Défenseur des droits : Les droits fondamentaux des étrangers même en outre-mer

Extraits du rapport « Les droits fondamentaux des étrangers en France » (mai 2016)

LIRE CE RAPPORT EN PDF

sur le site du Défenseur des droits.

SYNTHÈSE


EXTRAITS DE CE RAPPORT SPÉCIFIQUES AUX PERSONNES ÉTRANGÈRES

L’éloignement des étrangers

Des entorses à l’interdiction d’éloignement des étrangers protégés par la loi

  • Le cas des mineurs isolés : une protection mise à mal par des procédures expéditives ou illégales
    • Des éloignements opérés au terme d’évaluations trop hâtives de la minorité
      [...]
    • À Mayotte : des éloignements opérés via le rattachement à un tiers non investi de l’autorité parentale (p.99)

L’interdiction absolue d’éloigner un mineur rencontre, dans les faits, un infléchissement important à Mayotte. Faute de pouvoir reconduire à la frontière un mineur isolé interpelé à son arrivée sur le territoire mahorais via une embarcation de fortune, l’administration cherche parfois à établir un lien artificiel entre cet enfant et un adulte en situation irrégulière arrivé par les mêmes moyens. De la sorte, la mesure d’éloignement prise à l’égard de l’adulte concerne également l’enfant. Dans la mesure où les procédures d’éloignement depuis Mayotte sont expéditives faute d’un véritable recours suspensif, la plupart des personnes sont éloignées avant que le juge n’ait été saisi.
Le Défenseur des droits a néanmoins pu être saisi, à plusieurs reprises, par des ressortissants comoriens résidant régulièrement à Mayotte dont les enfants, certains en très bas âge, avaient été placés en rétention administrative puis reconduits à destination des Comores. A chaque fois, il a présenté des observations et a, de ce fait, contribué à faire évoluer la jurisprudence.
Par exemple, dans sa décision n° MDE-MSP 2015-02 du 6 janvier 2015, il est intervenu devant le Conseil d’Etat dans le cadre d’un contentieux introduit par la mère d’un enfant de 9 ans, concerné par une telle pratique et éloigné après avoir été placé en centre de rétention. Plusieurs éléments permettaient pourtant d’attester que cet enfant disposait d’attaches familiales à Mayotte, ses parents y résidant sous couvert de titres de séjour portant la mention « vie privée et familiale ».
À l’aune de la jurisprudence interne et européenne, le Défenseur a observé que l’éloignement du mineur avait contrevenu d’une part, à l’article 8 de la Convention EDH, l’enfant devant pouvoir vivre auprès de ses parents et méconnu, d’autre part, l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que les stipulations de l’article 3 de la Convention EDH aux termes desquelles nul ne peut être soumis à un traitement inhumain ou dégradant. En effet, la mesure d’éloignement a eu pour conséquence de laisser livrer à lui-même un enfant âgé de 9 ans, sans que le préfet de Mayotte, ni le juge des référés de première instance, ne se soient assurés qu’il serait réacheminé en toute sécurité vers son pays d’origine, qu’il ne serait pas exposé à des risques de mauvais traitements et qu’il serait effectivement pris en charge par une personne habilitée à l’accueillir.

Par une décision du 9 janvier 2015, le juge des référés du Conseil d’Etat a considéré, comme le Défenseur des droits, que le placement en rétention et l’éloignement forcé d’un enfant mineur devaient être entourés des garanties particulières qu’appelle l’attention primordiale qui doit être accordée à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant, en vertu de l’article 3-1 de la CDE [1]. Il en découle que l’autorité administrative doit s’attacher à vérifier, dans toute la mesure du possible, l’identité d’un étranger mineur, la nature exacte des liens qu’il entretient avec la personne majeure qu’il accompagne, ainsi que les conditions de sa prise en charge dans le lieu à destination duquel il est éloigné. Le Conseil d’Etat a enfin enjoint à l’administration d’examiner la demande de regroupement familial au bénéfice de l’enfant dans un délai de 15 jours à compter de la réception du dossier, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Cette décision constitue une véritable avancée. Dans le prolongement de son ordonnance du 25 octobre 2014 [2], le Conseil d’État vient encadrer plus précisément l’action de l’administration, sachant que le prononcé de l’astreinte, particulièrement inhabituel dans ce type de contentieux, est de nature à l’obliger à plus de diligences lorsqu’un étranger mineur est en cause. Alors que le contrôle juridictionnel de ces mesures est particulièrement nécessaire, la plupart des reconduites à la frontière depuis Mayotte ont lieu en dehors du contrôle du juge, faute de droit au recours suspensif contre les mesures d’éloignement. Or, cette décision jurisprudentielle, aussi favorable soit-elle, ne règle rien concernant cette question de droit. Seul le législateur pourrait y remédier.

