Article extrait du Plein droit n° 0, mars 1987
« Libertés : le nouvel ordre « libéral » »

Des lois dites « sécuritaires »

Evelyne Picard et Chantal Solaro

Syndicat de la Magistrature

L’ampleur de la réaction qui avait accueilli le vote de la loi dite « sécurité liberté » a servi de leçon au gouvernement Chirac.

Pas question d’une grande loi pénale regroupant tous les aspects qu’Albin Chalandon voulait changer dans le Code pénal. Mais, des petites réformes dispersées afin d’éviter la mobilisation générale de ceux qui sont attachés aux libertés. Orfèvre en la matière, Alain Peyrefitte ne s’y est pas trompé qui, pendant les débats parlementaires, déclarait : « Vos quatre projets, Monsieur le garde des Sceaux, forment un tout cohérent… L’ampleur des réformes qu’ils comportent et la faiblesse relative des réactions qu’ils suscitent permettent de mesurer la gravité de la situation en matière de sécurité publique ».

De fait, le gouvernement de Jacques Chirac a très vite compté davantage sur l’effet d’annonce des mesures répressives sur une opinion publique confortée dans son sentiment d’insécurité par les déclarations alarmistes de la majorité que sur l’efficacité de la politique de prévention. Lorsqu’on n’est pas sûr des résultats de la politique économique, il est plus facile de jouer les matamores et de crier qu’on va « terroriser les terroristes ».

En tout cas, le gouvernement a exploité les sondages laissant apparaître la force du sentiment d’insécurité pour faire voter des projets qui restreignent durablement les libertés. L’analyse des lois sécuritaires montre qu’elles ont peu de chance de faire baisser l’insécurité quotidienne mais, en revanche, que les libertés de tous les citoyens sont atteintes.

La loi concernant le terrorisme : des risques de manipulation

S’il est évident que tout le monde est ému par les actes de terrorisme, il est bien plus difficile de définir ce qu’ils sont dans le code pénal. Pourtant, il existe un principe de notre droit, la légalité des délits et des peines, c’est-à-dire la « nécessité, pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (Conseil constitutionnel – 19-20 janvier 1981).

Personne n’ayant réussi à trouver une définition claire et précise de l’acte terroriste, la loi énumère une vingtaine de crimes et délits, allant de la destruction de voies de chemin de fer à l’homicide volontaire, qui deviennent terroristes s’ils sont commis « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Cela signifie que pourront être qualifiés de terroristes tout aussi bien une explosion meurtrière dans un lieu public que des manifestations de grévistes détruisant des voies ferrées. L’appréciation en sera entièrement laissée, dans un premier temps, au parquet, c’est-à-dire au Ministre de la Justice.

Une fois la qualification terroriste accolée à un acte, adieu les garanties habituelles de procédure : garde à vue pouvant se prolonger pendant quatre jours, perquisitions sans l’assentiment de la personne concernée, centralisation des poursuites à Paris, cour d’assises uniquement composée de magistrats professionnels, n’ayant pas besoin de motiver ses décisions, peine accessoire obligatoire d’interdiction de séjour… En revanche, les « repentis » pourront bénéficier d’atténuation de peines, voire d’exemption. En outre, les journalistes ne sont pas oubliés : on a ajouté à la loi sur la presse du 29 juillet 1881, une disposition punissant le délit « d’apologie d’une infraction qualifiée de terroriste ».

Cette loi est particulièrement perverse puisqu’elle joue sur l’horreur légitime des citoyens devant les attentats aveugles pour restreindre les garanties des justiciables. Il est à craindre que ce texte soit sans effet sur le terrorisme international qui dispose d’une logistique très sophistiquée et de militants prêts à tout, y compris au prix de leur vie. Mais on peut penser que ces procédures, dérogatoires au droit commun, seront employées pour poursuivre des militants indépendantistes ou des manifestants ayant commis des excès.

Un seul point positif dans cette loi. Elle prévoit l’indemnisation des victimes. Espérons que cette mesure sera aussi vite appliquée que celles qui toucheront les terroristes, vrais ou supposés.

