Campagne de requêtes contre les modalités de dépôt des demandes de titres de séjour en préfecture
Plusieurs associations - dont La Cimade, le Gisti, le SAF, la LDH et l’ADDE - ont décidé de lancer une campagne en direction des préfectures pour contester les décisions par lesquelles les préfets ont mis en place des téléservices pour le dépôt des demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour sans prévoir aucune autre modalité de dépôt de ces demandes que par la voie dématérialisée.
Une requête analogue avait été déposée concernant la préfecture de Seine Maritime devant le tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement du 18 février 2021, a donné satisfaction aux associations requérantes.
Ce contentieux se situe dans le prolongement de la requête par laquelle les mêmes organisations avaient contesté devant le Conseil d’État les termes du décret du 27 mai 2016 qui ne prévoyait pas d’alternatives à la saisine de l’administration par voie électronique. Le Conseil d’État avait jugé que le décret n’imposait pas ce mode de saisine et que les difficultés rencontrées par les étrangers ne trouvaient pas leur origine dans ce décret mais dans des décisions prises par les préfectures de rendre obligatoire ce procédé, incitant implicitement les organisations requérantes à introduire des contentieux contre ces décisions.
La stratégie choisie a consisté à adresser dans un premier temps des courriers à une vingtaine de préfectures qui excluent tout autre mode de dépôt des titres de séjour (ou de certaines catégories d’entre eux) que la voie électronique. Ces courriers demandaient la mise en place de voies alternatives.
En l’absence de réponse ou en cas de réponse insatisfaisante des recours pour excès de pouvoir, éventuellement accompagnés d’un référé suspension, ont été déposés concernant [voir la carte] : la préfecture du Rhône (référé suspension et recours en annulation) devant le TA de Lyon, la sous-préfecture du Raincy (référé-suspension et recours en annulation) devant le TA de Montreuil, la préfecture de Seine-Saint-Denis (référé-suspension et recours en annulation) devant le TA de Montreuil, la préfecture de l’Hérault devant le TA de Montpellier, la préfecture du Val-de-Marne devant le TA de Melun, la préfecture de la Vienne devant le TA de Poitiers, préfecture d’Ille-et-Vilaine devant le TA de Rennes, la préfecture de l’Aisne devant le TA d’Amiens, la préfecture de l’Essonne devant le TA de Versailles, la préfecture des Yvelines devant le TA de Versailles, la préfecture des Hauts-de-Seine devant le TA de Cergy-Pontoise, la préfecture du Pas-de-Calais devant le TA de Lille, la préfecture de Haute-Vienne devant le TA de Limoges, la préfecture du Bas-Rhin devant le TA de Strasbourg, la préfecture de police de Paris devant le TA de Paris, la préfecture de la Loire devant le TA de Lyon, la préfecture du Finistère devant le TA de Rennes, la préfecture de Corrèze devant le TA de Limoges, la préfecture de la Manche devant le TA de Caen, la préfecture de Seine-Maritime devant le TA de Rouen, la préfecture de Guyane devant le TA de Guyane, la préfecture de Guadeloupe devant le TA de Basse-Terre, la préfecture de Mayotte devant le TA de Mayotte.
- Dans le cas de la sous-préfecture du Raincy qui avait suspendu tous les rendez-vous pour certaines catégories de titres, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a prononcé un non lieu à statuer sur le référé-suspension, le préfet ayant dans l’intervalle annoncé la réouverture de la prise de rendez-vous. Statuant au fond, le juge a toutefois annulé deux ans et demi plus tard, par un jugement du 5 octobre 2023, les décisions du sous-préfet portant fermeture de l’accueil et de la prise de rendez-vous pour les demandes d’admission exceptionnelle au séjour.
- Le juge des référés de Lyon a, par une ordonnance du 25 mai 2021, rejeté la demande de suspension au motif qu’il n’y avait pas urgence mais en prenant aussi parti sur le fond : - les difficultés invoquées ne sont pas liées à la dématérialisation mais à l’insuffisance des créneaux disponibles ; - le nombre de personnes concernées n’est pas suffisant pour justifier une mesure de suspension ; - la dématérialisation a permis de supprimer les files d’attente ; - le contentieux engendré par l’impossibilité de se connecter n’est pas tel que les juridictions administratives ne seraient pas en mesure de le traiter. Et finalement : il n’appartient pas au juge des référés d’enjoindre des mesures de réorganisation des services.
