Édito extrait du Plein droit n° 116, mars 2018
« Liberté de circuler, un privilège »

Débouter plus vite pour éloigner plus

ÉDITO

Le projet de loi Collomb « Pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » avait été annoncé dès juillet 2017, dans le cadre d’un plan gouvernemental intitulé « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires ».

Quel que soit l’ordre des objectifs affichés, le texte qui va être débattu au Parlement en avril n’a rien d’une grande refonte du droit des étrangers. D’une part, il s’inscrit dans la stricte continuité des précédents, en glissant dans la réglementation en vigueur toute une série de dispositions qui peuvent paraître anodines mais seront lourdes de conséquences en termes de privation de droits. D’autre part, ce projet de loi ne traite finalement que d’un seul sujet : comment accélérer au maximum le traitement des demandes d’asile et expulser, le plus rapidement possible, le plus de gens possible. Rien ne figure dans le texte concernant les conditions d’accès au territoire français, les procédures d’obtention et de renouvellement des titres de séjour, les moyens d’aider à l’intégration, la régularisation des sans-papiers, les mineur·e·s isolé·e·s… Le projet de loi se contente de quelques nouvelles dispositions présentées comme destinées à attirer davantage de compétences rares et de personnes étrangères susceptibles d’investir dans l’économie nationale…

Alors que le candidat à la présidence de la République Emmanuel Macron avait salué le courage politique de la chancelière Angela Merkel décidant, en 2015, d’accueillir en Allemagne un million de migrants, le président élu, et tout son gouvernement avec lui, rejouent la scène « fermeté et humanité » comme tous les ministres de l’intérieur depuis Pasqua… D’accueil, il n’est pas question, sinon selon la logique du tri cherchant à ne laisser passer que les « bons » migrants : celles et ceux qui sont « éligibles à l’asile » et sauront échapper à tous les pièges d’une procédure menée tambour battant. Pas plus, on l’aura compris, qu’il n’est question d’un droit d’asile « garanti » et rendu « plus effectif ».

Le gouvernement assure que les demandeurs d’asile seront mieux accueillis grâce à la création de 7 500 nouvelles places d’hébergement en 2018-2019, et que 5 000 places seront ouvertes pour les réfugiés. Toutefois, on ne sait pas quelle sera la nature de ces « places », dans un dispositif d’« accueil » qui n’a cessé de se complexifier : CADA, HUDA, CAO, CPH, CPA, CHUM, CAES, CPO, PRAHDA [1]… On ne sait pas non plus comment va être réglée la question du retard considérable pris dans l’enregistrement des demandes d’asile, qui prive de fait d’hébergement comme d’accompagnement, durant des mois entiers, des personnes dont la loi dit qu’elles devraient en bénéficier.

Pour le reste, non seulement le projet de loi ne tente en rien de résoudre les problèmes induits par l’application du règlement Dublin dont sont victimes des milliers de personnes demandant l’asile, ballottées d’un pays à l’autre, mais il renforce les possibilités de les assigner à résidence, voire de les enfermer. Le numéro de Plein droit d’octobre 1992 portait en couverture cette interrogation : « Droit d’asile : suite et… fin ». En 1999, la revue titrait « Asile(s) degré zéro ». En 2015, au moment où le Parlement discutait de la dernière réforme de l’asile, la revue semblait dire avec son titre « Naufrage de l’asile » qu’on avait touché le fond. S’enfonce-t-on un peu plus avec la loi Collomb ? Certes, on peut toujours imaginer pire en termes de droits rendus ineffectifs, de recours impossibles à mettre en œuvre, de délais si raccourcis que nul ne pourra les respecter, bref, de mille et une mesures qui permettent de rendre encore plus performante la machine à expulser. Cette énième réforme (pas moins de dix lois ont été adoptées au cours des dix dernières années !) semble surtout destinée à afficher une détermination sans faille à « mieux maîtriser l’immigration ». Une énième opération de communication, en somme, à l’usage des Français auxquels on refuse, une fois de plus, un débat serein, éclairé de nombreux rapports et études, et de l’expérience concrète que font de plus en plus de citoyennes et citoyens, confrontés à des migrant·e·s en transit ou installé·e·s près de chez eux.

Car, l’incurie des pouvoirs publics dans l’accueil a pour effet de générer des rencontres et de faire naître, dans nombre de régions, des collectifs, des associations, des réseaux qui inventent de multiples formes de soutien à des migrant·e·s. Toutes n’ont pas un discours politique constitué. Mais toutes découvrent des situations aberrantes, des dénis de droits insupportables.

Près de 500 d’entre elles ont signé, en juin 2017, un « Appel à un changement radical de politique migratoire en France » [2]. Cette tribune n’ayant suscité aucune réaction de la présidence de la République, une centaine des organisations signataires ont décidé, à la rentrée 2017, de lancer des États généraux des migrations. Conçue comme un processus au long cours, cette initiative a commencé de se déployer dans de nombreuses régions où des assemblées locales vont recenser les constats, critiques, revendications des acteurs de terrain à qui les responsables politiques comme les médias concèdent peu de visibilité et, souvent, qu’ils ne veulent pas voir.

Les 26 et 27 mai prochains, se tiendra à Paris la première assemblée plénière de ce processus. Gageons qu’y seront posés quelques jalons pour un changement radical dont nous sommes nombreux et nombreuses à porter l’espérance.

Nous dédions ce numéro de Plein droit à Jean-Michel Cartier, Guillemette Doat, Catherine Goldet, membres du Gisti récemment disparus qui ont tant apporté à l’association.




Notes

[1Sur cette palette de structures, voir le document de La Cimade, « Typologie des dispositifs d’"hébergement" des personnes migrantes »


Article extrait du n°116

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Dernier ajout : mardi 22 mai 2018, 17:26
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