Application des peines : on verrouille

L’individualisation des peines s’est progressivement mise en place depuis 1958 et la principale loi allant dans ce sens fut votée par le Parlement en 1975, sous le gouvernement de Jacques Chirac. Ce qui était bon en 1975 ne devait plus l’être en 1986. L’exposé des motifs de la nouvelle loi ne laisse aucun doute : les réformes intervenues depuis 1958 ont conduit, les premières à une érosion souvent excessive des peines…, les secondes à accorder un pouvoir trop important en matière d’application des peines à un homme seul : le juge de l’application des peines.

La loi répond à cette double préoccupation.

En premier lieu, comment lutter contre « l’érosion des peines » ?

En ce qui concerne les peines de réclusion à perpétuité, on avait beaucoup parlé d’une peine « incompressible ». Le souci de la discipline dans les prisons a conduit le gouvernement à renoncer à cette mesure, chacun s’accordant à penser que l’absence d’espoir amènerait certains condamnés à commettre des actes de violence incontrôlables. Cependant, le gouvernement a maintenu une « période de sûreté » que les cours d’assises pourront prononcer dans la limite d’une durée de 30 ans pour certains crimes. Durant cette période, le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de sa peine. Cette période pourrait être éventuellement réduite par la chambre d’accusation, mais après un délai minimum de 20 années de réclusion !

Le garde des Sceaux était particulièrement préoccupé par la possibilité, pour certains détenus, de cumuler trois réductions de peine (3 mois par an pour bonne conduite, 3 mois pour réussite à un examen et 3 mois pour gages exceptionnels de réinsertion), qui auraient pu faire bénéficier le condamné, détenu depuis plus de trois ans, de 9 mois de réduction de peine par an. Nous ne reviendrons pas sur la rareté d’un tel cumul, qui nécessiterait en particulier que le détenu réussisse un examen par an. En tout cas, cette possibilité semblait insupportable et les réductions de peine pour examen et pour gages exceptionnels ont été fondues en une seule pouvant être accordée à des détenus depuis plus d’un an pour « efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment en passant avec succès un examen ». Cette réduction de peine est limitée à 2 mois ou 1 mois pour les récidivistes. En revanche, les réductions de peine pour bonne conduite ne sont pas touchées. La raison en est clairement affirmée dans l’exposé des motifs : cette réduction de peine là est une bonne mesure puisqu’elle « constitue un facteur essentiel du maintien de la discipline en prison ».

Tout est clair, la discipline dans les prisons vaut bien 3 mois d’érosion de peine par an mais la réadaptation sociale se contentera de 2 mois par an. On ne saurait remettre plus clairement en cause la politique d’individualisation de la peine et de réinsertion sociale des détenus. On revient à la conception de la peine de prison d’avant-guerre : la sanction l’emporte sur la volonté de réinsertion du condamné. Il s’agit d’abord de mettre les délinquants à l’écart, le retour dans la société ne préoccupe plus. La récidive était au bout de la route pour 50 % des détenus libérés. Quel résultat donnera la nouvelle loi ? Ce n’est certes pas elle qui protégera le mieux la société.

En second lieu, c’est le juge de l’application des peines (JAP) qui était dans le collimateur du gouvernement. Comment ? Un juge, seul et indépendant, décidant de réductions de peines, libérations conditionnelles et autres aménagements de peine ? C’est insupportable. Alors, on va introduire le parquet, hiérarchisé, soumis à l’autorité du garde des Sceaux, dans le circuit. Désormais, le parquet peut faire appel des décisions du JAP, du moins de celles qui entraînent la libération du détenu, et demander qu’elles soient examinées par le tribunal correctionnel.

Appel à sens unique, car le condamné, lui, ne peut pas s’adresser au tribunal après une décision du JAP refusant une de ses demandes.

Mise à l’écart pour les délinquants, méfiance vis à vis des juges. Mais, quelle conception de la société ce gouvernement a-t-il ?