Reconduites exécutées en méconnaissance des formalités requises en matière de laissez-passer (p. 136)

Si l’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement doit en principe être renvoyé vers le pays dont il a la nationalité, le CESEDA réserve toutefois quelques exceptions à ce principe. D’abord, la personne qui bénéficie du statut de réfugié, de la protection subsidiaire ou qui a présenté une demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué, ne peut être renvoyée vers le pays dont elle a la nationalité. Ensuite, l’étranger peut également être renvoyé à destination d’un pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou de tout autre pays vers lequel il est légalement admissible1.
Lorsque l’étranger est en possession d’un passeport ou d’un document de voyage en cours de validité délivré par les autorités du pays de renvoi, la reconduite peut être exécutée sans autres formalités. En revanche, si l’étranger ne dispose pas de tels documents, la reconduite sera subordonnée à la délivrance, par les autorités consulaires du pays de renvoi, d’un laissez-passer consulaire, à moins qu’un accord de réadmission conclu avec le pays de renvoi envisagé n’en dispose autrement. Or, à plusieurs reprises, le Défenseur des droits a été saisi de pratiques tendant à contourner ces exigences : soit les autorités procèdent au renvoi de l’étranger vers un pays dans lequel il n’est en réalité pas légalement admissible (a), soit elles utilisent, à défaut de laissez-passer consulaires, des documents unilatéralement édités par elles (b).

  • a) Des reconduites illégales vers des pays où l’étranger n’est pas légalement admissible

En premier lieu, le Défenseur des droits a eu à connaître du cas d’un ressortissant chinois faisant l’objet d’une mesure d’éloignement prise par le Préfet de la Guyane, et renvoyé vers le Suriname, pays limitrophe à la Guyane. Le Préfet considérait en effet que le réclamant était légalement admissible au Suriname. Pourtant, l’instruction du dossier par les services du Défenseur a révélé qu’aucune des pièces versées au dossier ne permettaient d’établir que tel était bien le cas : le réclamant ne détenait aucun document de voyage en cours de validité lui permettant de s’y rendre et il n’avait pas été présenté au consulat de ce pays en vue d’obtenir un laissez-passer. En outre, le Défenseur a relevé, que si un accord bilatéral de réadmission avec le Suriname avait bien été signé par la France le 30 novembre 2004, ce dernier n’était toutefois pas en vigueur, faute d’avoir été ratifié. Dès lors, le Défenseur a considéré que le Préfet de la Guyane avait commis une erreur de droit en renvoyant le réclamant vers le Suriname et décidé de présenter des observations en ce sens devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux, saisie par le réclamant (décision n° MSP 2015-073). Ces observations ont été suivies par le juge qui a annulé la décision fixant le Suriname comme pays de renvoi en considérant que le fait pour l’intéressé de posséder un passeport chinois délivré par l’ambassade de Chine au Suriname n’était pas de nature à le faire regarder comme disposant d’un droit d’entrer ou de séjourner au Suriname. Dans sa décision, le Défenseur des droits précisait que le cas dont il se trouvait saisi ne constituait pas une espèce isolée mais révélait une pratique courante déjà portée à sa connaissance à plusieurs reprises.

Le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Intérieur d’intervenir auprès du Préfet de Guyane de façon à ce qu’il soit immédiatement mis fin aux éloignements des ressortissants étrangers séjournant irrégulièrement en Guyane vers des pays voisins comme le Suriname ou le Brésil dès lors que ceux-ci n’y sont pas légalement admissibles.
Le ministre de l’Intérieur pourrait également intervenir par voie d’instruction auprès de l’ensemble des préfets afin de préciser, au regard de la jurisprudence récente développée sur ce point, la portée de la notion de « pays dans lequel l’étranger est légalement admissible », la seule preuve du passage de l’étranger par ce pays ne pouvant suffire, en tout état de cause, à présumer qu’il y serait légalement admissible
 [3].

