Article extrait du Plein droit n° 135, décembre 2022
« Plein droit ouvrier »
À la croisée de nos revues, les droits des travailleurs étrangers
Anne Braun, Violaine Carrère, Nathalie Ferré et Carole Giraudet
Coordinatrices du dossier « Plein droit ouvrier »
Au printemps 2021 a surgi l’idée de réaliser un numéro commun à nos deux revues, que d’emblée on a nommé symboliquement « Plein droit ouvrier », consacré à la question des travailleurs étrangers. Cette idée a alors séduit autant l’équipe de Droit ouvrier que le comité de rédaction de la revue du Gisti. La construction du dossier principal est une « œuvre » réellement collective, rendant compte de sensibilités partagées sur le traitement réservé auxdits travailleurs. Au lecteur attentif des revues, n’échapperont pas quelques libertés prises avec le format habituel des articles ou avec leur construction, ainsi qu’une ouverture plus large aux autres disciplines que le droit pour Droit ouvrier, et pour Plein droit, plus de droit que de coutume.
Non sans similitude avec le droit du travail, la législation spécifique s’appliquant aux travailleurs étrangers est de plus en plus laissée à la main des employeurs. La dernière réforme, intervenue en catimini en avril 2021, permet ainsi aux entreprises d’avoir la main sur les autorisations de travail, enfermant un peu plus encore le salarié étranger dans le huis clos de sa relation avec l’employeur. Cette nouvelle souplesse accordée aux employeurs démontre combien l’autorisation de travail relève plus d’une prérogative accordée à l’employeur en vue de recourir à de la main- d’œuvre étrangère que d’un droit accordé au travailleur étranger (C. Wolmark). Encore faut-il que l’étranger puisse avoir accès au travail salarié. Ce n’est plus le cas des demandeurs d’asile qui, par l’effet conjugué du droit communautaire et interne, sont empêchés de travailler pendant de longs mois et réduits à l’assistanat (N. Ferré).
Ce qui reste des droits protecteurs des travailleurs étrangers se voit aussi confronté à la problématique de l’effectivité. Ainsi en est-il du sort difficile réservé aux travailleurs étrangers devant les conseils de prud’hommes (F. Duffaud Gallici) ou encore du parcours du combattant du travailleur sans papiers désireux de faire reconnaître un accident du travail par la Caisse primaire d’assurance maladie (R. Rogel et S. Séguès). Si l’emploi illégal, et les différentes formes d’exploitation qu’il recouvre, est l’une des priorités majeures de l’inspection du travail, les travailleurs sans papiers victimes de ces infractions sont loin de pouvoir bénéficier de fait de ce statut de victime (V. Carrère et C. Giraudet).
Enfin, nous ne pouvions pas faire l’impasse sur les questions liées aux évolutions récentes des formes de travail et la condition des livreurs sans papiers ubérisés aux conditions de travail dignes d’un autre âge (B. Gomes). Pour eux, c’est la double peine puisqu’en plus de ces conditions délétères, leur statut de pseudo-indépendants leur ferme la porte de la régularisation par le travail. Surexploités sont également les travailleurs étrangers saisonniers, dont la situation confine bien souvent à la traite des êtres humains (B. Lavaud-Legendre).
Travailleurs (partiellement) protégés sur le papier mais difficilement en pratique, sauf lorsque leur action est soutenue et que leur combat sort de l’invisibilité. Il y a eu quelques avancées notamment grâce à certaines luttes médiatisées, comme la grève des Turcs de Louverné en 1974 (A. Olivier). Depuis, les organisations syndicales ont considérablement structuré leurs modes d’action aux côtés des travailleurs sans papiers. Sur ce sujet, comme sur les autres, les différences d’approche sont importantes entre confédérations, mais la majorité d’entre elles reconnaissent l’importance du sujet et assurent à leur manière une défense syndicale de ces travailleurs (L. Tourette).
Les avancées par la lutte restent fragiles au vu du durcissement général du cadre légal, mais ce numéro a vocation à convaincre plus de militant·es encore que l’arme du droit n’est pas vaine !
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