Les deux derniers textes, relatifs aux contrôles d’identité et à la comparution immédiate sont tout aussi révélateurs de cette conception de la société : renforcement des pouvoirs de droit et de fait de la police, priorité donnée à une justice qui se veut exemplaire et, pour ce faire, expéditive. Dans sa lettre adressée aux membres du parquet le 8 avril 1986, Albin Chalandon écrivait : « contre ceux qui troublent la paix publique et créent l’insécurité, vous engagerez sans tarder des poursuites, prendrez des réquisitions fermes et veillerez à l’exécution immédiate et effective des peines prononcées… ils (les policiers) sont en droit de trouver en vous une autorité certes exigeante, mais soucieuse de leur faciliter la tâche… ».

Tout ceci se retrouvera, quelques mois plus tard, traduit dans de nouveaux articles du code de procédure pénale.

« Votre projet sur les contrôles d’identité est plus sévère que la loi sécurité-liberté »
(A. Peyrefitte)

Les contrôles d’identité, nouvelle formule, peuvent se résumer ainsi : toujours, partout, en toutes circonstances et en tous lieux. Alain Peyrefitte ne s’y est pas trompé, là non plus, en déclarant au cours du débat parlementaire : « sur les contrôles d’identité, votre projet est nettement plus sévère que la loi "sécurité-liberté". Les contrôles seront possibles à tout moment, et l’on pourra, en outre, prendre les empreintes digitales de la personne en cause et la photographier. Des sanctions frapperont ceux qui refuseront de se soumettre aux contrôles ».

On en revient effectivement au texte de la loi de 1981 quant aux conditions dans lesquelles un contrôle peut être opéré et l’identité de toute personne peut désormais être contrôlée « pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment une atteinte à la sécurité des personnes ou des biens ». Cette définition est suffisamment générale pour permettre à un agent de police judiciaire, même adjoint, de considérer, en quelque endroit et en toutes circonstances, qu’une atteinte aux personnes ou aux biens est susceptible de se produire. Tout individu se trouvant en un lieu public peut donc, en toute légalité, faire l’objet d’un contrôle pourvu que, si un procès-verbal est ultérieurement établi, il soit précisé que l’ordre public était menacé. Encore faut-il tomber sur des magistrats qui vérifient comme ils doivent le faire, effectivement, les conditions dans lesquelles est intervenu le contrôle, avec une rigueur suffisante.

En cas de refus ou d’impossibilité de justifier de son identité, l’intéressé peut être conduit au commissariat et c’est au cours de cette phase que la situation est particulièrement aggravée, y compris par rapport à la loi de 1981. En effet, il suffit que la personne maintienne son refus ou fournisse des éléments jugés « manifestement inexacts » par l’officier de police judiciaire pour que la prise d’empreintes ou de photographies soit dorénavant possible – dès lors que le policier estime qu’elle constitue le seul moyen d’établir l’identité, notion très vague. Certes, un amendement a introduit la nécessité d’une autorisation préalable du procureur de la République, mais cette disposition risque de s’avérer illusoire dans la mesure où le parquetier ne disposera que des renseignements fournis par le policier au téléphone, ou, même s’il le souhaite, il sera très difficile au magistrat, sauf à se rendre systématiquement sur les lieux du contrôle, ce qui est matériellement impossible, d’obtenir d’autres éléments d’appréciation. Pourtant, un délit est à la clef pour les récalcitrants, ce qui signifie, non plus quatre heures de rétention, mais 24, voire 48 heures de garde à vue, suivies éventuellement d’une condamnation qui peut aller de dix jours à trois mois d’emprisonnement.