  • b) Du recours contestable à des documents unilatéralement émis par le pays procédant à l’éloignement pour pallier la non-délivrance de laissez-passer consulaires

En second lieu, le Défenseur des droits a eu à connaître de la pratique consistant à procéder à la reconduite d’étrangers dépourvus de passeport ou de documents de voyage valides sur la base, non pas de laissez-passer consulaires, mais de documents unilatéralement délivrés par les autorités françaises, en l’occurrence des « laissez-passer européens » et des documents dits « laissez-passer préfectoraux ». Or, l’existence juridique de tels documents est, sinon floue pour les premiers, tout simplement fictive pour les seconds.

  • Le recours à des laissez-passer « préfectoraux »

[...Le] Défenseur des droits interrogeait également le ministre de l’Intérieur sur une autre pratique, observée en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, et consistant en la délivrance unilatérale, par les préfets de ces îles, de laissez-passer dits « préfectoraux » en vue de permettre, d’une part l’acheminement des étrangers en instance d’éloignement vers le centre de rétention des Abymes en Guadeloupe et, d’autre part, leur éloignement en Haïti.
En réponse au Défenseur des droits, le ministère de l’Intérieur indiquait que si la préfecture de Saint-Martin avait bien recours à de tels laissez-passer préfectoraux pour les étrangers devant être acheminés vers le CRA des Abymes avant leur départ pour leurs pays d’origine, les reconduites vers ces pays étaient en revanche réalisées conformément aux règles en vigueur, avec l’utilisation de laissez-passer consulaires.
S’agissant du recours, par la préfecture de la Guadeloupe, à des laissez-passer préfectoraux en vue de procéder à des éloignements vers Haïti, le ministère précisait qu’il s’agissait là d’une pratique ancienne semblant résulter d’un accord tacite convenu entre le département et le consul d’Haïti anciennement en poste. Confirmant l’illégalité de cette pratique, le ministère indiquait que le préfet en cause avait donné instruction à ses équipes ainsi qu’à la sous-préfecture d’arrêter cette procédure et que des contacts avaient été pris avec les autorités consulaires de la République d’Haïti en vue de mettre en place une procédure applicable en matière de délivrance de laissez-passer consulaires pour les ressortissants haïtiens reconduits.

Le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Intérieur d’adresser aux préfets de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin une instruction fixant les modalités de délivrance d’un laissez-passer préfectoral permettant l’acheminement des étrangers au centre de rétention administrative des Abymes en Guadeloupe et rappelant l’impossibilité d’utiliser ce document aux fins d’éloignement d’un étranger à destination de pays voisins, notamment Haïti.

Les droits civils et politiques

La liberté d’aller et venir

  • Contrôle de l’identité et du séjour, un ciblage des étrangers
    • Les contrôles transfrontaliers (article 78-2 al. 4 du CPP) (p. 167)

En prévision de l’entrée en vigueur de la Convention Schengen en 1995, le législateur français a décidé de compenser la suppression des contrôles statiques aux frontières internes de l’espace Schengen par des contrôles en profondeur, de caractère aléatoire, effectués par la police aux frontières dans le but de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière et la délinquance transfrontalière. La zone frontalière est une bande de 20km à la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention Schengen. Les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international en font également partie. A titre d’exemple, toutes les gares parisiennes sont désignées par l’arrêté, ainsi que les aéroports de Roissy et d’Orly en font partie.
En 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que ces contrôles, en raison de leur caractère permanent, étaient contraires au droit de l’Union car équivalaient à des vérifications aux frontières. Si la loi du 14 mars 2011 a limité dans le temps ces contrôles - les opérations ne peuvent durer plus de 6h consécutives - et précisé qu’ils ne pouvaient pas être systématiques, peu d’éléments permettent au juge de vérifier que ces conditions sont bien respectées. Il en résulte que la législation en vigueur semble toujours pouvoir être considérée comme contraire au droit de l’Union européenne.
Par ailleurs, à partir du moment où l’interpellation s’effectue dans la zone frontalière, le contrôle est dispensé de toute justification et les agents de police n’ont pas à respecter la jurisprudence relative aux signes extérieurs et objectifs d’extranéité [4]. Or, les contrôles censés respecter cette exigence d’objectivité dans la détermination de celui qui est possiblement étranger sont déjà, on l’a vu, facilement discriminatoires. Il en va donc ainsi a fortiori d’un contrôle qui, pour être légal, nécessite uniquement d’être réalisé dans des lieux précis certes, mais très nombreux.