- Le tribunal administratif de Guyane a annulé, par un jugement du 28 octobre 2021, la décision du préfet mettant en place une procédure dématérialisée pour les demandes de titres de séjour "passeport talent" ainsi que la décision implicite refusant de mettre en place des modalités alternatives. Il a toutefois sursis à statuer sur la date d’effet de ces annulations. Dans un second jugement rendu le 16 décembre 2022 il a fixé cette date au 1er mars 2022. Par un arrêt du 10 janvier 2023, la cour administrative d’appel de Bordeaux, saisie en appel par le préfet, a confirmé les deux jugements rendus en première instance.
- Le tribunal administratif de Strasbourg, par un jugement du 22 février 2022, a annulé la décision du préfet du Bas-Rhin imposant le recours au téléservice pour la plupart des démarches liées aux demandes de titres de séjour. Par un arrêt du 29 novembre 2022, la cour administrative d’appel de Nancy a toutefois annulé ce jugement, au motif que les organisations requérantes étaient hors délais pour contester les décisions révélées par les mises à jour du site internet de la préfecture. Un pourvoi a été introduit devant le Conseil d’État par les organisations requérantes contre cette décision.
Dans l’avis rendu le 3 juin 2022, il a répondu positivement à la première partie de la question : il appartient aux préfets de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité ; ils peuvent donc créer des téléservices pour accomplissement de toute ou partie des démarches administratives des usagers.
En revanche, avant l’entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, les préfets ne tenaient pas de leurs pouvoirs d’organisation de leurs services compétence pour rendre l’emploi de téléservices obligatoire et ils n’ont pas non plus compétence, après l’intervention du décret, pour édicter une telle obligation s’agissant des catégories de titres de séjour autres que celles prévues par les dispositions du Ceseda issues dudit décret.
- Au vu des réponses apportées par le Conseil d’État à sa demande d’avis (voir encadré ci-dessus), le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 6 juillet 2022, annulé la décision du préfet de Seine-Saint-Denis en tant qu’elle avait rendu obligatoire l’emploi de téléservices pour la prise de rendez-vous et le dépôt de pièces pour la présentation des demandes de titres de séjour et de naturalisation. Il a par ailleurs décidé d’un supplément d’instruction pour que l’administration :
- fasse connaître les solutions alternatives pouvant utilement être mises en œuvre, au regard notamment des moyens matériels et humains dont dispose la préfecture, pour assurer le traitement du volume des saisines ;
- apporte au tribunal administratif toute précision utile sur les modalités d’accueil et d’accompagnement imposées par le Ceseda et notamment les centres de contact citoyen et les points d’accès numériques.
Toutefois, saisi d’une demande d’injonction sous astreinte en vue de faire exécuter son jugement du 6 juillet, le tribunal administratif l’a rejetée par un jugement du 14 décembre 2022, estimant que le dispositif mis en place par la préfecture avait permis de traiter un très grand nombre de demandes, que le nombre de référés-mesures utiles avait de ce fait chuté, de sorte qu’à la date du jugement un accès effectif était assuré aux ressortissants étrangers à la préfecture de la Seine-Saint-Denis en vue d’une prise de rendez-vous.
- Là encore, au vu des réponses apportées par le Conseil d’État à sa demande d’avis (voir encadré ci-dessus), Le tribunal administratif de Versailles, par deux jugements rendus le 25 novembre 2022, a annulé la décision du préfet des Yvelines et celle du préfet de l’Essonne, en tant qu’elles ont rendu l’emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour et de naturalisation.
- Le tribunal administratif de Basse-Terre, par un jugement du 11 octobre 2022, a annulé la décision implicite du préfet de la Guadeloupe refusant la mise en place d’alternatives au téléservice et enjoint à la préfecture de les mettre en place dans un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision.
- Le tribunal administratif de Lyon a, par deux jugements du 22 décembre 2022, constaté l’illégalité des décisions du préfet du Rhône et de la préfète de la Loire de mettre en place de tels télé-services de manière exclusive. Il enjoint aux préfectures de mettre fin au caractère exclusif de la saisine de leurs services par la voie dématérialisée pour les demandes qui ne sont pas mentionnées à l’article R. 431-2 du Ceseda dans sa rédaction résultant du décret du 24 mars 2021, lequel prévoit l’obligation d’avoir recours à un téléservice pour certains titres de séjour. Constatant que le jugement n’avait pas été correctement exécuté par la préfecture du Rhône, les associations requérantes ont déposé une requête en exécution de ce jugement. La cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 20 juin 2024, fait droit à leur demande en enjoignant à l’administration, d’une part, de compléter plusieurs des rubriques du formulaire de contact pour en faciliter l’utilisation, et, d’autre part, d’équiper la boîte aux lettres dédiée au dépôt des demandes de titre sur support papier d’un système d’horodatage ou, au choix, de confier à un agent le soin de délivrer les accusés de réception de ces demandes.