Il faut préciser que, malgré tout, les garanties prévues antérieurement persistent et que la personne retenue pour vérification d’identité doit être mise en mesure de fournir, par tout moyen, les éléments justificatifs de son identité, qu’elle peut demander à tout moment que le procureur soit avisé et, enfin, prévenir toute personne de son choix. Une très large part d’appréciation, d’arbitraire, est ainsi laissée aux policiers, sous couvert assez hypocrite de contrôle judiciaire, sans que la justice soit réellement mise en mesure d’assurer effectivement cette mission. On pouvait, dès le départ, craindre l’utilisation qui serait faite par les services de police de cette latitude et de cette marge de manœuvre, notamment de l’application groupée de ces dispositions et de celles relatives à la comparution immédiate et au statut des étrangers. Nous avions malheureusement raison avant l’heure et les opérations dans des foyers sur la base de ces différents textes semblent se multiplier, allant jusqu’au détournement de procédure opéré lors de l’affaire du « charter pour le Mali ». Mais, journellement, et de façon moins voyante, des contrôles se multiplient, à l’égard des étrangers tout particulièrement, mais non exclusivement.

Banalisation de la procédure d’urgence

La comparution immédiate devant le tribunal correctionnel est la suite logique des procédures débutant par un contrôle d’identité. Cette procédure, par son fonctionnement à l’urgence, sa rapidité et la banalisation engendrée par la répétition d’affaires semblables, occulte le côté humain et entraîne une augmentation des peines d’emprisonnement prononcées, dans leur nombre, mais aussi une aggravation dans leur durée. Le nouveau texte tend à faire de cette procédure qui, par nature, doit rester exceptionnelle, la procédure courante, de droit commun. Là encore, les nouvelles dispositions vont plus loin que la loi « sécurité-liberté ».

Désormais, cette procédure peut être utilisée non seulement en cas de délit flagrant lorsque la peine encourue est supérieure ou égale à un an d’emprisonnement mais, aussi, nouveauté, en dehors de toute flagrance, par conséquent même si le délit a été commis plusieurs semaines, voire plusieurs mois auparavant, si la peine encourue atteint au moins deux ans. Il suffit, pour ce faire, que le procureur de la République estime que « les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en état d’être jugée ». Cette appréciation lui permet de ressortir à sa guise, quelque soit l’ancienneté des faits, une procédure pour, au moment de son choix, la faire juger immédiatement par le tribunal.

Ce dernier, lorsqu’il est saisi selon cette procédure, peut prononcer une peine d’emprisonnement ferme mais également, et quelque soit la durée de la peine qu’il prononce, décerner mandat de dépôt afin que la peine soit exécutée immédiatement et nonobstant appel.

C’est, là encore, un large pouvoir d’opportunité qui est laissé au procureur de la République même s’il appartiendra aux tribunaux de préciser et de définir la notion d’« affaire en état d’être jugée ».

Mais, même si le tribunal estime, pour cette dernière raison, qu’il n’est pas valablement saisi et renvoie le dossier au parquet pour que les « investigations supplémentaires approfondies » nécessitées par la « complexité de l’affaire » soient effectuées, il peut néanmoins, en attendant la saisine du juge d’instruction qui doit avoir lieu le jour même, statuer sur la détention provisoire du prévenu, jusqu’à sa comparution devant le magistrat instructeur. Il est révélateur que le législateur ait, à ce propos, précisé que le tribunal statue « sur le maintien » en détention alors que le prévenu qui comparaît en comparution immédiate est libre jusqu’au prononcé éventuel d’une condamnation, et encore si le tribunal utilise la faculté de décerner mandat de dépôt ! C’est bien d’une généralisation et d’un recours multiplié à l’enfermement dont il s’agit au travers de ces réformes de la procédure pénale.

Possibilité pour les pouvoirs publics, par l’intermédiaire des services de police, d’un fichage généralisé de la population qui vit en France ; sévérité accrue de la justice pénale avec pour seul objectif la sanction et l’élimination, telle est la philosophie qui sous-tend l’ensemble des textes sécuritaires votés au cours de l’été 1986. Alain Peyrefitte pouvait affirmer : « Roland Dumas a raison de s’écrier : " C’est du Peyrefitte aggravé " ».

(*) Contrôles d’identité : loi n° 1004 du 3 septembre 1986, J.O. du 4 septembre 1986.

(*) Lutte contre la délinquance (comparution immédiate, période de sûreté) : loi n° 1019 du 9 septembre 1986, J.O. du 10 septembre 1986.