S’agissant des contrôles frontaliers, le Défenseur constate, outre ces problèmes généraux, des irrégularités liées à l’irrespect des zones dans lesquelles ces contrôles sont autorisés. Ainsi, il a constaté, dans une décision n° MDS 2013-235, qu’un contrôle d’identité avait été réalisé à Mayotte, sur ce fondement, en dehors de cette zone (d’un kilomètre à cet endroit du territoire français), contrairement d’ailleurs aux mentions contenues dans le procès-verbal d’interpellation.
A cet égard, l’application de l’article 78-2 alinéa 4 du CPP à Mayotte, comme en Guyane et en Martinique, alors même que la Convention Schengen ne s’y applique pas, interroge. En effet, la légitimité des contrôles frontaliers ne s’explique que par le fait qu’ils sont un pendant, une compensation, à la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen. En l’absence d’une telle liberté de circulation dans ces territoires, ces contrôles ne paraissent pas justifiés. [...]

S’agissant des contrôles frontaliers, le Défenseur des droits recommande au ministre de l’Intérieur que soit mise en œuvre [...] la suppression des contrôles frontaliers à Mayotte, en Guyane et en Martinique, territoires hors de l’espace Schengen.

L’accès à la justice

  • Droit à un recours effectif : une exclusion du droit commun préjudiciable aux étrangers présents outremer (p.179)

En métropole, l’étranger faisant l’objet d’une OQTF ne peut être éloigné avant l’expiration du délai de départ volontaire qui lui a été accordé ou, dans le cas où un tel délai lui aurait été refusé, avant l’expiration d’un délai de 48 heures à compter de la notification de la mesure d’éloignement. En outre, si l’étranger a saisi le tribunal administratif d’un recours contre cette mesure, il ne peut être éloigné avant que le juge n’ait statué sur sa demande [5]. Ainsi, l’étranger bénéficie d’un recours dit « suspensif » contre son éloignement. Or, en vertu d’un régime dérogatoire, ces dispositions ne s’appliquent pas à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin, et, pour une période de 5 ans régulièrement renouvelée, en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy [6]. Dans ces collectivités, le recours contre une mesure d’éloignement n’est donc pas suspensif et l’étranger peut être éloigné avant que le juge n’ait statué sur la légalité de la décision prise à son encontre.
A plusieurs reprises, le Défenseur a constaté, par voie d’observations devant les juridictions saisies ou de recommandations générales au gouvernement, que les procédures dérogatoires applicables Outre-mer n’étaient pas conformes aux exigences du droit européen relatives au recours effectif (voir par exemple : décision n° MDE-MSP 2015-02) .
En 2012, dans l’arrêt de Grande Chambre De Souza Ribeiro, la Cour EDH, précisément saisie de ces procédures d’exception, a en effet condamné à l’unanimité la France pour violation du droit au recours effectif tel que protégé par l’article 13 de la Convention [7]. Pour la Cour, lorsque l’intéressé invoque, contre l’exécution de son éloignement, des griefs tirés des articles 2 (droit à la vie) ou 3 (droit de ne pas subir de torture et de traitements inhumains et dégradants) de la Convention, ou des griefs tirés de l’article 4 du Protocole n°4 (expulsions collectives), il doit, pour que le droit au recours effectif soit garanti, bénéficier d’un recours de plein droit suspensif. Elle précisait que lorsque l’intéressé invoque des griefs tirés de l’article 8 (droit à la protection de la vie privée et familiale), les articles 8 et 13 de la Convention imposent néanmoins aux Etats, dans ce cas, de garantir à la personne concernée « une possibilité effective de contester la décision d’expulsion (…) et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes, par une instance interne compétente, fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité ».

