Édito extrait du Plein droit n° 77, juin 2008
« Les chiffres choisis de l’immigration »
Régularisations au compte-gouttes
ÉDITO
À l’approche de la présidence française de l’Union européenne, l’objectif de Brice Hortefeux « est d’aboutir à un accord qui laisse à chaque État la responsabilité de choisir qui il veut accueillir sur son territoire, mais entraîne chaque gouvernement à s’engager à refuser toute régularisation générale et massive des sans-papiers » (L’Express, 29 mai 2008). Sur le sort à réserver aux travailleurs sans-papiers qui font la grève, le ministre de l’immigration ajoute que « les régularisations se limiteront certainement, au total, à quelques centaines de personnes ». Autrement dit, elles ne concerneraient même pas tous les salariés grévistes ! On est loin du compte et les espoirs générés par le mouvement engagé par la CGT et Droits devant !! peuvent déjà commencer à s’envoler.
De la même façon, il est inutile de chercher à savoir quels seront les élus et quels critères auront été déterminants pour donner un titre ou le refuser. C’est le lot des procédures de régularisation ou d’« admission exceptionnelle au séjour », pour reprendre le terme employé dans la loi. Ces procédures permettent de mettre le curseur là où les autorités, de façon concertée, sur instruction du ministère ou tout simplement selon leur bon vouloir, auront décidé de le placer. Plusieurs fois, dans ces tribunes, nous avons eu l’occasion de dire que les mots « justice », « équité » ou encore « égalité » (de traitement) n’avaient pas leur place dans les procédures de cette nature, même lorsqu’elles ont pour support une disposition légale, comme c’est le cas pour les travailleurs sans papiers – à savoir l’article 40 de la loi Hortefeux du 20 novembre 2007, qui est venu modifier le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), en prévoyant la possibilité d’admettre exceptionnellement au séjour les étrangers en situation irrégulière s’ils exercent un métier « sous tension ».
Une certitude pour commencer : les préfectures, saisies des dossiers des travailleurs sans papiers en grève, défendus par les syndicats, les examinent au cas par cas. Il n’est nullement question d’un traitement global même si les personnes concernées fournissent les documents requis. Dans le contexte actuel, il ne faudrait quand même pas laisser croire qu’il « suffit » de se mettre en grève pour obtenir satisfaction ! Bien entendu, il ne s’agit pas d’une grève ordinaire puisque, dans les situations présentées, les employeurs sont d’accord pour soutenir la revendication, à défaut d’en être les maîtres. C’est la condition sine qua non pour accepter les dossiers : lesdits employeurs doivent remplir les formulaires prévus à cet effet, le contrat de travail et l’engagement à verser la redevance à l’Anaem. On comprend ici la tactique syndicale : a priori, seuls les salariés déclarés, ayant bulletin de salaire et contrat en règle peuvent faire pression sur leurs employeurs, présumés de bonne foi et apprenant d’un coup la situation irrégulière de leur(s) salarié(s), pour entamer un processus de régularisation. Seul alors le versement de la redevance peut constituer un obstacle car, pour le reste, rien ne va changer dans les relations de travail (de prime abord).
DES incertitudes pour continuer : les préfectures n’ont pas toutes les mêmes exigences s’agissant des documents à fournir, en dehors de ceux liés au travail proprement dit. Ainsi, la préfecture de Paris a décidé de fixer une durée minimale de séjour habituel en France pour prétendre à l’admission exceptionnelle, soit cinq ans. Pourquoi cinq et pas deux, dix ou vingt ? Cette règle ne figure pas, par exemple, dans la circulaire du 7 janvier 2008 relative à la mise en oeuvre de l’article 40 précité. Il paraît que la préfecture de la capitale entend donner le tempo. À suivre...
Reste tous ceux dont la situation ne s’inscrit pas directement dans la mobilisation actuelle. On pense d’abord aux travailleurs isolés dans leur entreprise et qui, pour cette raison, ne peuvent user de la grève. Il y a aussi ceux qui travaillent sans être déclarés. Ils sont nombreux à connaître cette situation dans certains secteurs d’activité, notamment la confection et les services aux personnes. Les dossiers de salariés employés chez des particuliers, et présentés par la CGT lors de la première vague de grèves, restent toujours bloqués dans les services préfectoraux et ne seraient pas étudiés. Combien sont-ils aussi à ne pas vouloir prendre le risque de perdre leur emploi salarié en révélant qu’ils sont sans papiers ? Enfin, il y a tous ceux qui n’exercent pas d’activité salariée pour diverses raisons (présence d’enfants, maladie…).
Le mouvement en cours a eu des effets positifs : il a remis sur le devant de la scène la cause des sans-papiers, et le large traitement médiatique dont il a bénéficié a laissé apparaître des personnes travaillant normalement dans le cadre des lois sociales. Dans un contexte politique difficile où le gouvernement campe sur une position intransigeante et continue à mettre en oeuvre et à justifier les pires pratiques à l’égard des étrangers, ce n’est déjà pas si mal.
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