(*) Terrorisme : loi n° 1020 du 9 septembre 1986, J.O. du 10 septembre 1986.

(*) Application des peines : loi n° 1021 du 9 septembre 1986, J.O. du 10 septembre 1986.

Cartes d’identité informatisées : l’avis de la C.N.I.L.



La Commission Nationale de l’Informatique et des libertés,

Vu le projet de décret en date du 24 juin 1986 portant création d’un système de fabrication et de gestion informatisée des cartes nationales d’identité, présenté par Monsieur le Ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, chargé de la sécurité ;

Après avoir entendu M. Jacques THYRAUD, Premier Vice-Président, en son rapport et Mme Charlotte-Marie PITRAT, Commissaire du Gouvernement, en ses observations ;

Considérant que le système proposé a pour finalité la création d’une nouvelle carte nationale d’identité présentant un plus haut degré de fiabilité et la prévention de son obtention frauduleuse ; que ce système repose sur une interaction entre : un fichier manuel éclaté — un fichier de gestion automatisé — une carte nationale d’identité portant un numéro et une zone de lecture optique, ainsi que diverses informations d’état civil — l’adaptation du fichier des personnes recherchées à la lecture optique de la carte ;

Considérant que la carte d’identité nationale reste facultative et que la preuve de l’identité peut être apportée par tous moyens, qu’il est pris acte à ce sujet des déclarations du Ministre délégué auprès du Ministre de l’Intérieur, chargé de la sécurité, lors de son audition par la Commission le 24 juin 1986 ;

Considérant que les informations figurant sur cette carte et dans le fichier de gestion correspondent à une situation individuelle telle qu’elle existe le jour de la délivrance de la carte ;

Considérant qu’il convient de dissocier les fonctions de fabrication et de délivrance de la carte relevant des autorités administratives désignées à l’article 8, de celles de contrôle de la carte énumérée dans ce même article ;

Qu’ainsi, il y a lieu de réserver l’accès du fichier informatisé de gestion aux seules personnes habilitées mentionnées à l’article 8 :

a. La direction du Ministère de l’Intérieur chargée de l’application de la réglementation sur la carte nationale d’identité,

b. Le bureau chargé des cartes nationales d’identité dans les préfectures et les sous-préfectures,

c. Les fonctionnaires et agents désignés par le représentant de l’État dans les territoires d’outre-mer et la collectivité territoriale de Mayotte,

d. Les fonctionnaires et agents désignés par les chefs de postes diplomatiques pourvus d’une section consulaire ou les chefs de postes consulaires à l’étranger ainsi que le service chargé des cartes nationales d’identité des Affaires Étrangères ;

Qu’il convient de transférer à un fichier spécifique, le traitement automatisé des « cartes perdues, volées ou usurpées », auquel auront accès les autorités de police et de gendarmerie ;

Que les informations mémorisées dans ce fichier doivent se limiter au nom, prénoms et numéro de la carte sans qu’elles puissent être dissociées dans l’interrogation afin de ne causer aucun trouble à la victime, porteuse d’un nouveau titre ;

Que la délivrance de ce nouveau titre sera bien sûr subordonnée à la remise d’une déclaration de perte ou vol consignée à la fois dans le fichier manuel et dans le fichier de gestion, tant en ce qui concerne l’ancienne procédure que la nouvelle ;

Considérant qu’il convient de réduire la durée de conservation des informations de 30 ans à 15 ans, étant entendu qu’un nouvel examen de cette situation pourrait avoir lieu avant l’expiration de ce délai ;

Considérant que les mesures de sécurité qui ont été portées à la connaissance de la Commission concernent un dispositif de fabrication centralisé des cartes nationales d’identité ;

Demande, quelle que soit l’architecture du système qui sera retenu et notamment si un système de fabrication décentralisé est choisi, que toutes mesures de sécurité soient prises pour opérer la destruction des fichiers en cas de crise grave ;

