Article extrait du Plein droit n° 138, octobre 2023
« Étrangers sous écrou »

L’aménagement des peines : sortir de l’impasse !

Laurence Blisson et Morgan Donaz-Pernier

Ancienne juge de l’application des peines ; juge de l’application des peines
À rebours du tout-carcéral, l’arsenal juridique prévoit un certain nombre de dispositifs permettant d’aménager les peines des personnes étrangères détenues, avec ou sans papiers. Si, certes, les obstacles à l’application de ces leviers peuvent sembler multiples, il appartient en premier lieu aux juges de s’en saisir et, pourquoi pas, d’en créer de nouveaux pour mettre un terme à l’abandon institutionnel des justiciables étrangers.

La surreprésentation des personnes étrangères en détention ne faiblit pas. En mars 2023, sur les 71 878 personnes incarcérées (en détention provisoire ou en exécution de peine), 18 345 étaient de nationalité étrangère, soit 25,5 % (alors qu’elles représentent 7,8 % de la population vivant en France). En parallèle, sur 16 039 personnes bénéficiant d’un aménagement de peine sous écrou (en semi-liberté ou sous bracelet électronique), à peine 1 546 personnes de nationalité étrangère, soit 9,6 %.

Des alternatives à la détention marginalisées

Les mécanismes structurels qui conduisent davantage les personnes étrangères en détention concourent également à leur exclusion des mesures d’aménagement de peine permettant une libération anticipée.

Les causes de leur surreprésentation en prison – surtout si elles sont en situation irrégulière – sont connues car la « sélection » s’opère bien en amont. L’activité policière privilégie structurellement les illégalismes populaires. Les infractions de subsistance des populations précarisées donnent lieu à une intense activité. Le quadrillage de la voie publique et les pratiques discriminatoires dans les contrôles d’identité – qui visent les personnes racisées, étrangères ou non – contribuent à la surpénalisation des personnes étrangères. Une fois en garde à vue, l’autorité judiciaire les oriente à son tour vers des procédures davantage pourvoyeuses d’incarcération, notamment la comparution immédiate.

À antécédents judiciaires équivalents, les personnes étrangères tombent dans la trappe du « défaut de garantie de représentation », à savoir la conviction des acteurs et actrices judiciaires qu’un éventail d’options moins répressives n’est pas envisageable faute d’une situation stable, de surcroît si ces personnes sont en situation irrégulière. Ainsi, les alternatives à l’incarcération sont marginalisées tant avant le jugement qu’au stade du choix de la peine car elles sont considérées comme peu réalistes.

Au stade de la condamnation, même si la loi fait de l’incarcération le dernier recours et impose aux juges de motiver spécialement un tel choix, l’absence de l’aménagement immédiat en bracelet électronique ou en semi-liberté prévu pour les peines de moins de 12 mois, les personnes étrangères bénéficient peu des peines alternatives ou aménagées par le tribunal correctionnel. On peut en déduire que, indépendamment de la gravité des faits, les juges excluent spontanément ces solutions bien que les conditions matérielles pour les prononcer soient minimales : un logement fixe pourvu d’électricité pour le bracelet électronique, un moyen de contacter la personne dans les autres cas.

Pour bénéficier d’un aménagement de peine, aucun texte n’impose que les personnes déclarent un projet d’emploi ou soient en situation régulière, mais seulement qu’elles justifient de « leur implication dans tout projet sérieux d’insertion ou de réinsertion ».

Pourtant, l’irrégularité de la situation administrative – caractérisée par l’absence de titre de séjour, voire par l’existence d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) – constitue une barrière mentale majeure dans les processus d’aménagement de peine alors même que, dans de nombreux ressorts, les OQTF sont délivrées de manière systématique durant la garde à vue et qu’elles font rarement l’objet de recours. En effet, rares sont les décisions en matière d’application des peines qui intègrent la demande de régularisation ou la contestation d’une OQTF comme un des éléments du « projet sérieux d’insertion », ou qui constatent l’existence d’une activité non déclarée – ce qui n’est pas une infraction pénale pour l’employé mais l’est pour l’employeur.

