Édito extrait du Plein droit n° 104, mars 2015
« Aux frontières de l’Europe, les jungles »
Contrôles au faciès : le DDD s’énerve
ÉDITO
Le 13 février 2015, le Défenseur des droits (DDD) a rendu publiques les observations qu’il a ensuite présentées devant la cour d’appel de Paris, à la demande de treize plaignants – douze hommes et une femme – se considérant victimes de contrôle d’identité discriminatoires. La position adoptée par cette autorité a fait grand bruit et a naturellement séduit celles et ceux qui dénoncent depuis longtemps les pratiques policières… même si on attend que ces observations se traduisent par des mesures concrètes, comme s’y est engagé en son temps le président de la République.
Rappelons le cadre dans lequel le Défenseur des droits est intervenu. En 2012, treize personnes, dont l’identité avait été contrôlée sans qu’aucune procédure ne fasse suite à cette opération, assignent l’État et le ministre de l’intérieur devant le tribunal de grande instance de Paris afin que soit constatée leur responsabilité et qu’ils soient condamnés à réparer le préjudice subi. Au-delà de leur cas, il s’agit pour les intéressé·e·s de dénoncer des pratiques récurrentes et de mettre en évidence l’absence de recours effectif contre ces opérations policières trop mal encadrées par la loi. Le tribunal les déboute au motif que la preuve d’un traitement discriminatoire ou inapproprié des forces de police n’est pas rapportée.
Les plaignants font appel et saisissent dans le même temps le Défenseur des droits. Ce dernier a donc présenté devant la cour des observations dont on espérait qu’elles puissent infléchir la décision judiciaire à venir – le verdict est attendu pour le 24 juin. Mais la venue du Défenseur à l’audience, en la personne de son avocat, a été plutôt mal perçue : le président de la cour s’est même cru autorisé à demander à l ‘avocat de justifier de son droit de plaider et de présenter des observations [1] !
Selon le Défenseur des droits, « les contrôles d’identité effectués de manière discriminatoire à l’égard de personnes, en raison de leur origine, de leur nationalité ou de leur couleur de peau appellent de la part des autorités l’adoption de mesures concrètes et fermes propres à prévenir et à réprimer ce type d’actes ». Le dispositif français n’assure pas une protection suffisante au regard des dispositions du code de procédure pénale et des exigences du droit international, comme l’observent d’ailleurs depuis plusieurs années six organisations rassemblées autour de Open Society et de Human Rights Watch [2]. Or ce manque d’encadrement favorise les pratiques discriminatoires. Les critères retenus par la loi, censés guider les interventions des forces de police en matière d’interpellations et de fouilles corporelles, reposent essentiellement sur des éléments « subjectivement appréciés par le fonctionnaire de police ». La formule interdit toute délimitation réelle et, partant, toute vérification des raisons qui justifient le contrôle.
Les observations du Défenseur des droits sont claires : il relève l’absence de traçabilité des contrôles d’identité – il ne reste aucun document écrit lorsque le contrôle n’a pas débouché sur une procédure de vérification d’identité [3]. Mais il déplore aussi le défaut de contrôle a priori des interventions sur réquisitions du procureur de la République et l’insuffisance des contrôles a posteriori. Ses recommandations sont, elles aussi, sans ambiguïté : il plaide pour un nécessaire aménagement de la charge de la preuve du traitement discriminatoire, qui ne doit pas reposer entièrement sur la victime, et pour la garantie, pour le justiciable, d’une voie de recours effective contre les mesures portant atteinte au principe de l’égalité de traitement.
Reste à savoir quelle sera la portée de ces observations. Au-delà de l’affaire des treize plaignants dont on attend avec impatience l’issue, la position adoptée par le Défenseur des droits, dont la mission est consacrée, rappelons-le, par la Constitution, devrait en principe amener le gouvernement à envisager une réforme des articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale qui régissent les contrôles d’identité. Certes, les observations du Défenseur des droits ne concernent que les contrôles d’identité effectués dans ce cadre et non pas les interpellations réalisées dans le cadre de la police des étrangers [4]. Mais il est évident que toute réforme visant à restreindre les marges de manœuvre de la police et à garder trace des opérations de contrôle [5] aurait des répercussions sur les procédures d’éloignement des étrangers sans papiers.
La révision en profondeur de l’article 78-2 par la remise en cause des contrôles préventifs ou encore la mise sous surveillance des interpellations menées sous couvert de réquisitions serait bienvenue pour les organisations de défense du droit d’asile et des étrangers. Mais il y a fort à parier que le gouvernement n’en fera rien pour diverses raisons : outre le confort qu’une réglementation aussi laxiste procure dans la chasse aux personnes étrangères en situation irrégulière, il craindra, comme tous les gouvernements avant lui, de s’opposer aux syndicats de policiers. Cette frilosité est d’autant plus regrettable que les contrôles d’identité, on le sait, ne servent pas à prévenir les menaces pour l’ordre public, non plus qu’ils ne permettent par eux-mêmes de lutter contre la délinquance. Ils sont malheureusement trop souvent utilisés comme une « arme symbolique d’humiliation » à l’égard d’une certaine frange de la population [6].
Notes
[1] La Cour de cassation a clairement dit que l’intervention de la Halde dans un procès ne portait pas atteinte aux exigences du droit à un procès équitable et à l’égalité des armes (Cass. Soc. 2 juin 2010, pourvoi n° 08-40628). La même solution s’applique au Défenseur des droits.
[2] Le Gisti fait partie de ce collectif qui regroupe également Graines de France, la Ligue des droits de l’Homme, la Maison pour un développement solidaire, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature.
[3] La vérification s’effectue, en général, dans un local de police, lorsque la personne ne peut justifier de son identité lors du contrôle. Elle donne lieu à la rédaction d’un procès-verbal.
[4] L’article L. 611-1 du Ceseda articule contrôle d’identité et contrôle du séjour.
[5] Les organisations précitées revendiquent la mise en place d’un récépissé que les forces de l’ordre devraient remettre aux personnes contrôlées.
[6] Emmanuel Blanchard, « Contrôle au faciès : une cérémonie de dégradation », Plein droit n° 103, décembre 2014->.
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