Demande que soient fournies à la Commission toutes indications utiles lorsque le choix du matériel et la conception du dispositif définitif auront été retenus ;

Recommande par ailleurs, que ce matériel et la conception du dispositif soit autant que possible exclusif à la France ;

Considérant, qu’au titre de l’article 78-3 du code de procédure pénale, les contrôles d’identité ne peuvent être mémorisés sur fichiers s’ils ne sont suivis à l’égard de la personne contrôlée d’aucune procédure d’enquête ou d’exécution adressée à l’autorité judiciaire, et ce sous peine des sanctions prévues à l’article 42 de la loi du 6 janvier 1978 ;

Demande que le décret mentionne qu’il ne peut être fait usage de la carte nationale d’identité, en particulier de la zone de lecture optique, pour la constitution ou l’enrichissement de tous fichiers ;

Considérant que l’utilisation de la zone de lecture optique de la carte nationale d’identité pour la consultation du fichier des personnes recherchées est subordonnée à l’apurement de ce fichier tel qu’il résultera de l’avis prochain de la Commission concernant l’acte réglementaire qui lui a été transmis le 10 juin 1986 ;

Considérant qu’il y a lieu à complément d’informations en ce qui concerne le relevé d’empreintes digitales, décide qu’il y a lieu sur ce point de surseoir à statuer ;

Émet un avis favorable au projet de décret sous réserve qu’il soit tenu compte des observations susmentionnées et que le projet de décret ainsi modifié lui soit communiqué avant publication.

Basques : « urgence absolue »



En faisant voter par le Parlement la loi du 9 septembre 1986, le gouvernement Chirac actualisait la vieille ordonnance de 1945, déjà maintes fois modifiée, relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. La loi, entre autres, modifiait l’article 26 de l’ordonnance, relatif à la désormais célèbre « expulsion en vertu de l’urgence absolue ».

Art. 26 : « En cas d’urgence absolue, et par dérogation aux articles 23 à 25, l’expulsion peut être prononcée lorsque la présence de l’étranger sur le territoire français constitue pour l’ordre public une menace présentant un caractère de particulière gravité. Cette procédure ne peut toutefois être appliquée aux mineurs de dix-huit ans ».

Aux termes de cette nouvelle rédaction, la notion d’urgence absolue est maintenue, tandis que le concept de « sûreté de l’État » est remplacé par celui, beaucoup plus large, d’« ordre public ».

Les arrêtés d’expulsion sont pris par le ministre de l’Intérieur et peuvent être immédiatement exécutés. Comme tout acte administratif, ils devraient normalement être motivés. Il est important de noter que certaines catégories de personnes, normalement protégées, peuvent être l’objet de ces mesures : étrangers mariés à un conjoint de nationalité française, étrangers père ou mère d’un enfant français résidant en France depuis l’âge de 10 ans ou depuis plus de 10 ans. En définitive, seuls les mineurs sont exclus du champ d’application de l’article 26.

Le vote de cette loi avait, on s’en souvient, donné lieu à un vaste débat à l’Assemblée Nationale. Cependant, le gouvernement n’avait pas attendu cette date pour d’ores et déjà mettre en œuvre une pratique pour le moins discutable dans un pays attaché à l’État de droit.

De janvier 1984 à janvier 1987, le ministre de l’Intérieur a procédé à 69 expulsions en vertu de l’urgence absolue. À notre connaissance, ces 69 personnes étaient en situation régulière, c’est-à-dire titulaires d’une carte de séjour, de durée variable. Jusqu’au 19 juillet 1986, ces expulsions avaient toutes lieu vers des pays tiers (notamment Amérique centrale et Amérique du sud). Après l’affaire dite des Irakiens, une circulaire Joxe du 13 mars 1986 précisait qu’en cas de refus par l’intéressé d’être expulsé vers son pays d’origine, la possibilité lui était laissée de choisir un autre pays d’accueil. Cette circulaire était effectivement appliquée jusqu’au 19 juillet 1986.

