Édito extrait du Plein droit n° 110, octobre 2016
« #Étrangers_connectés »
Et maintenant, les camps humanitaires
ÉDITO
Une fois de plus, s’annonce, dans les semaines qui viennent, une opération dite de « démantèlement » de la jungle de Calais, ou ce qu’il en reste depuis l’évacuation, en mars dernier, de sa zone Sud.
Nul ne peut souhaiter que perdure un bidonville comme celui qui grossit jour après jour à Calais, et que soient maintenus dans un lieu aussi indigne des hommes, des femmes et des enfants ayant fui la guerre ou des États plongés dans le chaos.
Les conditions de vie dans la jungle de Calais ont été maintes fois dénoncées par des ONG, par le Défenseur des droits ou la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), et même via des décisions de justice comme celles prises en novembre et décembre 2015 par le tribunal administratif de Lille puis par le Conseil d’État, enjoignant aux pouvoirs publics d’apporter divers remèdes aux insupportables atteintes aux droits fondamentaux subies par les exilés dans ce camp. Dans sa décision du 22 juillet dernier, le Défenseur des droits note que les conditions de vie des migrants à Calais se sont encore dégradées par rapport à sa précédente mission sur place, entre autres du fait de la destruction brutale en mars des « lieux de vie » (restaurants, boutiques, écoles, églises et salles de prière, cabanes pour l’accès à internet…). Le démantèlement annoncé est-il dès lors une réponse adaptée ?
L’une des particularités de ce campement est qu’il est né de la volonté des pouvoirs publics ; les migrants, en effet, ont été incités à s’installer aux abords d’un camp créé pour quelques familles et mineurs. L’histoire se répète : le camp de Sangatte, détruit en 2002, avait, lui aussi, été créé pour regrouper hors de Calais les exilés. L’histoire se répète aussi dans la communication autour de ces « démantèlements » : de même que Nicolas Sarkozy en 2002, Éric Besson en 2009, Bernard Cazeneuve fait comme si cette énième grande opération d’évacuation était susceptible de régler la question, comme si la seule difficulté à résoudre était de trouver, dans différentes régions de France, suffisamment de places d’hébergement.
« Nous allons mettre en place un sas de départ depuis lequel il ne sera plus possible de retourner dans la jungle », a déclaré la préfète du Nord. Qu’adviendra-t-il des 9 000 à 10 000 personnes habitant ce camp, certaines depuis des mois, voire des années, d’autres venant tout juste d’arriver Des cars devraient les conduire dans les divers centres d’accueil et d’orientation (CAO), créés sur l’ensemble du territoire, qui sont censés leur fournir un « accompagnement social » et les orienter vers les dispositifs ou structures qui correspondent à leur situation et à leur souhait. On sait cependant que ces lieux sont loin de tous fonctionner de façon satisfaisante : ici des personnels ignorant tout de la réglementation de l’asile, là l’absence totale d’interprètes, ailleurs une situation géographique qui rend difficile la moindre démarche administrative… Les CAO, pensés comme des « lieux de répit », donc pour de courtes durées, ne peuvent, de toute façon, pallier la pénurie de places et de moyens dévolus à l’accueil des personnes qui demandent une protection internationale en France. Tant que ne seront pas respectées les obligations de la France en matière d’accueil des demandeurs d’asile, les exilé·e·s continueront à errer ou à se regrouper dans des camps de fortune, à Calais ou en tout autre point sur la route vers le Royaume-Uni.
Pendant ce temps, à Paris, plus d’une trentaine d’évacuations de campements ont été opérées depuis 2015, et c’est désormais quasiment chaque semaine qu’ont lieu des expulsions, le plus souvent accompagnées de violences policières et d’arrestations, y compris de personnes en cours de demande d’asile[Le collectif La Chapelle Debout fait état de 2 500 arrestations, 64 placements en centres de rétention administrative et plus de 250 obligations de quitter le territoire français (OQTF)] ! La ville de Paris tente de justifier ces opérations par l’état d’insalubrité de ces campements et met en avant son projet d’un « camp humanitaire » pour migrants primo-arrivants dans une sorte de no man’s land à proximité du périphérique. Il est prévu qu’on y triera les personnes en fonction, notamment, de leur éligibilité à l’asile. Un « hotspot » comme on en voit en Grèce ou en Turquie, en somme.
Qu’un camp humanitaire soit créé dans la capitale même d’un pays comme la France laisse pour le moins interdit ! Ce pays, parmi les plus grandes puissances du monde, n’aurait ainsi pour seule alternative en matière d’accueil des réfugié·e·s que les bidonvilles comme celui de Calais ou le camp humanitaire à l’instar de ceux installés dans des zones de guerre, d’exode ou de catastrophe environnementale Une procédure de droit commun existe pourtant pour l’accueil des demandeurs d’asile. Mais le délai d’accès aux guichets où demander l’asile est aujourd’hui, à Paris comme dans le Nord, de plusieurs mois, et le nombre de places dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) est notoirement insuffisant. En 2002, la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) estimait déjà nécessaire d’augmenter fortement le nombre de places indispensables pour accueillir correctement les demandeurs d’asile ; elle n’a guère été entendue. Aujourd’hui, c’est en dehors de tout dispositif légal que s’organise un pseudo-accueil subordonné à des considérations policières et politiques.
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