2009 : deux circulaires restrictives sur les protections contre une poursuite pour « délit de solidarité » validées par le Conseil d’Etat

1. Les deux circulaires

  • Circulaire du 20 novembre 2009 (CRIM 09-13/E1-23.11.09, NOR : JUS/D/927949C), relative à l’application de l’immunité prévue à l’article L. 622-4-3° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile du ministre d’État, Garde des Sceaux, adressée aux procureurs généraux auprès des cours d’appel et aux procureurs de la République près des tribunaux de grande instance
    Circ. 23 novembre 2009
  • Circulaire du 23 novembre 2009 (NOR : IMI/K/0900091/C), relative à la mise en oeuvre des articles L. 622-1 et L. 622-4 du Ceseda relatives à l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour des étrangers en situation irrégulière du ministre de l’immigration aux préfets
Circ. 23 janvier 2009

Attention ! Ces circulaires ont été abrogées par Circulaire du 18 janvier 2013 relative à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressée.

2. Recours en annulation et référé suspension déposés le 20 décembre conjointement par onze associations (Comède, Emmaüs-France, Fasti, Gisti, La Cimade, LDH, MDM, Mrap, SAF, SOS Racisme, Syndicat de la magistrature) contre ces deux circulaires.
Il est notamment fait grief à ces circulaires de contenir des instructions impératives à destination des parquets et des préfets et de donner une définition plus restrictive que celle qui découle des dispositions légales des hypothèses dans lesquelles les personnes qui viennent en aide aux étrangers sans papiers ne devraient pas être poursuivies.

3. Conseil d’État, n°334879, 15 janvier 2010 - rejet de la requête en référé suspension

Extraits
« Considérant, toutefois, que si la circulaire fait état, s’agissant de l’immunité pénale résultant du 3° de l’article L. 622-4, des membres des associations, cette mention n’a, ainsi que l’ont confirmé à l’audience de référé les représentants du garde des sceaux, ni pour objet, ni pour effet d’exclure de l’immunité prévue par la loi les actes réalisés par des personnes autres que les membres d’association ; que, de même, en ce qui concerne les prestations visées, il résulte des termes mêmes de la circulaire qu’elle n’en mentionne certaines qu’à titre d’exemple ; qu’ainsi elle n’a pas pour effet de recommander aux parquets d’engager des poursuites pénales du chef d’aide au séjour irrégulier, lorsque la fourniture d’aide présente d’autres formes que celles qu’elle mentionne ; que, si la circulaire recommande l’absence de poursuites « lorsque l’acte visé n’a d’autre objectif que d’assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger en situation irrégulière », alors que la loi exclut de la poursuite tout acte « nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger », la mention contestée doit s’entendre, ainsi que les représentants du garde des sceaux l’ont spécifié lors de l’audience, comme rappelant que les actes ayant donné lieu à contrepartie sont exclus du bénéfice de l’immunité résultant du 3° de L’article L. 622-4 ; qu’enfin, la circulaire ayant pour seul objet de fournir aux parquets des recommandations sur l’application de cette immunité spéciale, elle ne saurait avoir pour effet, ainsi que l’ont également confirmé à l’audience les représentants du ministre, de leur prescrire d’écarter l’immunité générale prévue, en cas d’état de nécessité, par l’article 122-7 du code pénal ;

Considérant en second lieu que, si la circulaire du ministre de l’immigration, après avoir fait référence à celle du garde des sceaux qui y est annexée, demande aux préfets, ainsi qu’il a été dit plus haut, « de tenir compte, en matière de police administrative, des préconisations faites en matière de contrôle des lieux où est délivrée une assistance humanitaire à des étrangers en situation irrégulière », cette mention renvoie ainsi au passage de la circulaire de la chancellerie appelant l’attention « sur le caractère inopportun de procéder, au seul motif du séjour irrégulier de l’étranger ou de l’aide au séjour irréguliers des membres associatifs ou bénévoles, à des contrôles d’identité ou à des interpellations dans les lieux d’intervention des associations humanitaires ou à proximité de ceux-ci » ; qu’elle ne saurait, en tout état de cause, avoir pour effet de permettre aux préfets de décider de procéder à des contrôles d’identité en matière de police administrative en dehors des prévisions de la loi, notamment de l’article 78-2 du code de procédure pénale, ni de tenir en échec les pouvoirs qui appartiennent en la matière à l’autorité judiciaire ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’application des circulaires litigieuses n’est pas, par elle-même, susceptible d’affecter les conditions dans lesquelles les personnes qui apportent une assistance humanitaire à des étrangers en situation irrégulière seraient susceptibles de faire L’objet de poursuites, sur le fondement de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; qu’ainsi, il n’apparaît pas que l’exécution des actes dont la suspension est demandée pourrait affecter, de manière suffisamment grave et immédiate, la situation des requérants ou les intérêts qu’ils entendent défendre ; que, dans ces conditions, la condition d’urgence ne peut être regardée comme remplie. »

CE, 15 janvier 2010

4. Conseil d’État, n°334878, 19 juillet 2010 - rejet de la requête au fond

Extraits.

Considérant que l’article 1er de la directive n° 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002, dont l’objectif est de rapprocher les dispositions juridiques existantes, notamment en ce qui concerne la définition précise de l’infraction considérée, dispose que :
1. Chaque État membre adopte des sanctions appropriées :
a) à l’encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d’un État membre à pénétrer sur le territoire d’un État membre ou à transiter par le territoire d’un tel État, en violation de la législation de cet État relative à l’entrée ou au transit des étrangers ;
b) à l’encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d’un État membre à séjourner sur le territoire d’un État membre en violation de la législation de cet État relative au séjour des étrangers ;
2. Tout État membre peut décider de ne pas imposer de sanctions à l’égard du comportement défini au paragraphe 1, point a), en appliquant sa législation et sa pratique nationales, dans les cas où ce comportement a pour but d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée ;

Considérant qu’il résulte clairement de ces dispositions que les Etats membres doivent prévoir des sanctions pour l’aide au séjour irrégulier lorsque cette aide est apportée en toute connaissance de cause et dans un but lucratif ; que la directive n’interdit en revanche pas aux États membres de sanctionner aussi l’aide au séjour irrégulier à des fins non lucratives ; que dès lors la circulaire, qui ne fait que réitérer les dispositions du 3° de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en permettant de sanctionner l’aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif mais aussi dans un but non lucratif, est conforme aux objectifs de cette directive.

CE 19 oct. 2010

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Dernier ajout : mardi 31 janvier 2017, 08:07
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