Article extrait du Plein droit n° 46, septembre 2000
« D’autres frontières »

Les habitants qui n’existaient pas

Anne du Quellennec

Enseignante-chercheuse à l’Université Parix X Nanterre

Résider sur le territoire communal ne signifie pas forcément appartenir pleinement et entièrement à la ville. L’exemple de deux établissements situés sur le territoire de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, démontre l’impact néfaste sur la vie de la cité de l’ancrage territorial pour l’obtention de droits. Cet ancrage permet d’exclure de la territorialité communale, autrement dit d’extraterritorialiser des individus dépourvus de domiciliation.

Le centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) et la résidence universitaire de Paris-X abritent en effet des personnes qui ne sont pas considérées comme ressortissantes de la commune, alors qu’elles sont physiquement implantées sur son territoire. Imposés à la ville de Nanterre, ces établissements dépendent en fait juridiquement d’autres collectivités.

Créée en 1887, à la limite des terres inondables, la Maison de Nanterre avait pour vocation d’accueillir les mendiants et les personnes condamnées pour vagabondage et mendicité en vertu d’un décret impérial applicable jusqu’en 1994. Cette législation était soutenue par la volonté d’effacer du paysage quotidien de la collectivité les formes les plus perturbatrices de l’errance.

Une loi de 1989 transforme la Maison de Nanterre, service interdépartemental de la préfecture de police de Paris, en centre d’accueil, établissement public appartenant à la ville de Paris.

Que le CASH accueille le temps d’une nuit les SDF parisiens ramassés par les cars de la BAPSA (brigade d’accueil des personnes sans abri), ou bien, pour une période plus longue, les « inadaptés sociaux » ayant eux-mêmes sollicité leur admission au foyer d’insertion sociale, le résultat est toujours celui d’individus vivant concrètement sur le territoire d’une commune qui refuse de les intégrer au groupe.

Le lien entre la ville et le centre devient plus complexe lorsqu’il s’agit des personnes âgées qui résident dans la maison de retraite du CASH. Leur situation est on ne peut plus ambiguë : inscrites sur les listes électorales de la commune, elles sont, a priori, domiciliées à Nanterre et devraient, à ce titre, bénéficier de l’ensemble des droits et des services communaux. Or, il n’en est rien. L’exemple le plus frappant concerne l’accès au club du troisième âge, ô combien facteur d’intégration au sein d’une ville pour cette population, et qui leur est cependant refusé.

Les élus revendiquent le fait de ne pas considérer comme habitants de la ville les résidents du CASH, pour ne pas cautionner l’existence d’une telle concentration de personnes démunies (jusqu’à 5 000 hébergés) sur un même territoire. S’il est compréhensible qu’une telle situation ne soit pas satisfaisante pour la commune concernée, les ambiguïtés liées à la domiciliation ne sont pas pour autant acceptables, dans la mesure où elles « facilitent » l’exclusion d’une population « dérangeante ».

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Certains établissements sont, en revanche, plus facilement « tolérés » par une commune. Tel est le cas de la cité universitaire.

Forte de 1 403 chambres, la résidence universitaire de Nanterre est la plus importante du CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) de l’académie de Versailles. Comme le CASH, il s’agit d’un établissement implanté sur le territoire de Nanterre mais appartenant à une autre collectivité : les CROUS ont, comme leur nom l’indique, un ancrage territorial régional mais leur action est coordonnée, au niveau national, par un CNOUS appartenant à l’État.

Dans la pratique, l’éventuelle domiciliation des étudiants n’est pas dénuée d’intérêt. Compte tenu des ressources financières extrêmement faibles des occupants de la cité universitaire(1), il serait légitime qu’ils puissent bénéficier d’aides financières ponctuelles de la mairie ainsi que des tarifs préférentiels réservés aux Nanterriens (piscine, théâtre).

Alors que ces étudiants vivent à Nanterre et partagent la vie de la commune depuis plusieurs années, pourquoi se heurtent-ils à l’impossibilité d’accéder à un logement social lorsque l’évolution de leur vie personnelle le nécessite ? Tout simplement parce que leur état de résident ne leur confère pas le statut de domiciliés à Nanterre : leur domiciliation officielle reste rattachée à celle de leurs parents.

La somme d’argent versée mensuellement par les résidents est considérée, en effet, comme une redevance et non un loyer. N’étant pas locataires, ces étudiants n’ont alors accès à aucun des droits et services octroyés par la commune. Cette situation est d’autant plus choquante qu’ils sont comptabilisés comme résidant dans la commune au sens du recensement, ce qui augmente le nombre de Nanterriens enregistrés et accroît d’autant les dotations budgétaires de la ville.

En revanche, à côté de ces étudiants, dans cette même résidence, habitent treize personnes représentant la direction, les agents de gardiennage et les personnels de service. Toutes sont domiciliées à Nanterre et accèdent, de ce fait, pleinement aux droits et services de la ville ! Et, à l’instar des différentes populations du CASH, on constate qu’une même adresse et la résidence dans un même lieu ne confèrent pas le même degré d’ancrage territorial selon les raisons pour lesquelles on se trouve à cet endroit et le rôle qu’on y joue.


Notes

(1) Accès réservé aux étudiants dont les parents ont des revenus annuels inférieurs à 55 000 francs.



Article extrait du n°46

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Dernier ajout : jeudi 20 mars 2014, 10:08
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