territoire fédéral. Même si cette obligation ne s’applique théoriquement pas aux demandeurs d’asile, en pratique on sait bien qu’elle constitue un obstacle important : car s’ils omettent ou s’il ne leur est pas donné l’occasion de faire immédiatement leur demande, ils tombent sous le coup de la loi commune et sont refoulés sur-le-champ.

Pour rendre plus effective encore l’obligation du visa, la loi sur le trafic aérien du 14 janvier 1981 a prévu que des amendes pourraient être infligées aux compagnies aériennes qui transporteraient des passagers démunis des visas requis. Le montant de l’amende encourue a été porté à 2000 DM en janvier 1987 ; et le transporteur est tenu de reconduire l’étranger dans son pays d’origine ou dans le pays de départ.

Les mesures de dissuasion et le renforcement des contrôles aux frontières ont montré à la fois leur efficacité et leurs limites. À chaque « tour de vis » supplémentaire on constate un abaissement du nombre des demandeurs d’asile, mais cet abaissement n’est que temporaire. Ainsi, les mesures prises en 1981 et 1982 ont permis de faire descendre la statistique des demandeurs d’asile du chiffre record de 107 818 en 1980 à 49 391 en 1981, 37 423 en 1982, et 19 737 en 1983. Pourtant, on assiste à une remontée spectaculaire du nombre des demandes à partir de l’année suivante : 35 278 en 1984, 73 832 en 1985, 99 650 en 1986, qui explique le renforcement du dispositif à partir de 1987.

Berlin : la fin du libre passage ?

Mais le talon d’Achille de cette politique de fermeture des frontières, c’est Berlin. Le passage de Berlin-Est à Berlin-Ouest est strictement contrôlé par la RDA, mais il est libre du côté occidental. Les candidats à l’asile peuvent donc débarquer à Schönefeld, l’aéroport de Berlin-Est, demander un visa de transit de 24 heures pour la RDA, et se rendre sans encombre à l’Ouest, par le métro. En 1986, 43 655 personnes auraient ainsi rejoint la RFA par Berlin-Ouest. Ceci ne peut se faire qu’avec l’assentiment tacite, sinon la complicité de la RDA : l’existence d’un véritable trafic organisé, depuis la Turquie notamment, contribue à remplir les avions de sa compagnie aérienne ; sur un plan plus politique, les autorités fédérales l’accusent de laisser faire pour obliger les Occidentaux à reconnaître la frontière entre les deux parties de Berlin.

En 1985, la RDA a accepté d’imposer aux Sri-Lankais au départ de Colombo un visa pour la RFA. Mais ce n’est que tout récemment qu’un accord a été passé entre les deux Allemagnes, aux termes duquel, à partir du 1er octobre 1986, les autorités est-allemandes n’autoriseront plus le transit qu’à des voyageurs munis d’un visa d’entrée dans le pays de destination. Le résultat de cet accord paraît spectaculaire : de 43 655, le nombre des entrées par Berlin est tombé en 1987 à 2 382.

Réfugiés ... ou tolérés

L’attitude restrictive de la République fédérale se manifeste enfin dans l’octroi de la qualité de réfugié. Les mesures dissuasives adoptées en vue de faire baisser le nombre des demandeurs d’asile n’ont pas entraîné, comme on aurait pu logiquement le penser, un taux plus élevé de satisfaction des demandes. Ce taux, qui varie beaucoup d’une année sur l’autre, s’est élevé exceptionnellement en 1985 à 33 % ; mais en 1987 il n’était plus que de 9,4 %, le taux moyen, entre 1979 et 1987, s’établissant autour de 15 %. Ces chiffres sont en tout état de cause très inférieurs à ceux que l’on observe dans les pays voisins. Ils ne tiennent pas compte, il est vrai, des 37 800 réfugiés d’Asie du Sud-Est que l’Allemagne fédérale a accueillis et qu’on a dispensés de la procédure de reconnaissance habituelle.

Tous les demandeurs d’asile auxquels la qualité de réfugié n’est pas reconnue ne sont pas pour autant expulsés. Les statistiques officielles estiment même à 220 000 le nombre des personnes qui, n’ayant pas demandé ou pas obtenu le statut, sont néanmoins admises à demeurer sur le territoire en raison de la situation qui règne dans leur pays. C’est notamment le cas de tous les réfugiés en provenance d’Europe de l’Est [3]. On arrive ainsi à cette situation curieuse où, pour 126.000 réfugiés officiellement comptabilisés par la Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, les autorités ouest-allemandes en annoncent plus de 600 000, en y incluant ces réfugiés « de facto », les réfugiés originaires d’Asie du Sud-Est, les apatrides, et les 165 000 (!) demandeurs d’asile en instance. Ces chiffres illustrent à eux seuls les incohérences du système.


Sources : Christiane Kayser, « Le sort précaire des réfugiés du Tiers-Monde » et Christian Pillwein, « La raison d’État et les boucs-émissaires », Le Monde diplomatique, août 1984 - Hommes et Migrations n° 1096, octobre 1986 - Jacqueline Costa-Lascoux, « Réfugiés et demandeurs d’asile en Europe », Revue européenne des migrations internationales n° 1-2/ 1987, p. 256-258 et n° 3/1987, p. 157-159.





Notes

[1La situation varie toutefois sur ce point d’un Land à l’autre. En Bavière et dans le Bade-Wurtemberg, où est pratiqué le système dit du « tiers payant », les repas sont pris en groupe, ce qui justifie la modicité du pécule versé (70 DM par mois). En Rhénanie-Westphalie, la somme est plus importante, de l’ordre de 390 DM, mais l’intéressé doit subvenir lui-même à ses besoins.

[2En juillet 1983, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a fait un rapport sur les conditions de vie dans certains de ces camps de regroupement, dont il ressortait que chaque adulte ne disposait en moyenne que de 4 à 5 m2, que les installations sanitaires étaient insuffisantes, que la nourriture était inadaptée aux habitudes alimentaires des personnes hébergées, et que les pensionnaires étaient soumis à des contrôles nocturnes.

[3Les ressortissants des pays de l’Est jouissent d’un régime plus favorable que les autres réfugiés. En 1966, les autorités ouest-allemandes ont décidé qu’elles ne les renverraient pas vers leur pays d’origine, même s’ils étaient entrés illégalement. Toutefois, des mesures restrictives ont été prises récemment : les personnes entrées après le 30 avril 1987, et notamment les Polonais et les Hongrois, se verront désormais appliquer les règles générales.


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Dernier ajout : mardi 27 mai 2014, 16:59
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