Il est souvent avancé qu’il s’agit d’une question de « cohérence » entre la décision judiciaire et la décision administrative et de « réalisme » sur les possibilités de succès d’un aménagement de peine accordé dans cette hypothèse. D’une part, il faut rappeler qu’aucune décision administrative ne s’impose à l’autorité judiciaire, et se demander pourquoi la première primerait sur la seconde. D’autre part, s’il est vrai que les refus de régularisation précarisent les situations personnelles, il ne peut pour autant en être déduit par principe un risque de réitération accru. Surtout, l’effet produit est paradoxal : pour éviter de replacer la personne dans cette situation de précarité, il deviendrait préférable de la voir faire sa peine en détention … dont elle ne sortira pas davantage régularisée, voire risquera d’être placée en rétention administrative, et en toute hypothèse, dans une situation nullement améliorée.

Au contraire, les problématiques sanitaires lourdes qui menacent les personnes en situation de grande précarité (addictions sévères, troubles psychiques liés à la violence des parcours migratoires, etc.) inclineraient à pencher vers des alternatives centrées sur les soins. Pourtant, la conception sécuritaire tend à l’emporter et l’alternative est d’autant moins envisagée que les dispositifs de prise en charge cumulant hébergement et soins manquent cruellement, et que, dans les faits, l’accueil inconditionnel l’est moins qu’auparavant.

En prison, des obstacles à tous les étages

Plus facilement placées en détention, les personnes étrangères sont ensuite sous-représentées tant dans les procédures d’aménagement de peine que dans les dispositifs d’accompagnement à la préparation de leur sortie en fin de peine.

Si toute personne peut en théorie déposer une demande d’aménagement de peine, dans les faits, entre auto-censure, défaut d’information et d’assistance, les personnes étrangères en situation irrégulière sont quasi absentes de ces procédures.

L’activité du service pénitentiaire d’insertion et de probation – dont les effectifs sont largement insuffisants notamment dans un contexte chronique de surpopulation carcérale en maison d’arrêt – se porte à peine sur ces populations marginalisées, faute de sollicitations de leur part et faute de solutions adaptées. En tout état de cause, les difficultés d’accès à l’interprétariat ne permettent pas aux professionnels d’exercer réellement la plénitude de leurs missions d’aide à l’insertion. Aussi, bien souvent, les conseillers et conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation orientent vers des partenaires intervenant dans le champ du droit des étrangers (associations, points d’accès aux droits, etc.), lesquels à leur tour, faute de moyens suffisants, ne peuvent pas davantage agir efficacement dans les délais impartis, pour accompagner les intéressés dans leurs démarches administratives.

L’irrégularité de la situation administrative constitue alors une barrière quasi infranchissable, et ce d’autant que sont peu employés des outils comme la circulaire interministérielle du 25 mars 2013 relative aux procédures de première délivrance et de renouvellement des titres de séjour des personnes de nationalité étrangère, faute de volonté des acteurs locaux des services de la préfecture et de l’administration pénitentiaire de décliner le protocole de fonctionnement prévu par la circulaire. De fait, l’impossibilité de procéder à des démarches, tendant à la régularisation administrative ou au simple renouvellement d’un titre parvenu à expiration au cours de l’incarcération, va complexifier toutes les autres démarches de préparation à la sortie et risque de démobiliser les professionnels. Et ce d’autant plus que rares sont les personnes disposant de l’assistance d’un ou d’une avocate ou d’une association spécialisée en matière de droit des étrangers leur permettant de constituer un dossier étayé de nature à faciliter l’intervention des professionnels. Au final, la plupart de ces personnes, bien souvent isolées, sont laissées pour compte.

Ce cumul d’obstacles vide de sens l’exécution de leur peine en la réduisant à la seule fonction rétributive (sanctionner), la question de l’insertion étant évacuée comme insurmontable. Un tel abandon institutionnel des personnes étrangères plaide pour la recherche de solutions correctives. Cela implique que les acteurs et actrices judiciaires documentent et établissent localement ces constats pour réfléchir collectivement aux solutions permettant une sortie de prison anticipée et de structurer leurs interventions.

