Article extrait du Plein droit n° 36-37, décembre 1997
« La République bornée »
On persévère
Alain Morice
Anthropologue
Le débat parlementaire sur la énième mouture de l’ordonnance de 1945 montre que la sérénité promise est toujours aussi peu à l’ordre du jour. Pour l’essentiel, l’opposition s’est ressaisie et dénonce le « laxisme » du projet, véritable « appel d’air » à l’immigration selon elle. De leur côté, des membres de la « gauche plurielle » s’indignent de ce que l’on ait pu aussi vite s’asseoir sur la promesse électorale d’abroger les lois Pasqua et Debré.
Quant à lui, le mouvement des sans-papiers continue tout naturellement de demander, avec l’appui d’intellectuels et d’artistes, la « régularisation pour tous ». Il est conforté dans cette position maximaliste par la lenteur, l’arbitraire et l’excessive sélectivité avec lesquels les préfectures traitent les demandes de régularisation en cours.
Et enfin, le mouvement associatif, qui se retrouve bien plus divisé qu’il paraît, a dû essuyer dans la lancée un torrent d’anathèmes : démagogie, angélisme, aveuglement, irresponsabilité, néo-libéralisme, voire (sans crainte de la contradiction) tour à tour extrémisme révolutionnaire et complicité « objective » avec l’extrême droite.
De l’impossible consensus aux vraies impasses
Bref, côté « consensus », ce n’est pas une réussite, et on ne s’en plaindra pas ici, même si certaines divergences, qui ont directement à voir avec le débat que les autorités et la presse ont refusé de promouvoir, sont désolantes. Certains, dont le Gisti, ont cherché à relancer ce débat autour de l’opportunité d’une ouverture des frontières à l’immigration, en partant d’un constat et d’un principe. Le constat : tous les dispositifs de fermeture des frontières se sont révélés vains. Le principe : le contrôle discriminatoire des entrées sur notre sol est une atteinte aux libertés fondamentales qu’aucun démocrate ne saurait tolérer.
Le gouvernement a choisi d’ignorer ces questions et de se situer dans la ligne de ses prédécesseurs : globalement, la loi (c’est-à-dire l’ordonnance de 1945) est bonne. Une fois réamendée, on l’appliquera.
Peu importent les insolubles problèmes : que faire des déboutés de la nouvelle régularisation (et à qui fera-t-on croire qu’ils s’en iront) ? À partir de quelle doctrine, et avec quels moyens, relancer ces stratégies alternatives d’intégration ou de « co-développement », qui n’ont été jusqu’à présent qu’un écran de fumée ? Comment garantir la bienveillance et la justice de l’administration face aux étrangers, toutes catégories confondues, alors que la nouvelle loi se place ouvertement sous les auspices de la suspicion tous azimuts ?
A cet égard, Patrick Weil, qui ne trouve rien de mieux que de reprocher à ses détracteurs de « suspecter » à leur tour cette administration, semble à la fois oublier certains de ses comportements passés et faire l’impasse sur ses comportements futurs.
Conscient de ces difficultés (sans admettre toutefois qu’elles sont inscrites dans l’ordonnance de 1945), le gouvernement entend offrir des améliorations réelles à certains étrangers. Les régularisations administratives mettront fin à certaines situations absurdes et, même si un des buts annexes de la circulaire du 24 juin 1997 était de semer en passant la zizanie parmi les sans-papiers et ceux qui les soutiennent, cette opération sortira effectivement de l’impasse beaucoup d’étrangers.
Vraies et fausses avancées du projet de loi
Quant au parlement, il lui est demandé d’entériner des mesures apparemment positives comme l’asile territorial (qui vise en principe, si les fonctionnaires ne traînent pas les pieds, les Algériens), le droit effectif à la retraite et celui à la vie privée de ceux « pour qui le refus de séjour porterait une atteinte disproportionnée au respect de leur situation personnelle et familiale ».
Autre mesure positive, chère à Patrick Weil au point qu’il s’en est montré obsédé dans les innombrables entretiens qu’il a donnés à la presse, la facilitation de l’entrée des étrangers de bon augure : chercheurs et universitaires, hommes d’affaires et ressortissants de pays, sinon développés, du moins sans « risque migratoire ».
