Article extrait du Plein droit n° 18-19, octobre 1992
« Droit d’asile : suite et... fin ? »
L’expulsion d’un réfugié turc en Turquie
Christine Martineau
Un réfugié statutaire turc, M. Ali Dilmeg, a été expulsé vers la Turquie le 10 juillet 1992, en raison d’un certain nombre d’infractions qu’il a commises en France, postérieurement à la reconnaissance de sa qualité de réfugié. Le ministère de l’Intérieur ne parvenait pas à l’expulser dans les formes prévues par la Convention de Genève et par la loi du 23 juillet 1952, qui définit les missions de l’Ofpra. Qu’à cela ne tienne, le directeur de l’Ofpra a pris une décision de retrait du statut à l’encontre de M. Dilmeg.
Comment l’a-t-il motivée ? En réalité, aucun article de la Convention ne s’applique au cas de M. Dilmeg. Pourtant, le directeur de l’Ofpra va utiliser les articles 1Fb [1] et 33-2 [2].
Le premier vise effectivement les crimes graves. Mais ils doivent avoir été commis dans le pays d’origine pour que leur auteur soit exclu du bénéfice du statut. Le texte s’applique lors de l’étude de la demande du statut. Quant au deuxième article, il permet certes l’expulsion de réfugiés statutaires par le pays d’accueil, mais avec certaines garanties, notamment l’interdiction de les renvoyer dans le pays d’origine. En fait, cet article fixe les modalités d’expulsion par mesure administrative dans le cas exceptionnel d’un réfugié considéré « comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve » ou « une menace pour la communauté dudit pays ». En aucun cas, il ne permet un retrait de statut.
M. Dilmeg, après avoir fait l’objet d’un arrêté d’expulsion en 1985, s’était vu assigner à résidence à Albi en février 1992, après avoir purgé une peine de quatre ans de prison pour violence sur mineur de moins de quinze ans. Interné d’office, au mois de mai, en hôpital psychiatrique dans des conditions discutées par le médecin qui suivait son cas, et ainsi coupé du monde extérieur, il a donc été mis dans un avion pour la Turquie au début de l’été.
Un recours avait pourtant été déposé le 7 juillet devant la Commission de recours des réfugiés, contre la décision de retrait de statut, ce qui n’a pas empêché l’expulsion, sans plus d’attention pour les garanties prévues par la Convention de Genève et la loi de 1952.
Deux questions viennent à l’esprit : la volonté de l’Ofpra de répondre aux souhaits du ministère de l’Intérieur le conduit-il à abandonner sa mission de protection des réfugiés ? La démocratie en Turquie est-elle si assurée qu’on puisse y renvoyer, sans plus de précaution, un réfugié ?
Notes
[1] L’article 1Fb précise que la Convention n’est pas applicable à ceux qui « ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admis comme réfugiés ».
[2] Art. 33-2 : « Le bénéfice de la présente disposition (interdiction d’expulsion ou de refoulement) ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. »
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