Article extrait du Plein droit n° 113, juin 2017
« Exploitations »
Mafia et traite boulevard de Strasbourg
Marilyne Poulain
UD-CGT Paris
La mobilisation des salarié·e·s du 57, boulevard de Strasbourg trouve ses origines dans un autre salon de coiffure et de manucure situé tout près au 50, boulevard de Strasbourg : en février 2014, les sept salariées, Chinoises et Africaines, entament une grève après la disparition de leur patron avec leurs arriérés de salaires et se tournent vers l’union locale (UL) CGT du 10e arrondissement – la section avait été en contact avec l’une d’entre elles lors de grèves menées en 2009 dans le secteur de la restauration. Les salariées, en France depuis sept ans environ, sont régularisées à l’issue du conflit : le critère de l’ancienneté de leur séjour leur a permis d’obtenir gain de cause. Avant que cette première lutte ne commence, une partie des salariées du 50, les Africaines notamment, avaient été transférées dans un autre salon de coiffure et de manucure, sis au 57, boulevard de Strasbourg. Lors du transfert, elles n’avaient toujours pas été payées pour le travail accompli au 50. Cette transférabilité montre d’ailleurs que le système d’exploitation est bien huilé.
Au 57, dix-huit salarié·e·s sont employé·e·s, dont deux hommes ; quatorze sont sans papiers. Leur traitement diffère selon leur nationalité : les Nigérian·e·s travaillent au sous-sol, les Africain·e·s francophones (de Côte d’Ivoire, Guinée, Burkina Faso, Sénégal et Mali) en vitrine, les Chinoises au premier étage. Et plus on descend, plus les conditions de travail se dégradent. Les Nigérian·e·s travaillent dans un local vétuste, à la lumière artificielle faute d’ouverture et manipulent des produits extrêmement nocifs, cancérigènes et interdits à la vente... Les salarié·e·s sont payé·e·s à la tâche mais leur commission diffère suivant les nationalités : 60 % pour le patron et 40 % pour les Africain·e·s, 50-50 % pour les Chinoises qui ont également négocié une meilleure rémunération puisqu’elles perçoivent autour de 1 000 euros par mois quand les Africain·e·s touchent entre 100 et 300 euros. Après plusieurs mois de non-paiement de leur salaire, ces salarié·e·s décident de protester et d’arrêter le travail, la cohésion du groupe étant assurée par la plus jeune, Aminata, Guinéenne de 19 ans.
Première grève, 23 mai-7 juin 2014
Avec la lutte victorieuse du 50 qui a conduit à la régularisation, les salarié·e·s ont pris conscience de la possibilité de se rebeller et de faire valoir leurs droits avec l’appui d’un syndicat, et se mobilisent cette fois contre leurs employeurs. Rusés, ceux-ci ont organisé une passation de gérance de l’entreprise – du gérant de fait à l’ancien gérant de droit que les salarié·e·s n’ont jamais rencontré. Le nouveau patron se rend dans le salon pour « virer » ses salarié·e·s qui commencent à protester. C’est alors que la CGT (union locale, départementale et du commerce) est appelée en renfort, qui, elle-même, saisit l’inspection du travail du secteur (10e arrondissement). Le nouveau gérant, de son côté, fait appel à la police, menaçant ses salarié·e·s de rafle – un moyen de pression habituel dans le salon. Mais, du fait de la présence de la CGT, la police n’intervient pas – c’est un des acquis des grèves de 2008 : dans les conflits du travail qui impliquent des sans-papiers, la police n’intervient pas, reconnaissant de fait leur statut de « salariés ». L’inspection du travail, accompagnée du responsable de la main-d’œuvre étrangère (Paris) de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), peut effectuer un premier constat puisque les salarié·e·s sont à leur poste ; elle relève diverses infractions en matière d’hygiène et de sécurité, de paiement et de niveaux des salaires, d’absence de déclaration aux organismes sociaux, etc. Le procès-verbal de l’inspection, dressé a posteriori après plusieurs constats, comprend 38 pages et dénombre pas moins de 14 infractions.