Mais il y a un revers à cette médaille, sous la forme d’une autre obsession dont la douteuse sincérité est patente : celle de barrer la route plus efficacement encore à l’immigration de travailleurs non qualifiés tout en l’ouvrant, si besoin est, au profit de l’emploi flexible.
Telle est la deuxième avancée, celle-là très pernicieuse, du projet de réforme des lois précédentes. Au départ, et bien dans la ligne des idées frontistes, il y a la causalité admise selon laquelle le travailleur immigré crée du chômage. Dans une variante généreuse, on y ajoute les effets dévastateurs de l’immigration irrégulière sur l’intégration des étrangers résidents.
Tous les gens « de terrain », qui sont autant en contact avec les étrangers que les inspirateurs du projet de loi Chevènement, savent que l’intégration est un leurre. Cependant l’argument fonctionne et l’affaire est entendue : il faut protéger le national contre l’immigré, l’immigré régulier contre le clandestin, et c’est tout juste si, au bout de la chaîne, les sans-papiers ne sont pas rendus responsables du mal être des quartiers en difficulté.
Il y a, dans cette doctrine, plus qu’il n’y paraît, une certaine harmonie avec les thèses de la « préférence nationale » prônées par l’extrême droite. L’idée que les étrangers (non-qualifiés et non-européens) volent les emplois des Français, est en effet sous-jacente.
Le rapport 1997 de l’OCDE a beau avoir montré que cette idée n’est pas fondée et qu’il est impossible de corréler le taux de chômage et le flux migratoire, une certaine unanimité continue toutefois de régner sur ce point.
Le contingentement de l’immigration, dont la constitution et le maintien d’un stock d’irréguliers sont la conséquence inévitable, apparaît ainsi avant tout comme une opération idéologique et comme un sauve-qui-peut électoraliste (sur ce terrain, l’extrême droite restera toujours plus efficace).
Un nouveau pas vers le néo-libéralisme
Ces finalités politiciennes, très peu nouvelles, ne résument pas toutes les orientations qui se dessinent. Certains aspects de la circulaire de régularisation et du projet de loi incitent à faire l’hypothèse que le gouvernement s’engage avec plus de subtilité que les précédents dans la voie du néo-libéralisme économique, c’est-à-dire, au bout de compte, dans la précarisation du travailleur.
Ces mesures visent notamment à opérer un transfert statistique des titres de résident (cartes de dix ans renouvelables automatiquement) vers les titres précaires (cartes de séjour temporaire d’un an, dites CST), et la référence au trouble à l’« ordre public », invoquée ad nauseam dans les textes en cours comme motif de refus de délivrance ou de non-renouvellement d’un titre de séjour, plane désormais comme une épée de Damoclès sur les immigrés et leurs descendants.
Ce qu’il y a derrière ce retour à l’esprit de l’ordonnance de 1945 se précise de plus en plus nettement : en multipliant les cas de titres temporaires, on pousse progressivement à une fragilisation plus complète des personnes visées sur le marché du travail.
Comme au bon vieux temps d’avant 1984, quand les cartes de séjour et de travail se battaient encore en duel, l’élément juridique est en passe d’être progressivement subordonné aux besoins de court terme des employeurs, et nous avons là l’amorce d’une politique de quotas qui ne dit pas encore son nom.
Si l’opposition feint de s’inquiéter, c’est par pure raison électorale, car la doctrine libérale trouve là une brèche supplémentaire : un opportun retour, quand besoin est, à l’équation séjour temporaire = travail temporaire.
Le retour à la souplesse discrétionnaire n’est certes pas une nouveauté. On y a déjà recouru amplement dans le passé, parfois sous la pression de la rue et parfois sous celle des employeurs. L’asile territorial, les dérogations « pour raisons humanitaires » aux règles du droit commun, les exceptions de complaisance à l’arrêt de l’immigration de travail (notamment dans les emplois saisonniers et autres faux « stages ») existent de longue date.
Mais il semble qu’on tente actuellement de promouvoir la reconnaissance de ce qui, auparavant, se faisait dans la discrétion. Et que, simultanément, on cherche à faire sentir aux bénéficiaires de libéralités que celles-ci ne constituent pas un droit mais une faveur provisoire.
