Édito extrait du Plein droit n° 133, juin 2022
« Mineurs mal accompagnés »

L’Ofii : maltraitance administrative !

ÉDITO

Une fois n’est pas coutume, un coup de colère en guise d’édito : parce que parfois, la colère, c’est non seulement tout ce qui nous reste, mais aussi ce qui est le plus susceptible de nous porter, y compris vers de nouvelles luttes.

En regardant les dernières jurisprudences sur les droits sociaux des demandeurs et demandeuses d’asile, je me dis qu’en matière de « conditions matérielles d’accueil » (CMA, soit le droit à un hébergement et à une allocation), on a vraiment touché le fond. On a un principe limpide qui figure dans la directive « Accueil » : les personnes en demande d’asile ont droit aux CMA, elles doivent vivre dans la dignité et pouvoir subvenir à leurs besoins.

Certes, il y a bien l’article 20 de cette directive qui dit que les États membres peuvent limiter ou, dans « des cas exceptionnels et dûment justifiés », retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. En France, il n’y a pas de « limitation » ; on ne pratique que le retrait total.

Or, il est manifeste que l’on n’est plus du tout dans de l’exceptionnel quand on voit le nombre de gens qui se retrouvent sans rien du jour au lendemain, qu’on voit dépérir tous les jours un peu plus dans nos permanences, notamment celle de La Chapelle ; des gens obligés de vivre dans la crasse et qui crèvent la dalle ; des gens qui perdent la tête, en dépression, qui veulent se foutre en l’air, qui font des AVC à 20 ans…

Quant au « dûment justifié », on voudrait pouvoir en rire. Une dame qui n’enregistre sa demande d’asile qu’au bout de 92 jours car elle ne parle ni français ni anglais et se retrouve seule à Paris. Qui n’est pas arrivée à joindre la plateforme de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), mais qui n’a plus les preuves de ses appels comme on les lui demande pour essayer de contester ce refus au tribunal. « Et bien, c’est 2 jours trop tard, Madame ! » Pas de logement ni d’allocation. Justifié ?

Ou le gars somalien qui va voir un copain les 25 et 26 décembre – c’était la première fois qu’il sortait de son hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda) de Troyes –, accusé par l’Ofii d’avoir « quitté son hébergement » car personne ne lui avait traduit le règlement intérieur où il est indiqué qu’il faut prévenir même pour une absence de 24 heures. Justifié ?

L’Ofii maltraite les gens, utilise tous les stratagèmes pour les pousser à la faute. Pour quoi, au final ? Faire quelques économies ? Montrer que l’administration a le pouvoir d’écraser les individus ?

On n’a pas les « vrais » chiffres (avec les motifs détaillés, etc.) qui pourraient montrer que l’on a raison de parler de maltraitance administrative, mais je peux vous assurer que, pour les intéressé⋅es, c’est l’enfer.

Et nous, militant⋅es, qu’est-ce qu’on a à leur offrir, à leur proposer ? Les décisions positives des tribunaux (et elles sont rares) traitent des dossiers de personnes qui n’ont plus aucun droit depuis 2019, ou même 2018... Les procédures en référé ne marchent pas ; « il faut attendre le jugement au fond » (ce qui signifie attendre longtemps, très longtemps parfois), dit-on aux personnes qui nous regardent l’air complètement désabusé.

C’est encore pire depuis les nouvelles orientations régionales, qui t’enlèvent la totalité de tes droits en un quart de seconde si jamais tu as le malheur de dire, « non merci, je suis logé⋅e chez un ami » ou encore un simple « je préférerais rester à Paris ». Bien sûr, l’Ofii ne t’explique pas que tu n’as pas le choix et que si tu ne vas pas là où on t’envoie, tu n’auras jamais de logement, ni d’allocation, pas d’attestation de demande d’asile et donc pas d’assurance maladie (la complémentaire santé solidaire ou CSS). L’agent de l’Ofii va alors coller un post-it sur la décision, avec l’adresse de notre permanence juridique. Pour se débarrasser rapidement des gens, il accompagnera ce geste d’un « va là-bas, il y a des avocats ; ils vont t’aider pour l’allocation ».

Tu te retrouves alors à expliquer en boucle à ce Monsieur qu’on peut essayer d’aller au tribunal, mais qu’il y a peu de chance que ça marche et qu’il a seulement deux possibilités :

  • soit aller à Metz, où il sera à la rue, où il n’aura jamais ni logement ni allocation, juste une attestation (et la CSS), et peut-être l’aide de la structure de premier accueil pour demandeur d’asile (Spada) si celle-ci fait correctement son travail (ce qui n’est pas gagné) ;
  • soit rester à la rue à Paris, dans ce campement lamentable du Cheval noir où s’entassent les Afghans, sans jamais de possibilité d’avoir un logement, une allocation, une attestation ni même de CSS.

Puis tu discuteras, négocieras, protesteras contre l’Ofii, pour essayer de gagner sur un ou deux dossiers dans ta semaine remplie de réponses négatives.

C’est un coup de gueule contre toute cette chaîne qui maltraite les gens, chaîne qui va jusqu’aux associations qui se renvoient les gens les unes aux autres, car elles n’ont rien à leur proposer de concret pour améliorer leur sort.

C’est à partir de ce constat que finalement, ce qu’on a fait à Saint- Ouen, et surtout à Pantin, en étant présent lors de l’ouverture d’un squat avec des exilé·es à la rue, est une des solutions vers laquelle il faut aller.

Ce squat vit, s’organise ; les gens y retrouvent un peu de dignité et de joie de vivre. Il ne s’agit pas d’ouvrir « pour », mais d’ouvrir « avec ». En aucun cas il ne s’agit de « gérer » le lieu, mais d’être là en appui, notamment juridique, et pour aider à une mobilisation locale autour du squat.

On a tout un tas de combats notamment juridiques à mener, pour faire en sorte qu’un squat puisse vivre quelques mois ou années. Monter les dossiers, trouver des arguments pour convaincre le juge de maintenir ouvert ce lieu, car les exilé·es n’ont de toute façon pas d’autre choix pour s’abriter.



Article extrait du n°133

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Dernier ajout : mardi 26 juillet 2022, 15:00
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