- Le tribunal administratif de Poitiers, dans un jugement du 13 mars 2023, a lui aussi considéré que si les préfectures pouvaient créer des téléservices pour l’accomplissement des démarches administratives, ils ne pouvaient pas, avant l’entrée en vigueur du décret du 2021, rendre l’emploi de téléservices obligatoire. Il a enjoint au préfet de la Vienne de réexaminer les modalités de présentation des demandes de rendez-vous dans un délai de trois mois.
- Le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 6 avril 2023 a prononcé l’annulation des décisions des préfet et sous-préfets du Val-de-Marne en tant qu’elles ont rendu l’emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour qui ne relèvent pas du champ de l’article R. 431-2 du Ceseda sans avoir prévu de mesures alternatives effectives, d’une part, et en tant qu’elles n’ont pas prévu de mesures de substitution effectives s’agissant des demandes de titres de séjour relevant du champ de ce même article, d’autre part. Il a enjoint à la préfète du Val-de-Marne de mettre en place dans un délai de deux mois des mesures de substitution ou des alternatives effectives à la prise de rendez-vous par voie électronique pour les ressortissants étrangers confrontés à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous en vue de déposer leur demande de titre par la voie du téléservice, tant pour les demandes qui relèvent du champ d’application de l’article R. 431-2 du Ceseda que pour celles qui en sont exclues. Estimant que le jugement n’avait pas été correctement exécuté, les associations requérantes ont saisi le tribunal administratif de Melun en septembre 2023 d’une demande tendant à en obtenir l’exécution et ont parallèlement adressé une demande d’exécution à la préfecture du Val-de-Marne, suivie de plusieurs lettres de rappel. Un contentieux s’est noué à nouveau devant le tribunal et les associations requérantes, dans un mémoire déposé le 1er août 2024, ont demandé au tribunal de définir les mesures d’exécution du jugement du 6 avril 2023 en fixant un délai d’un mois à la préfecture pour s’exécuter et en prononçant une astreinte à compter de cette date d’un montant de 100 euros par jour de retard. Dans un jugement rendu le 24 septembre 2024 le tribunal administratif a fait droit à la requête. Il a enjoint à la préfète du Val-de-Marne d’accorder un rendez-vous physique individuel aux fins de dépôt du dossier à toutes les personnes qui n’ont pu obtenir un rendez-vous par la voie dématérialisée ; à la préfète du Val-de-Marne, au sous-préfet de Nogent-sur-Marne et à la sous-préfète de l’Haÿ-les-Roses de mettre en place des mesures alternatives effectives à la prise de rendez-vous par voie électronique pour toutes les demandes qui ne relèvent pas du champ d’application de l’article R. 431-2 et d’informer les étrangers des mesures alternatives et des mesures de substitution mises en place - le tout sous astreinte de 1000 euros par jour à compter de l’expiration d’un délai de trois semaines à compter de la notification du jugement.
- De façon surprenante, le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 7 mars 2023, a rejeté comme irrecevable pour tardiveté la requête déposée devant lui, estimant que le délai avait commencé à courir à compter de la décision implicite rejetant le recours gracieux formé par les organisations requérantes. Celles-ci ont fait appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Toulouse. Dans leur mémoire elles relèvent que le courrier adressé le 9 mars 2020 au préfet visait à obtenir la communication des décisions par lesquelles avaient été fixées les modalités de la prise de rendez-vous sur le site internet - demande qui n’a pas reçu de réponse. Elles demandaient aussi la mise en oeuvre de modalités alternatives de saisine de la préfecture. Il est donc inexact de considérer ces demandes comme des recours gracieux entraînant des délais stricts de saisine du juge. Des observations complémentaires ont été déposées le 25 mars 2024 pour répondre au mémoire en défense du préfet. Dans un arrêt du 31 décembre 2024 la cour administrative a annulé le jugement de première instance en tant qu’il opposait l’irrecevabilité de la requête. Elle reconnaît, comme le lui demandaient les organisations requérantes, que le préfet de l’Hérault n’était pas compétent pour créer, comme il l’a fait à compter du début de l’année 2020, un téléservice rendant obligatoire la prise de rendez-vous pour l’accomplissement de démarches en matière de séjour et de circulation des étrangers et prononce donc l’annulation - sans portée rétroactive - des décisions préfectorales contestées.