La grève avec occupation est décidée officiellement le 23 mai au soir par les salarié·e·s et dure jusqu’au 7 juin. Au départ, elle prend une tournure « classique » et permet une remise aux normes en termes de droit du travail : déclarations rétroactives, fiches de paie, signature de contrats de travail de 35 heures, avancées sur les conditions de travail et dépôt d’une demande d’autorisation de travail en préfecture. Mais les inquiétudes restent vives dans la mesure où les salarié·e·s ne rentrent pas dans les critères de la circulaire Valls relative à la régularisation [1] : seules sept d’entre elles sont sur le territoire depuis plus de trois ans, les autres sont arrivé·e·s plus récemment – l’une d’elles n’est en France que depuis sept mois. Leurs dossiers de régularisation sont néanmoins déposés collectivement en préfecture.
Les patrons cèdent du fait de la grève... mais en façade seulement. Les arriérés de salaire sont réglés en liquide (24 000 euros apportés dans un sac plastique), mais le combat est loin d’être gagné.
Deuxième grève, juillet 2014-avril 2015
Le mouvement est en effet brisé par la liquidation du salon, opérée dans le plus grand secret par le nouveau gérant de fait, qui, auparavant, jouait plutôt le rôle de surveillant ce qui lui a permis de représenter l’ensemble des salarié·e·s au tribunal de commerce lorsque la liquidation a été prononcée. À partir de juillet 2014, l’occupation reprend jour et nuit jusqu’en avril 2015. Les salarié·e·s sont à nouveau menacé·e·s par les gérants d’être raflé·e·s par la police s’ils et elles ne quittent pas les lieux. La police n’interviendra pas.
La présence de la CGT a sans doute été déterminante dans l’issue favorable de la grève. Cette seconde victoire prouve que le changement est possible dans le quartier de Château d’eau [quartier parisien où sont situés les salons de coiffure africains]. Elle a donné aux salarié·e·s le courage de tenir tête et de dénoncer les individus réellement impliqués, dont le « parrain » de ce trafic : gérant de plusieurs boutiques du quartier, il se situe au-dessus des deux « gérants » condamnés par le tribunal correctionnel. Les salarié·e·s sortent renforcé·e·s de cette première victoire au terme de laquelle tou·te·s ont été reconnu·e·s comme tel·le·s – alors qu’on les avait maintenu·e·s dans une invisibilité totale jusque-là – et ont pu faire valoir leurs droits, alors qu’on les avait convaincu·e·s qu’ils et elles n’en avaient pas faute de papiers. On peut parler d’une vraie bataille puisque les salarié·e·s’attaquent à un système d’exploitation organisé (d’où la qualification de traite) et à un système économique bien huilé. Avec cette affaire, c’est tout le business qui est attaqué, ce qui est inconcevable pour ces patrons véreux et vaut aux grévistes d’être menacé·e·s, parfois même de mort.
Les salarié·e·s du 57, boulevard de Strasbourg ont eu la chance de bénéficier d’une forte médiatisation. Très tôt, ce conflit a en effet été suivi par des journalistes de la presse écrite, qui, pour la première fois, étaient confronté·e·s à un collectif de grévistes sans titre de séjour victimes de travail dissimulé et constitué principalement de femmes ; des femmes qui se sont affirmées, ont pris en main leur combat et sont sorties du travail dissimulé ; leur situation a également touché un grand nombre d’élu·e·s locaux et nationaux, et le collectif des cinéastes pour les sans-papiers, très sensible à cette situation d’extrême d’exploitation.
Un aspect marquant de cette affaire est qu’elle concerne des personnes complètement isolées, arrivées depuis peu en France, soit dans la situation la plus propice à l’exploitation des travailleurs sans-papiers. Certaines demandaient l’asile pour des raisons politiques, d’autres comme victimes de violences sexuelles. Menacées régulièrement de rafles, dans une situation de précarité très forte, majoritairement sans domicile, après des parcours migratoires très violents depuis la Lybie et Lampedusa, forcées de se prostituer ou de vendre de la drogue, elles se trouvaient au paroxysme de la vulnérabilité. Les Chinoises étaient également arrivées depuis peu, mais leur mode de recrutement, très opaque, semblait plus structuré. Elles avaient des parcours migratoires très différents, étaient impliquées dans des solidarités plus fortes (aucune n’était à la rue) et étaient mieux payées. Certaines de ces salariées, en situation de grande précarité et contraintes de se prostituer pour survivre, sont tombées enceintes. Les prédateurs ne manquent pas dans le quartier...
C’était la première fois que l’UD CGT était confrontée à des salariées avec des temps de présence en France très courts, dans une précarité si forte et dans un climat de grande tension sur le boulevard de Strasbourg. Au 57, les rapports de domination et le lien de subordination étaient plus proches du proxénétisme que du travail ; le mépris et la violence pour les salarié·e·s, maintenu·e·s dans une précarité extrême, étaient clairs : « Nous vous avons permis de ne pas être sur le trottoir », leur assénaient leurs patrons.
