Article extrait du Plein droit n° 17, avril 1992
« Immigrés sans toits ni droits »

Les moyens d’une politique de peuplement

Les politiques de peuplement qui ont fonctionné jusqu’à présent, ont été élaborées sur la base de textes d’une légalité douteuse. Aujourd’hui, alors qu’un dispositif institutionnel a été mis en place il y a un an, il est temps de s’interroger sur les moyens que l’on se donne pour connaître la demande de logement des populations défvorisées, afin d’y apporter les réponses les plus appropriées.

Garantir le droit au logement constitue un devoir de soli- darité pour l’ensemble de la nation » (loi du 31 ma1990, art. 1er).

L’article 1er de la loi Besson défi- nit de manière particulièrement large la population défavorisée comme « toute personne ou famille éprou- vant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses condi- tions d’existence ».

M me si cette définition s’affine un peu dans l’article 4 qui donne la « priorité aux personnes et familles sans aucun logement ou menacées d’expulsion sans relogement ou lo- gées dans des taudis, des habitations insalubres, précaires ou de fortune », nombreux sont les ménages immigrés ou issus de l’immigration qui entrent dans l’une ou l’autre de ces défini- tions, assignés à résidence dans l’habitat dégradé des centres anciens ou relégués dans les cités périphéri- ques, au m me titre que les personnes ou familles les plus défavorisées sans distinction d’origine.

Cependant, aucune trace de dis- crimination - positive ou négative - n’est visible, dans la loi et les textes d’application bien entendu, mais également dans les textes des plans départementaux dont la quasi totalité du territoire est aujourd’hui dotée. Seules subsistent, dans les circulaires préparatoires aux textes de 1990, quelques timides mentions au handi- cap spécifique que constitue l’origi- ne ethnique pour l’accès au loge- ment.

Une absence, pour partie légiti- me, qui risque pourtant de masquer la réalité des situations dans la plupart des villes de France.

Ici et là surgissent parfois encore des textes qui, pour n’avoir pas force de loi, n’en ont pas moins valeur de fondement pour des pratiques loca- les. Les « pas d’inscription pour les demandeurs étrangers », « quotas at- teints », totalement illégaux et donc attaquables, ou les plus pudiques « pour la recherche d’un équilibre nécessaire » ou d’une « mixité sou- haitée » constituent alors de fait la base de ce qu’il est convenu d’appe- ler politique de peuplement.

Une exigence de connaissance

A l’heure où se mettent en place des plans départementaux, des pro- grammes locaux de l’habitat, des protocoles d’occupation du patri- moine social, il importe de s’interro- ger sur les menaces accrues qui pè- sent sur l’exercice du droit au loge- ment pour ceux que l’origine, la cou- leur ou le patronyme classent parmi les familles ou personnes éprouvant des « difficultés particulières ».

L’ensemble des dispositifs issus du dépoussiérage des textes et de la démarche volontaire induite par les lois sur le droit au logement et le droit à la ville doit prendre appui sur des moyens de connaissance et de suivi des situations locales.

La construction de ces moyens de connaissance doit pouvoir s’ap- puyer sur des objectifs clairs. Pour cela, il importe d’abord de détermi- ner au préalable les dysfonctionne- ments du droit au logement. Ceux-ci ne reposent-ils pas souvent sur des fonctionnements discriminatoires anciens qui, en interdisant toute mo- bilité, ont été à l’origine de la création de poches de pauvreté et de ghettos de toutes espèces ? Ces derniers sont à la source de déséquilibres actuels dans lesquels causes et effets se con- fondent si souvent.

Les moyens de connaissance qui seront mis en place devront donc per- mettre de dém ler cet écheveau de complexité, faute de quoi le risque de confusion est grand : plutôt que d’in- tervenir sur les causes, on tente d’agir sur les effets à partir de dispositifs qui, très vite, se transforment en véri- tables « usines à gaz » où l’efficacité comme les responsabilités ne tardent pas à se dissoudre.

Il y a un danger dans l’apparition, constatée ici ou là, de dispositifs de repérage des populations ayant com- me fonction d’établir un diagnostic de l’existant sans que soit mis en place, dans le m me temps, un mode de connaissance de la demande. Ce danger se matérialise lorsque le dia- gnostic permet de qualifier un peu rapidement un secteur dit « difficile » par la nature de la population con- cernée (par exemple, pourcentage de 12 - Plein Droit n° 17 - Avril 1992 population étrangère, pourcentage de ménages monoparentaux, pourcen- tage de bénéficiaires du RMI...) et d’en déduire que la seule (ou la pre- mière) mesure à prendre consiste à ne pas aggraver cette situation (toujours en terme de pourcentages).

De tels raccourcis occultent des données aussi essentielles que celles qui concernent la réalité de la deman- de locale et la manière dont celle-ci s’articule avec une demande plus globale. La difficulté première réside donc dans la capacité des collectivi- tés et de leurs partenaires à se doter de moyens de connaître la deman- de des populations les plus défavo- risées : celles qui sont en panne de logement. La constitution d’observa- toires locaux permanents et réactua- lisables est un des moyens d’y ré- pondre.

Devant les difficultés rencontrées pour l’accès à un logement décent, les ménages en recherche établissent leurs propres stratégies, ils font le choix (ou sont contraints) d’adresser leurs candidatures à tel ou tel lieu d’enregistrement, ils font appel à l’une ou l’autre instance où ils estiment pouvoir trouver aide et soutien...

Chaque lieu d’accueil constitue son propre fichier de demandeurs et devient une source d’information pour une connaissance et une approche globales de la demande. La mise en commun de ces informations est le moyen le plus sûr d’approcher la compréhension de la situation du « mal-logement ».