Les premières réponses données par le gouvernement à cet arrêt de condamnation ont été peu satisfaisantes. Par instructions non publiées des 5 et 3 avril 2013, le ministre de l’Intérieur a en effet demandé aux préfets de la Guyane, de la Guadeloupe et de Mayotte, de même que le représentant de l’Etat dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, de procéder, chaque fois qu’un recours était engagé, à un examen au cas par cas des griefs invoqués par le requérant avant de mettre en œuvre son éloignement. Un tel contrôle, exercé par l’autorité administrative à l’origine de la décision litigieuse et non par une instance indépendante, n’est pas conforme aux principes dégagés par la Cour EDH dans l’arrêt De Souza Ribeiro.
Par ailleurs, en 2014, l’ordonnance portant extension et adaptation à Mayotte du CESEDA n’est pas revenue sur le droit dérogatoire applicable en matière d’éloignement. Plusieurs associations l’avaient alors déférée au Conseil d’Etat, estimant qu’elle n’était pas conforme au droit européen et le Défenseur avait présenté des observations dans le cadre de ce contentieux (décision n° MSP 2014-108). Par ordonnance du 24 juillet 2014 [8], le juge des référés a rejeté la requête, considérant que la condition d’urgence n’était pas remplie, notamment au regard du projet de loi relatif au droit des étrangers en France examiné la veille en conseil des ministres, lequel prévoyait qu’à Mayotte, les mesures d’éloignement ne pourraient plus faire l’objet d’une exécution d’office dans le cas où l’étranger aurait saisi le tribunal administratif d’une requête en référé-liberté sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative (CJA).
De telles dispositions ont effectivement été adoptées par la loi du 7 mars 2016.

Dans plusieurs avis relatifs au projet de loi sur le droit des étrangers, le Défenseur s’est prononcé sur ces dispositions (avis nos 15-17, 15-20, et 16-02 précités). Après avoir relevé l’avancée qu’elles constituaient, il remarquait qu’elles n’étaient toutefois pas pleinement conformes aux prescriptions de la Cour EDH puisqu’elles ne conféraient un caractère suspensif qu’au seul référé-liberté et non à l’ensemble des recours susceptibles d’être introduits contre une OQTF. Or, dans le cadre du référé-liberté, il est demandé au juge de constater que la mesure porte une atteinte grave et manifestement illégale à la sauvegarde d’une liberté fondamentale, ce dernier ne pouvant prendre que des mesures provisoires pour assurer la sauvegarde des droits fondamentaux invoqués ; il ne peut donc, dans ce cadre, annuler la décision litigieuse.

Surtout, le Défenseur remarquait que les prescriptions de la Cour EDH ne sauraient en tout état de cause être regardées comme respectées si l’accès au juge n’était pas effectivement garanti. Or, les associations intervenant en centres de rétention relèvent qu’il existe, en Outre-mer, une véritable difficulté sur ce point. En 2013 à Mayotte, par exemple, seules 93 des 16 000 personnes placées en rétention ont pu former un recours devant le juge administratif [9]. Ces difficultés s’expliquent en partie par l’exécution expéditive des mesures d’éloignement [10]. Ainsi, tant que cette situation perdurera, il sera le plus souvent impossible pour les étrangers retenus de déposer quelque recours que ce soit, suspensif ou non.
Pourtant, le législateur a préféré prévoir une nouvelle mesure dérogatoire plutôt que d’aligner le droit ultramarin sur celui de la métropole. En effet, en prévoyant un délai minimum de 48 heures avant toute exécution d’office d’une mesure d’éloignement, le droit commun laisse un peu de temps à l’étranger pour rassembler les éléments nécessaires à sa défense et saisir le juge d’un recours qui sera, en tout état de cause, suspensif de l’éloignement. Le motif invoqué par le gouvernement pour justifier le non-alignement de ces règles, à savoir le risque « d’engorgement et de paralysie des juridictions et des capacités d’action de l’autorité administrative » [11], ne semble pas admissible au regard de la jurisprudence de la Cour européenne, laquelle considère dans la décision De Souza Ribeiro précitée qu’il appartient aux États « d’organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de cette disposition ».