Pourtant, des leviers pour la sortie de prison existent. Il faut les mobiliser ! Et en créer d’autres. Cette exclusion n’est pourtant pas inéluctable. Des leviers juridiques existent, ils ont été complétés par la loi du 22 décembre 2021, entrée en vigueur le 1er janvier 2023.

Se mobiliser contre le tout-carcéral

Il faut d’abord rappeler que certains aménagements de peine sont spécifiquement destinés aux personnes étrangères. C’est le cas de la libération conditionnelle « retour volontaire » ou « expulsion » impliquant un éloignement du territoire national, qui peut être prononcée dès la moitié de la peine effectuée. Certaines personnes, n’ayant aucune attache en France, en font la demande. La libération conditionnelle « expulsion » suppose l’existence d’une décision administrative ou judiciaire d’éloignement (OQTF, arrêté d’expulsion, interdiction judiciaire du territoire), la délivrance par l’État de retour des documents de voyage et la disponibilité d’un moyen de transport.

Il existe également des dispositions spécifiques permettant l’aménagement sur le territoire français de peines d’emprisonnement alors même qu’une interdiction du territoire français (ITF), temporaire ou définitive, a été prononcée par la juridiction de jugement. L’aménagement de peine a alors pour objectif le relèvement, c’est-à-dire la suppression de cette interdiction du territoire.

D’un côté, la libération conditionnelle « relèvement d’ITF », prévue à l’article 729-2 du code de procédure pénale, consiste en une mesure de suivi et d’accompagnement qui fonctionne comme une période de test. Si la mesure va à son terme sans révocation – autrement dit sans manquement sanctionné –, elle aura l’effet de faire disparaître automatiquement l’interdiction judiciaire du territoire français. La condition de son octroi est classique : avoir exécuté la moitié de sa peine et présenter des gages de réinsertion.

D’un autre côté, il existe des mesures d’aménagement dont l’objectif vise à préparer une autre procédure judiciaire, la demande de relèvement de l’interdiction, présentée à la juridiction qui l’a prononcée. L’article 131-30 alinéa 3 du code pénal prévoit que le prononcé d’une interdiction du territoire français en même temps qu’une peine d’emprisonnement ne fait pas obstacle à ce que cette peine fasse l’objet, aux fins de préparation d’une demande en relèvement, de mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique (ce qui suppose que la peine ou le reliquat de peine soit inférieur ou égal à 2 ans) ou même de permission de sortir. Pour préparer un aménagement de peine en vue de présenter une demande de relèvement d’une interdiction, il convient au préalable que soient maintenus ou rétablis les liens avec l’extérieur. Cela implique donc que soient accordées des permissions de sortie pour rendre visite à ses proches, effectuer des démarches ou participer à une activité culturelle ou sportive organisée par l’administration. Pourtant, ici encore, sont observées les mêmes réticences spontanées à accorder de telles mesures : manque de dispositifs d’insertion adaptés pour lesquels les personnes soumises à une telle interdiction ne sont pas prioritaires, issue incertaine de la requête en relèvement, difficulté à « déjuger » la juridiction qui a prononcé une interdiction du territoire motivée.

Ces aménagements de peine, orientés vers le relèvement de l’interdiction, ne donnent pas de fait un droit au séjour (sauf s’il existait antérieurement et n’a pas été retiré par l’autorité administrative), mais empêchent l’exécution de l’interdiction du territoire français pendant l’accomplissement de la peine jusqu’à son terme et garantissent à la personne la possibilité d’exercer ses droits de manière effective.

Les autres dispositifs d’aménagements de peine concernent théoriquement toutes les personnes détenues, quelle que soit leur nationalité ou leur situation administrative. En effet, les textes relatifs aux aménagement de peine (surveillance électronique, semi-liberté, placement à l’extérieur, libération conditionnelle, fractionnement et suspension de peine), sous des formulations variables, conduisent à prendre en considération, outre l’insertion professionnelle (par l’exercice d’une activité, le suivi d’un stage, d’un enseignement, d’une formation professionnelle ou la recherche d’un emploi), la participation essentielle de l’intéressé à la vie de sa famille, la nécessité de suivre un traitement ou des soins. Ces critères permettent d’appréhender la situation individuelle sous l’angle de la situation familiale, de l’état de santé et des démarches en vue de s’insérer sur le territoire.