- Le tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 29 septembre 2023, a annulé les décisions implicites des préfets d’Ille-et-Vilaine et du Finistère en tant qu’elles ont rendu, d’une part, l’emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour qui ne relèvent pas du champ de l’article R. 431-2 du Ceseda sans avoir prévu de mesures alternatives effectives, d’autre part, pas prévu de mesures de substitution effectives s’agissant des demandes de titres de séjour relevant du champ de ce même article. Il leur a enjoint de mettre en place les mesures propres à remédier à ces manquements dans un délai de quatre mois.
- Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par un jugement du 30 novembre 2023, a décidé lui aussi d’annuler les décisions implicites du préfet des Hauts-de-Seine et des sous-préfets de Boulogne et d’Anthony refusant de mettre en place des modalités alternatives de saisine de l’administration. Il relève que si le préfet se prévaut de la mise en place de mesures alternatives de pré-démarche afin de saisir l’administration, à savoir notamment la mise en place de point d’accueil numérique, de services civiques dédiés à l’accueil des usagers, d’un référent numérique, de l’existence d’un site internet ou encore du signalement des usagers placés dans une situation particulière qui sont convoqués directement par les « responsables accueil », il n’établit pas de l’effectivité de ces mesures qui ne peuvent être regardées comme des mesures alternatives ou de substitution effectives à la prise de rendez-vous et au dépôt de demandes de titre de séjour par voie électronique.
- Le tribunal administratif d’Amiens, par un jugement du 27 décembre 2023, a à son tour enjoint au préfet de l’Aisne de mettre en place, dans un délai de deux mois, s’agissant des demandes qui ne relèvent pas du champ d’application de l’article R. 431-2 du Ceseda, des mesures alternatives à la prise de rendez-vous par voie électronique pour les ressortissants étrangers déclarant être confrontés à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous en vue de déposer leur demande de titre par la voie du téléservice.
- Le tribunal administratif de Mayotte, par un jugement du 27 mars 2024, a annulé la décision implicite du préfet de Mayotte de mettre en place des mesures alternatives à la saisine par voie électronique pour les demandes ne relevant pas du champ d’application de l’article R. 431-2 du Ceseda et enjoint au préfet de prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois.
- Le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 27 juin 2024, a annulé les décisions implicites du préfet de police de Paris révélées par la mise à jour du site, en tant qu’elles ne prévoient pas la mise en place de solutions de substitution et en tant qu’elles ne prévoient pas la mise en place effective de mesures alternatives à la prise de rendez-vous par voie dématérialisée pour les demandes de titres de séjour ne relevant pas de la procédure de téléservice obligatoire. Il a enjoint au préfet de mettre en place de telles mesures dans un délai de trois mois.
Malgré l’arrêt du Conseil d’État, beaucoup de préfectures ont persisté dans la voie du tout numérique, se contentant de créer des « points d’accès numériques », les guichets restant quasiment inaccessibles au public, et de proposer un accompagnement minimaliste. De nouveaux recours ont dû être formés :
- une requête a été déposée à la fin du mois de mars 2023 contre la préfecture des Bouches-du-Rhône, devant le tribunal administratif de Marseille, contre les décisions implicites par lesquelles le préfet a rejeté les demandes de modification de l’organisation de téléservices pour les usagers étrangers, notamment en mettant en place des modalités de substitution, en permettant une saisine du point d’accès numérique sans prise de rendez-vous préalable sur internet, en proposant un accueil et un accompagnement physique pour les personnes qui ont des difficultés avec le fonctionnement de l’ANEF, etc.
>> Communiqués :
« La dématérialisation dans le viseur : 23 préfectures devant les tribunaux administratifs », 24 juin 2021
« La préfecture du Bas-Rhin condamnée pour la dématérialisation illégale des demandes de titre de séjour », 7 mars 2022
« Le Conseil d’Etat sanctionne la dématérialisation illégale des demandes de titre de séjour », 9 juin 2022

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