Qualifier la traite
C’est la préfecture de police de Paris qui, la première, a évoqué la traite, lors d’une réunion où la situation des salarié·e·s était discutée. Comme leur présence en France était très récente et leur mode de recrutement quasi instantané, la question se posait. La traite est souvent associée, de manière réductrice, à la prostitution et à l’existence de filières. Cependant, selon l’article 225-4-1 du code pénal, le délit de traite est constitué lorsque trois éléments sont réunis : une action, un moyen et un but. L’abus d’une situation de vulnérabilité est également défini et réprimé pénalement, mais l’absence de titre de séjour n’est pas un critère retenu pour caractériser la vulnérabilité.
Dans l’affaire du 57, sont réunis l’action (le recrutement, la transférabilité des salarié·e·s), les moyens (les promesses de rémunérations) et la finalité (l’exploitation, visible dans l’organisation par nationalité et par langue afin d’empêcher la mobilisation collective et la rébellion, et les conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine). L’ensemble de ces éléments permettait donc de porter plainte pour traite.
Si la recherche de preuves, notamment sur les réseaux sociaux, s’est avérée assez rocambolesque, l’UD CGT a pu démontrer l’existence d’un système mafieux dans le quartier, avec des parrains historiques et des nouveaux venus. Des salarié·e·s, exploité·e·s par le passé, sont même venu·e·s trouver le syndicat pour témoigner et dénoncer le système d’exploitation, l’absence de déclaration, les salaires ridicules, le cas de certaines coiffeuses ayant obtenu des papiers après avoir été « enceintées » [terme utilisé dans le quartier] et contraintes de prendre la gérance d’un salon. On peut sans hésitation parler d’un règne par la terreur, y compris mystique [2]. Deux parrains organisent tout le système d’exploitation dans le quartier, depuis de nombreuses années, avec des complicités fortes de la part des propriétaires des murs.
À l’issue de la deuxième grève, l’inspection du travail a établi un nouveau rapport, concluant que les « éléments de constat pourraient permettre de caractériser le délit de traite des êtres humains ». L’UD CGT a donc porté plainte au commissariat du 10e, le 6 août 2014, pour rétribution inexistante ou insuffisante d’une personne vulnérable ou dépendante, soumission d’une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail indignes, travail dissimulé, traite des êtres humains et emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail. Le parquet a fait le choix de saisir la sous-direction des étrangers de la direction du renseignement de la préfecture de Paris (DRPP) pour mener l’instruction. Or, cette sous-direction se situe davantage dans une logique de lutte contre les travailleurs illégaux que contre le travail illégal. Elle n’a donc pas été à l’écoute des victimes de traite. Elle a tenté de freiner la procédure, refusant, dans un premier temps, que les victimes portent plainte puis, qu’elles en obtiennent une copie, enfin, qu’elles citent le nom d’un des parrains. La DRPP semblait redouter une plainte susceptible de bouleverser tout le quartier et s’efforçait de la recentrer sur le travail dissimulé et l’emploi de sans-papiers. Lors de l’audition des victimes, aucune question n’a été posée sur leur parcours migratoire, sur les modes de recrutement, etc. Malheureusement, ce sont les comptes rendus de ces auditions défaillantes qui ont servi de base à l’examen de la qualification du délit de traite, pourtant signalé par l’inspection du travail.
Le procureur n’a pas retenu cette qualification. Il s’en est tenu à une interprétation de l’article du code pénal qui rendrait nécessaire l’existence d’actions cumulatives pour qu’il y ait traite, en termes de conditions de travail et d’hébergement. Selon cette approche, il n’y a pas de traite s’il n’y a pas d’hébergement, de recrutement et de transport depuis le pays d’origine ou de contraintes physiques. Cette interprétation implique bien une logique de filière, alors qu’au 57, le recrutement s’est fondé sur la vulnérabilité. En outre, il s’agissait d’un asservissement par la dette de salariées non payées et précaires qui, par peur de perdre leur argent, se retrouvaient en situation de dépendance économique. Or, le procureur de la République de Paris a retenu le fait que les salariées aient contacté un syndicat et qu’elles se soient mises en grève comme une preuve qu’il ne pouvait pas y avoir de traite. Le procureur n’ayant pas retenu l’infraction, aucune carte « vie privée et familiale » n’a été délivrée et les deux gérants du salon de coiffure n’ont été condamnés à de la prison ferme qu’au titre du travail dissimulé, de l’emploi d’étrangers sans titre, des conditions de travail et de rétribution indignes, et pour différentes infractions en matière d’hygiène et de sécurité.