Il ne ressort d’aucune des dispositions légales et réglementaires relatives aux aménagements de peine qu’une personne détenue en exécution de peine doive, pour légalement y prétendre, justifier d’une situation administrative régulière. En réalité, l’existence d’une situation irrégulière, voire même d’une obligation de quitter le territoire français, n’est finalement qu’une donnée parmi d’autres dans l’appréciation de la situation globale d’une personne dont le poids doit être relativisé, surtout au regard des conditions dans lesquelles les obligations de quitter le territoire français sont prononcées.

Il appartient au juge de l’application des peines de procéder à une évaluation globale de la situation de chaque personne, au regard des critères posés par l’article 707 du code de procédure pénale, en tenant compte de la réalité des conditions de détention (en termes de dignité et de taux d’occupation) pour s’interroger sur la pertinence de la poursuite de l’incarcération. Leur situation doit être appréhendée de la même manière que celle de toute personne incarcérée rencontrant des problèmes de précarité, d’addictions, d’accès aux droits, en tenant compte aussi d’un principe de réalité puisque, malgré leur situation administrative, elles demeurent sur le territoire, soit qu’elles ne puissent faire l’objet de décisions d’éloignement, qu’elles les contestent, ou que ces mesures ne soient pas exécutées.

Il s’agit aussi de ne pas considérer la précarité ou l’économie personnelle de survie comme constituant en soi des facteurs de risque, mais au contraire d’accompagner ces personnes à partir de leurs conditions de vie, comme cela est fait lorsqu’elles sont suivies par la justice sans avoir été incarcérées.

La philosophie des aménagements de peine a considérablement évolué depuis une vingtaine d’années : il n’y est plus question de mérite, ni d’exiger un projet idéal, mais plutôt d’identifier les points de fragilité, les facteurs de risque et les besoins de protection, la motivation au changement et la réceptivité à un accompagnement afin de rechercher les conditions optimales de préparer la sortie hors incarcération. Dès lors, pourquoi les personnes étrangères en situation irrégulière en seraient-elles exclues ?

D’ailleurs, depuis le 1er janvier 2015 (date d’entrée en vigueur de la loi du 15 août 2014), la loi a posé le principe selon lequel les peines inférieures ou égales à 5 ans s’exécutent en partie en détention, en partie sous forme aménagée. Ainsi, la procédure de libération sous contrainte prévoit que la personne condamnée accomplisse le dernier tiers de sa peine en libération conditionnelle, sous surveillance électronique, placement à l’extérieur ou semi-liberté, sauf si le juge de l’application des peines considère le risque de réitération trop important que la mesure choisie et l’accompagnement proposé ne permettent pas de réduire.

Depuis le 1er janvier 2023, la libération sous contrainte est devenue de plein droit (lorsque la peine est inférieure à 2 ans sauf pour certaines infractions) pour les 3 derniers mois de détention, sauf en cas d’impossibilité matérielle résultant de l’absence d’hébergement ou de places disponibles en semi-liberté ou en placement à l’extérieur. Dans cette hypothèse, la question de la régularité du séjour ou l’existence d’une interdiction du territoire français est théoriquement sans incidence et ne peut pas justifier un refus de libération sous contrainte. Encore faut-il que certaines pratiques judiciaires n’ajoutent pas à la loi de telles exigences.

Enfin, certains types d’aménagement mériteraient d’être davantage utilisés comme la conversion des peines inférieures ou égales à 6 mois, prévue par la loi du 24 mars 2019 pour les personnes incarcérées, et notamment la conversion en peine de travail d’intérêt général, accessible également aux personnes en situation irrégulière.

L’exclusion des personnes étrangères détenues des procédures d’aménagement de peine est juridiquement insoutenable mais pas inéluctable, y compris dans le cas de situation précaire ou complexe. C’est un enjeu de justice, de dignité et d’égalité.



Article extrait du n°138

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Dernier ajout : vendredi 31 mai 2024, 16:16
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