Ce jour-là, le ressortissant espagnol d’origine basque Varona Lopez était livré à la police espagnole par les autorités françaises en application de l’article 26 de l’ordonnance de 1945. Depuis, 27 autres réfugiés basques espagnols ont subi le même sort.

Sur ces 28 personnes, 24 s’étaient vu refuser le statut de réfugié politique délivré par l’OFPRA, mais après avoir épuisé toutes les voies de recours contre cette décision, bénéficiaient d’un renouvellement régulier de leur titre de séjour par l’administration. Les quatre autres avaient obtenu la qualité de résident.

L’incohérence de l’administration qui expulse du jour au lendemain des étrangers dont elle avait elle-même régularisé la situation, et qui, pour la plupart, résidaient depuis de nombreuses années sur le territoire, est d’autant plus remarquable que, paradoxalement, plusieurs dizaines de réfugiés basques sont en situation irrégulière sans être apparemment inquiétés.

S’agissant de mesures touchant très directement et très gravement aux libertés individuelles, on serait en droit d’attendre d’un État démocratique qu’il expose précisément pour chaque personne concernée les faits concrets justifiant une décision aussi lourde de conséquences. Or, ces arrêtés portent tous l’indication du même motif général et impersonnel, inchangé après le 9 septembre 1986 :

« Considérant que le nommé X… est militant actif d’un groupe armé d’action violente ayant commis et susceptible de commettre à nouveau des attentats par explosifs.

« Considérant qu’en raison de ces éléments la présence de cet étranger sur le territoire français constitue une menace particulièrement grave pour la sécurité publique et que son expulsion revêt un caractère d’urgence.

« Considérant qu’il y a lieu en conséquence de lui faire application des dispositions de l’article 26 de l’ordonnance précitée concernant le cas d’urgence absolue ».



Ce dévoiement de la notion d’urgence et son utilisation comme paravent de la raison d’État est encore plus manifeste lorsque l’on examine la situation des réfugiés après leur remise aux autorités espagnoles :

  • 10 d’entre eux ont été remis en liberté par l’Audiencia Nacional (cour de sûreté de l’État espagnole) sans qu’aucune charge ait été retenue contre eux ;



  • les 18 autres ont été inculpés par la même juridiction pour des faits antérieurs à leur venue en France. On est donc amené en toute logique à se poser la question de la réalité de la menace qu’était censée constituer leur présence sur le sol français.



Tous ont dans un premier temps été détenus dans le cadre de la loi anti-terroriste espagnole qui permet d’étendre la garde à vue jusqu’à dix jours.

Ainsi, alors qu’il existe dans notre droit une procédure judiciaire d’extradition qui laisse cependant au pouvoir exécutif toute liberté d’exécution, l’administration a choisi au nom d’une logique discutable de priver un groupe d’individus des droits et garanties qui font la force de notre démocratie.

Armand RIBEROLLES et Christophe SEYS
Syndicat de la Magistrature



N.B. Le 28 janvier 1987, le tribunal administratif de Pau, saisi d’une double requête en sursis à exécution et en annulation contre l’une de ces mesures d’expulsion, a fait droit à la première de ces demandes. Sur demande du ministre de l’Intérieur, l’effet de ce jugement a toutefois été suspendu par le président de la section du contentieux du Conseil d’État.

Appel contre les atteintes à la liberté individuelle



Le gouvernement qui veut faire voter rapidement des lois sur la sécurité propose des mesures qui n’auront même pas l’effet espéré. Au contraire d’une société libre on va passer à un projet de société où tout citoyen, et d’abord les jeunes, est présumé suspect, où tout étranger est présumé clandestin, où la police prend le pas sur la justice. Les droits des citoyens à circuler librement, à vivre en paix, à être défendus sont diminués. Les dangers de tension sociale, de conflit entre les communautés, d’explosion dans les prisons sont aggravés. Pour les signataires, ceux qui vivent en France valent mieux que la peur et la démission. La sagesse et la dignité, aujourd’hui, c’est refuser ces lois.