Traite ou pas traite ?
Heureusement, la mobilisation médiatique et artistique a, là encore, fait bouger les choses. Le film réalisé par le collectif des cinéastes sur l’affaire, Les 18 du 57 bd de Strasbourg, montre que la lutte contre la traite passe par le droit au travail et au séjour. Lors de leur passage à la télévision, les salariées ont su toucher ; elles ont réussi à attirer l’attention sur la vulnérabilité des sans-papiers et à se faire reconnaître comme des victimes, non plus comme des complices comme les désignait la DRPP. À la suite du jugement en correctionnel des deux gérants, l’UD CGT a déposé une citation directe pour traite devant le tribunal correctionnel de Paris en novembre 2016. Seules les Africaines, plus vulnérables et recrutées dans la rue par des rabatteurs, y sont désignées comme victimes. L’affaire sera plaidée le 21 décembre 2017.
Confrontée à cette infraction pour la première fois, l’UD CGT s’est aussi heurtée à la résistance des autorités. Car, si ces salariées étaient reconnues comme des victimes de traite, d’autres pourraient l’être dans de nombreux secteurs (confection, BTP, travail saisonnier, etc.). Visiblement, les politiques étaient contrariés par l’implication de la CGT dans une action collective qui pourrait donner de l’espoir à d’autres salariés. Les contradictions politiques n’ont pas manqué, jusqu’à Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, qui, interpellé à l’Assemblée nationale sur cette affaire, a reconnu que « ces femmes étaient victimes de réseaux de la traite »... Embarrassées par cette affaire, les autorités ont fini par céder et par accorder des récépissés renouvelables jusqu’à la signature d’un CDI.
Étant donné l’interprétation du procureur de la République de Paris, l’UD CGT a sollicité l’avis du Défenseur des droits (DDD) [3] sur la caractérisation du délit de traite [4]. Cet avis, rendu en avril, est intéressant dans la mesure où il soulève le problème de l’interprétation de l’article 225-4-1 du code pénal qui, selon le DDD, doit se lire de manière alternative, et non pas cumulative comme l’a fait le procureur. L’interprétation du DDD est d’ailleurs celle qui doit s’imposer en la matière selon le droit de l’Union européenne (directive 2011/36/UE du 5 avril 2011). C’est une lecture importante car le délit de traite n’est pas seulement un instrument de lutte contre les filières et les passeurs mais aussi de protection des victimes en situation de vulnérabilité. Elle pose la question de l’égalité des droits des travailleurs pour combattre l’exploitation.
Cette affaire montre également que, plus le séjour est récent, plus la vulnérabilité est grande, surtout quand on ne bénéficie d’aucun réseau solidaire, qu’on ne connaît ni la langue française ni les lois. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) estime d’ailleurs que le risque de traite est d’autant plus fort avec les demandeurs d’asile qu’ils n’ont pas le droit de travailler. On peut donc déplorer la volonté du parquet de centrer la qualification de traite sur la prostitution et l’exploitation sexuelle. Pour preuve, les seules cartes délivrées à des victimes de traite l’ont été dans des cas de prostitution. La question de la traite est d’ailleurs rattachée à la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) ; mais la traite n’est pas qu’une question de prostitution, ni qu’une question de femme d’ailleurs ! Manifestement, il semble difficile pour un gouvernement d’assumer qu’il y ait de la traite dans son propre pays.
Cette affaire a inauguré le recours à l’inspection du travail pour étayer les demandes de la CGT vis-à-vis de l’employeur et faire constater la relation de travail. Ses constats ont permis la régularisation des salarié·e·s (sans fiches de paie) dans ce conflit mais également dans deux autres sur des chantiers BTP (voir encadré). Avec ces trois conflits, c’est même devenu une jurisprudence qui a permis que les travailleurs les plus précaires fassent valoir leurs droits alors qu’ils étaient justement dans une situation de non-droit, mais également, parallèlement, que les employeurs soient sanctionnés.
