Édito extrait du Plein droit n° 112, mars 2017
« Travailleurs sociaux précarisés, étrangers maltraités »

Délinquants solidaires, le droit à la désobéissance

ÉDITO

« Le délit de solidarité n’existe plus ». Cette déclaration de Manuel Valls, ministre de l’intérieur lors de la réforme en 2012 de l’article L. 622 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France, faisait écho à celle d’Éric Besson, précédent ministre en charge de l’immigration, qui avait osé affirmer, en mars 2009 : « En 65 années d’application de cette loi, personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière [1]. »

Las, les cas d’immunité ou d’exemption prévus par la loi du 31 décembre 2012 « relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit pour séjour irrégulier pour exclure les actions humanitaires et désintéressées », pas plus que ceux introduits par de précédentes réformes (1996, 1998, 2003, 2006, 2011), ne changent rien à l’affaire : de 1986 à 2016, le Gisti a pu recenser pas moins d’une quarantaine de condamnations sur le fondement de cet article L. 622-1 du Ceseda, lequel dispose qu’est punissable d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros « l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’une personne en situation irrégulière ».

À cette longue liste de condamnations, qui dément les affirmations d’impunité pour les « aidants » agissant par solidarité et sans contrepartie, se sont ajoutés au fil des ans d’autres cas d’interpellations, de gardes à vue, de poursuites, parfois de condamnations, sous toutes sortes d’autres chefs d’accusation. « Infraction au code de l’urbanisme » pour avoir installé sans permis un abri pour des exilés, « dépôt d’immondices sur la voie publique », pour avoir nettoyé un campement, « fausse déclaration par personne physique », pour avoir délivré des attestations d’hébergement, « violences contre des agents de police », « violences à agent dépositaire de l’autorité publique avec arme par destination » (l’arme en question étant… un vélo), etc.

Car la réalité est celle-ci : si certains élus de tous bords ont, dans le contexte de la mal nommée « crise migratoire », exprimé haut et fort leur refus d’accueillir des migrants dans leurs villes, des centaines de personnes, anonymes, parfois sans aucun lien avec le milieu militant, accueillent et viennent en aide à des personnes étrangères sans se soucier de leur nationalité, ni de leur statut administratif. Face à l’incurie des pouvoirs publics, à l’inaction de certaines collectivités territoriales, à la violence institutionnelle dans le traitement des migrants – à Calais, à la frontière franco-italienne et dans bien d’autres lieux –, nombreux sont celles et ceux que les pressions policières, les interpellations, les gardes à vue, les perquisitions à domicile, voire la confiscation de leurs biens ne découragent pas quand il s’agit de soutenir des hommes, des femmes et des enfants.

Selon Amnesty International France, qui a réalisé une mission d’observation à la frontière avec l’Italie du 19 au 26 janvier 2017 [2], « les personnes contrôlées à la frontière se retrouvent en majorité privées de toute possibilité de faire valoir leurs droits, notamment celui de solliciter l’asile. Les enfants non accompagnés ne font pas l’objet de l’attention requise au regard de leur situation de vulnérabilité ». Et d’affirmer que « ce sont précisément ces violations des droits humains commises par les autorités françaises qui ont contraint des citoyens à se mobiliser pour venir en aide aux personnes réfugiées et migrantes ; des citoyens qui, de façon paradoxale, se retrouvent, pour certains, poursuivis par l’État français ». N’est-ce pas plutôt l’État qu’il faudrait condamner pour non-assistance à personne en danger, délaissement de mineurs, violation des conventions internationales qu’il a pourtant signées, etc. ?

La mobilisation est la seule réponse possible au harcèlement et à la recrudescence des poursuites judiciaires. Le 12 janvier dernier a été publié un manifeste, « La solidarité, plus que jamais un délit », rapidement signé par plus de 400 associations, collectifs et syndicats locaux, nationaux, européens et internationaux, avec le soutien de quelques organisations politiques. Comme tous les authentiques lanceurs d’alerte [3], les délinquants solidaires sont la cible d’une vindicte politique et d’un harcèlement juridique. Il faut inverser la donne et revendiquer un droit à la désobéissance civile, seule voie permettant une opposition véritable aux politiques xénophobes menées en notre nom.




Notes

[1Lettre du ministre de l’intérieur, Éric Besson, aux associations signataires du texte « Si la solidarité devient un délit, nous demandons à être poursuivis pour ce délit ! », 7 avril 2009.

[3Lanceur d’alerte, aussi, sur un autre terrain, Ibtissam Bouchaara, cette éducatrice spécialisée qui a dénoncé les conditions indignes d’accueil des mineurs dans un CAOMI de la Marne et qui le paie, pour l’instant, au prix fort (mise à pied à titre conservatoire et menace de licenciement). Lire son témoignage dans ce numéro de Plein droit.


Article extrait du n°112

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Dernier ajout : lundi 20 mars 2017, 10:36
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