La lutte contre le terrorisme et le souci de la sécurité publique ne peuvent servir d’alibi pour justifier des atteintes aux libertés démocratiques. Ces textes remettent en cause tous les résultats déjà obtenus par les politiques de prévention et de réinsertion. En outre, ils menacent gravement nos libertés individuelles, et dérogent aux règles essentielles du droit pénal, ainsi qu’aux principes constitutionnels.

Le contrôle d’identité désormais possible en toute circonstance porte gravement et inutilement atteinte à la liberté même d’aller et venir. L’obligation pour les étrangers de présenter à chaque contrôle les documents les autorisant à séjourner en France fait de l’étranger un suspect permanent et légalise le délit de faciès. La suppression des garanties judiciaires sur les opérations de vérification d’identité laisse aux forces de police toute latitude, notamment celle de constituer des fichiers avec empreintes et photographies. Il suffira que la police estime constitué le délit de refus de se prêter aux opérations de vérification d’identité pour pouvoir mettre en mémoire ces fiches sans limitation de durée.

Ce recul des libertés fondamentales, pour quel résultat ? L’illusion de luttes contre l’insécurité, des bavures sûrement, la suspicion à l’égard des étrangers élevée au rang de loi.

L’alibi antiterroriste

Le projet relatif à la répression du terrorisme relève de la même duperie. Devant l’impossibilité de définir juridiquement le terrorisme, on propose, sur la base de critères flous, des procédures d’exception d’autant plus graves qu’elles échapperont à tout contrôle judiciaire véritable. La centralisation des poursuites à Paris, conjuguée aux dispositions d’exception sur la garde à vue de quatre jours ou la généralisation des perquisitions sans l’assentiment des personnes concernées en est un exemple.

Notion subjective et médiatique, la qualification de terrorisme laissera tout pouvoir d’appréciation à la police et au parquet. L’alibi antiterroriste peut être utilisé pour interdire aux associations dirigées par des étrangers, qui relèvent pourtant de la loi de 1901, toute action ou expression en faveur de la liberté dans leur propre pays. Peut-on admettre cette remise en cause des garanties légales de la sûreté individuelle et de l’égalité devant la loi lorsqu’elle se fonde sur des critères aussi incertains ?

Sous prétexte d’efficacité, on veut généraliser la procédure accélérée de comparution immédiate devant les tribunaux correctionnels, en dehors même des cas de flagrance. Ainsi, dans la plupart des cas, l’information judiciaire sera remplacée par la seule enquête policière. Cette procédure privera les juges de toute possibilité réelle d’adapter la sanction à la personnalité du délinquant et favorisera le recours systématique à l’emprisonnement. Le jugement accéléré d’un nombre important d’affaires, y compris dans des cas complexes, rendra illusoire l’exercice normal des droits de la défense.

Dangereux pour les libertés, inefficace pour la sûreté des personnes

La politique pénale à l’œuvre dans ces projets cède à la démagogie la plus simpliste et nous prépare à coup sûr des révoltes et du désespoir. La période de sûreté de trente ans instituée pour les longues peines ôte tout espoir aux condamnés. On limite l’érosion des peines sans créer de tribunal d’application des peines, sans prévoir d’autre incitation à la réinsertion. On instaure un droit de recours des décisions du juge d’application des peines au profit du seul procureur de la République. La défense sera absente. La notion même de procès équitable prévue par la Convention européenne des droits de l’homme est ici mise en cause.

Dangereux pour les libertés, inefficaces pour assurer la sûreté des personnes, ces quatre projets de loi sont inacceptables. C’est pourquoi les signataires appellent : leurs concitoyens à se mobiliser contre ces atteintes portées à leurs libertés individuelles ; les associations, syndicats et organisations démocratiques à protester publiquement contre la remise en cause de garanties fondamentales ; les parlementaires à ne pas voter des projets qui méconnaissent les exigences d’une justice sereine et équitable ; le Président de la République à user de son autorité morale et de ses prérogatives pour éviter à la France une législation contraire à ses traditions d’attachement aux droits de l’homme.



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Dernier ajout : lundi 23 juin 2014, 14:05
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