Travail dissimulé dans le BTP Le 6 septembre 2016, un ouvrier malien tombe d’un échafaudage sur un chantier situé avenue de Breteuil (7e arrondissement de Paris). Vingt-cinq travailleurs maliens, tous sans-papiers y sont employés par la société MTBat Immeubles, sous-traitante de la société Capron, donneur d’ordres qui intervient pour le compte de Covéa, le maître d’ouvrage qui regroupe des assureurs (GMF, MMA, MAAF). Le patron de MTBat refuse d’appeler les secours, ce que finissent pourtant par faire les ouvriers maliens bravant son interdiction. La police et l’inspection du travail arrivent sur les lieux et constatent la situation de travail des employés maliens, l’absence ou presque de bulletins de paie et de contrat de travail, et des arriérés de salaire de plusieurs mois. Le lendemain, alors que leur patron leur interdit l’entrée du chantier, les ouvriers alertent la CGT et se mettent en grève pour obtenir leurs bulletins de paie et leurs arriérés de salaire, mais aussi des demandes d’autorisation de travail, nécessaires à leur régularisation. Si les salaires versés tournent autour du Smic, les conditions de travail sont indignes en termes de sécurité et de flexibilité. Et, surtout, les travailleurs sont contraints au travail dissimulé faute d’autorisation de travail. Le constat de l’inspection du travail, établi sur place, va constituer une preuve essentielle. Dans cette affaire, une victoire importante a été remportée contre le travail indigne et contre la sous-traitance puisque les ouvriers travaillaient pour une entreprise sous-traitante d’un donneur d’ordre du BTP. D’ailleurs, dans un premier temps, le maître d’ouvrage, Covéa, a nié la présence de sans-papiers… puis cassé le contrat qui le liait à son sous-traitant. Une bataille s’est engagée contre le donneur d’ordre et le maître d’ouvrage qui, de leur côté, ont initié une action en justice pour évacuer le chantier. Les travailleurs ont donc fait le siège devant la société Covéa et bénéficié d’une implication forte de la fédération banque/assurances de la CGT et de la pression médiatique (voir article paru dans le Canard enchaîné « Un chantier assurément humain »). Les assureurs, peu habitués à ce type de mouvement, se sont enfermés dans une posture qui a écorné leur image. Dans une deuxième phase, des négociations ont été amorcées entre les salariés, les représentants syndicaux et les entreprises ; elles ont abouti à une embauche directe des travailleurs par le donneur d’ordre, sous CDI et CDD de chantier, avec paiement d’une cellule de reclassement par Covéa (pour les salariés en CDD). Ces négociations se sont faites en lien avec l’État pour que les salariés puissent reprendre le travail, certains avec une carte « vie privée et familiale » du fait d’une présence longue en France. La préfecture et la Direccte ont donné leur accord pour que soient délivrés des récépissés renouvelables pendant toute la période de reclassement ou des cartes « salarié » pour les salariés en CDI. Le procès-verbal de l’inspection du travail est attendu pour remporter la bataille aux prud’hommes face à l’employeur. La CGT se constituera partie civile au pénal pour travail dissimulé, mise en danger d’autrui, conditions de travail indignes. Sur le chantier de réfection de la station de métro Les Halles, à Paris, ce sont 47 travailleurs kurdes de Turquie qui se sont mis en grève pour obtenir d’être rémunérés par leur employeur, une entreprise sous-traitante du groupe Vinci. Au terme de six jours de grève et d’une forte médiatisation, Vinci a consenti à assumer ses responsabilités en tant que donneur d’ordre, en payant les arriérés de salaires, en embauchant directement ces travailleurs et en appuyant leur démarche de régularisation avec des CDI. Dans ces deux affaires, les rapports de l’inspection du travail ont été essentiels pour établir la preuve de la relation de travail, puisque l’inspection a pu effectuer son contrôle le jour même du déclenchement de la grève, c’est-à-dire alors que les salariés étaient à leur poste de travail. |
Notes
[1] Pour en savoir plus : Gisti, Régularisation : la circulaire « Valls » du 28 novembre 2012 : analyse et mode d’emploi, col. Les Notes pratiques, avril 2013
[2] Un des parrains est pasteur de l’Église du christianisme céleste, considérée comme une secte. Il s’y comporte en gourou.
[3] Le DDD avait été sollicité au début de l’affaire puisqu’il y avait discrimination en raison de la nationalité.
[4] À la date des faits, la traite était définie de la manière suivante par l’article 225-4-1 code pénal : « La traite des êtres humains est le fait, en échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à sa disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit. » Cette définition a été modifiée par la loi du 5 août 2013, afin notamment de tenir compte de la directive de 2011.
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