Pour ces raisons, le Défenseur des droits réitère ses recommandations tendant à la suppression de l’article L.514-1 du CESEDA et à l’alignement des règles applicables en Outre-mer sur les règles du contentieux administratif des OQTF de droit commun.
A tout le moins, il préconise d’interdire sans condition la mise à exécution de la mesure d’éloignement avant l’expiration du délai d’un jour franc à compter de la notification de cette décision. En l’état actuel du droit, cette possibilité est en effet offerte à l’étranger dans la seule hypothèse où l’autorité consulaire le demande, ce qui reste très rare dans les faits (article L.514-1 du CESEDA)
.

Les droits économiques et sociaux

Demandeurs d’asile : des entraves à l’accès aux conditions matérielles d’accueil (p. 214)

  • Ni ADA, ni CADA à Mayotte

[...] Quelques mois après l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2015, il est encore trop tôt pour appréhender l’ensemble des retombées de la réforme. Toutefois, le Défenseur des droits a d’ores et déjà connaissance de certaines difficultés relatives à sa mise en œuvre, et notamment à la mise en place de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA). Prévue à l’article L.744-9 du CESEDA, l’ADA remplace depuis le 1er novembre 2015 l’allocation mensuelle de subsistance (AMS) et l’allocation temporaire d’attente (ATA), respectivement versées auparavant aux demandeurs d’asile selon qu’ils étaient ou non hébergés en CADA. Elle est versée sous conditions d’âge (plus de dix-huit ans) et de ressources au demandeur d’asile qui a accepté les conditions matérielles d’accueil proposées par l’OFII.

[...], le décret du 21 octobre 2015 tire logiquement les conséquences de la loi du 29 juillet 2015 s’agissant de la situation dérogatoire des demandeurs d’asile de Mayotte. Ces derniers n’ont pas accès à un CADA mais seulement à une « structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l’asile pour l’accueil de demandeurs d’asile » et perçoivent, en lieu et place de l’allocation de droit commun, des « aides matérielles » [12]. Dans son avis n° 15-05 du 1er avril 2015, le Défenseur s’était ainsi prononcé en faveur d’un alignement des conditions matérielles d’accueil proposées à Mayotte sur celles du territoire métropolitain, le droit de l’Union européenne s’appliquant sur cette île, comme en métropole.

Afin d’assurer un accueil des demandeurs d’asile respectueux de leurs droits fondamentaux et conforme aux exigences européennes, le Défenseur des droits recommande :
D’aligner les conditions matérielles d’accueil proposées aux demandeurs d’asile de Mayotte sur celles offertes sur l’ensemble du territoire métropolitain. [...]


Notes

[1En se fondant non plus sur l’article 8 de la CEDH mais sur l’article 3-1 de la CDE, le juge des référés du CE considère donc que l’intérêt supérieur de l’enfant est une liberté fondamentale qui peut être invoquée dans le cadre de la procédure de référé liberté prévue à l’article L.521-2 du CJA dans le contentieux de l’éloignement des étrangers mineurs.

[2CE, réf., 25 oct. 2014, n°385173

[3CAA Douai, 6 nov. 2014, n°14DA00096 ; CAA Bordeaux, 11 mai 2015, n°14BX03064

[4C.cass., 1ère civ., 25 mars 2009, n°08-11.587

[5CESEDA, article L.512-3.

[6- CESEDA, article L.514-1.

[7CEDH, 13 déc. 2012, De Souza Ribeiro c. France, n°68780/10.

[8CE, réf., 24 juillet 2014, n°381551.

[9Centres et locaux de rétention administrative, Rapport des associations intervenant en CRA 2013, p. 26.

[10Les placements en CRA, pour la quasi-majorité d’entre eux, sont inférieurs à un jour à Mayotte.

[11Etude d’impact du projet de loi relatif au droit des étrangers en France

[12CESEDA, article L.744-7, al. 2

[retour en haut de page]

Dernier ajout : mercredi 11 mai 2016, 10:18
URL de cette page : www.gisti.org/article5355