Chaque fichier local, par son ca- ractère thématique ou sa définition géographique, constitue une pièce d’un puzzle qui peut comprendre dif- férents sous-ensembles : arrondisse- ment, ville, agglomération, départe- ment.

La première démarche consiste donc à donner, à travers un observa- toire local (dont le champ doit tre adapté au terrain), une image la plus précise possible de la situation de la demande dans l’aire géographique choisie pour sa pertinence spatiale et sociale, mais aussi administrative et décisionnelle.

Partir de la démarche des exclus

L’objet de l’observatoire local doit  tre clairement défini. Il ne s’agit pas a priori d’un nouvel outil de produc- tion statistique ni d’un méga moyen d’étude pré-opérationnel ou opéra- tionnel.

Instance géographique, l’obser- vatoire local donne à voir une situa- tion d’ensemble qui permet de com- prendre et de définir des échelons d’intervention. Pour ce faire, il n’em- prunte aux fichiers locaux que l’es- sentiel de l’information dont il a be- soin. Il doit tre un outil léger.

L’observatoire local permet ainsi la coordination des fichiers sans se substituer à eux, en établissant les bases d’un partenariat dont l’objectif est de ramener à un juste niveau les clivages entre lieux d’enregistrement. Il permet donc l’élimination de dou- bles comptes sans imposer de règles strictes d’éligibilité pour chacun des lieux d’enregistrement. Ainsi, ceux- ci conservent-ils leur souplesse et leur identité propre. La collecte des infor- mations et la cartographie qui en ré- sulte dessine les contours d’une de- mande locale et d’agglomération.

Cette mise à plat « photographi- que » alimente la réflexion pour une approche globale dont la définition renvoie à une exploitation partenariale des fichiers. Grâce à ces derniers, l’origine quantitative et qualitative des problèmes est mise en exergue ainsi que leur répartition spatiale.

Plus que la constitution d’un outil supplémentaire, la création d’un ob- servatoire est la définition d’une dé- marche partenariale.

C’est ainsi qu’il faut lire l’objectif fixé par la loi : « Analyser les besoins par bassins d’habitat (...), notam- ment par la centralisation de la de- mande ».

Quels besoins ?
Quelles réponses ?

La loi prévoit ensuite la nécessité de définir « les objectifs à atteindre pour assurer le relogement (... notam- ment) par la création d’une offre sup- plémentaire de logements ».

Créer une offre de logements sup- plémentaires, c’est d’abord utiliser pleinement les moyens existants. Or, les blocages sont, à ce stade, particu- lièrement forts : rigidité des réserva- tions de logements par les collectivi- tés ou instances concernées, mécon- naissance de la demande de mutation et, bien entendu, discriminations de toutes sortes.

On peut cependant espérer que la mise en place de dispositifs partena- riaux en matière de connaissance de la demande pourrait favoriser l’émergence d’une coordination de l’offre. (La création localement de commissions de l’habitat adapté dans certains départements est une mani- festation concrète de cet espoir).

Il s’agit, en l’occurrence, d’une double démarche, l’une à caractère culturel qui repose sur la volonté de travailler ensemble (plus difficile à réaliser qu’il n’y paraît), l’autre qui relève de l’intelligence d’une réalité nouvelle. En effet, jusqu’à la promul- gation de la loi Besson, la notion d’ayant droit pour l’accès aux fichiers des prioritaires faisait l’objet d’ap- préciations locales et/ou conjonctu- relles (par exemple, une famille de six personnes occupant un logement trop petit du parc social ne pouvait prétendre - et parfois ne le peut enco- re - à l’inscription au fichier préfec- toral parce que déjà logée en HLM !).

Suivant les termes de la loi, les règle- ments locaux ne peuvent plus conte- nir ce type de perversion, et les pra- tiques qui se poursuivraient dans ce sens seraient illégales. Pourtant, le chemin qui rest¡¡e à parcourir pour obtenir la disparition définitive de ces pratiques imbéciles et discrimi- natoires est encore long.

De plus, il reste à mettre en place des moyens de coordination qui in- troduiront dans les rapports entre les réservataires une souplesse pour l’heure inexistante. Les fichiers des préfectures, des services départe- mentaux, des collecteurs et des diffé- rentes collectivités impliquées de- vront trouver un lieu d’unification.

Dans certaines communes, cette volonté se fait jour, les maires signa- taires de la déclaration de Vizille (cité = diversité, Forum des maires, 28 septembre 91) ne se sont-ils pas en- gagés « à ce que la politique du loge- ment social des villes prenne en compte l’ensemble des besoins des populations défavorisées, suscite une concertation permanente entre les services publics, les représentants des associations de propriétaires, cons- tructeurs et locataires, et les services municipaux » ?

Si les deux aspects, connaissance de la demande et coordination de l’offre, ne sont pas menés de front ou tout au moins simultanément, il ne peut y avoir de réflexion sur le sens d’une politique de peuplement. Si ce qui en tient lieu relève, comme c’est trop souvent le cas, du bricolage, il risque de n’y avoir qu’un renforce- ment de la discrimination à partir d’objectifs dits de rééquilibrage, consistant tout bonnement à veiller à l’image qu’une cité ou un immeuble renvoit par la composition patrony- mique des ensembles de boîtes aux lettres, le renforcement d’un habitat ségrégué par le biais de l’habitat spé- cifique ou... l’abandon de certains secteurs.

La gestion de l’habitat se fait à travers l’approche de sa complexité. Peut- tre faut-il regretter l’absence, dans les textes mobilisateurs de 90 et 91, de guide des moyens de cadrage nécessaires ?



Article extrait du n°17

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Dernier ajout : lundi 24 mars 2014, 15:27
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