Le régime même de la CST avec autorisation de travailler est une bizarrerie et un aveu. Prenons, par exemple, la nouvelle mention « vie privée » que l’on prévoit d‘apposer sur les passeports d’étrangers jugés dignes de séjourner en France mais n’entrant dans aucune des catégories ouvrant droit au séjour ; prenons aussi le cas des étrangers nouvellement régularisés avec la mention « salarié » : pourquoi « temporaires », leurs cartes, sinon pour leur dénier un droit tout en procédant à une ouverture virtuelle à l’immigration de travail qui, pour ne pas fâcher l’opposition, ne dit pas son nom ?
Notons au passage que le gouvernement actuel n’a pas peur d’assumer les symboles de ses prédécesseurs et maintient (sous le prétexte que cela limite la fraude) le système de la vignette valant CST collée sur le passeport : cette vexation, qui n’est pas sans rappeler les anciens passes sud-africains, est parfois très utile aux employeurs pour faire de la discrimination à l’embauche, ou au moins pour faire baisser les prétentions du demandeur. Elle-même titre précaire, la CST est finalement un superbe tremplin pour les emplois précaires (sinon illégaux).
Le « pragmatisme » au service de la précarisation
Procès d’intention que tout cela ? L’avenir le dira. Citons, en attendant, un passage du rapport Weil, dont le langage contourné cache mal un certain cynisme. À propos des saisonniers, il est dit ceci : « Si la pénibilité des tâches était l’unique facteur limitant le développement de l’emploi saisonnier régulier de travailleurs nationaux, alors il serait légitime de développer la procédure légale d’introduction de saisonniers étrangers, de façon à mieux tirer parti de la complémentarité économique entre travailleurs étrangers et travailleurs nationaux. »
Traduisons en clair cette conjecture : 1° Quant il s’agit d’étrangers, le travail salarié n’est pas un travail mais une tâche. 2° Est légitime le travail des étrangers qui est trop pénible pour des nationaux. 3° N’est donc pas légitime le travail des étrangers s’il n’est pas assez pénible pour que les nationaux s’en détournent de façon régulière. 4° Les questions du taux de salaire et de la sécurité de l’emploi sont (sans jeu de mots) étrangères à la question. 5° Un étranger n’immigre pas : on l’introduit. 6° La lutte des classes est abolie et, avec elle, l’inévitable concurrence que les travailleurs se font entre eux ; elle est remplacée par la notion de complémentarité, sur les créneaux précis susmentionnés. 7° Le critère de cette complémentarité est l’appartenance nationale. 8° Il faut donc avouer (aucun argumentaire n’est parfait) que les étrangers non qualifiés ne sont pas en soi une cause de chômage.
Cette « légitimité »-là et, derrière elle, cette référence implicite à l’intérêt national, vont un peu trop dans le sens de la précarité organisée du travail, juridique d’abord, économique ensuite. Ceci est à mettre en relation avec une résolution européenne de 1994 sur l’emploi, qui préconisait des législations nationales tenant compte des besoins temporaires de main-d’œuvre.
Une fois de plus, on doit dire que ce n’est pas nouveau : les dérogations à la fermeture des frontières à l’immigration de travail existent depuis longtemps dans la pratique, et le Conseil d’État a rappelé, le 22 août 1996, à la veille de l’évacuation de l’église Saint-Bernard, que tout ce qui n’était pas explicitement interdit aux administrations pouvait être autorisé.
Mais on doit s’étonner qu’un gouvernement socialiste s’apprête à fonder sa politique sur la précarité, au lieu de la combattre. L’« introduction » de saisonniers continuera, comme dans le passé, à alimenter le séjour irrégulier, et le non renouvellement des CST agira dans le même sens, pour le meilleur bénéfice des secteurs traditionnellement tournés vers l’emploi illégal sous toutes ses formes. On saisit mal en quoi ce pas en avant dans la déréglementation du statut juridique des étrangers pourrait constituer un fondement pour une meilleure politique d’intégration.
Ouverture des frontières : qui craint quoi ?
En s’inspirant des principes des droits de l’homme, certains ont commencé, dans la foulée du mouvement des sans-papiers, à demander que l’idée d’une ouverture des frontières ne soit plus taboue. L’idée n’était d’ailleurs pas présente dans ce mouvement, plus préoccupé d’obtenir des « papiers pour tous » que de proposer leur abolition.
Leurs propos ont été violemment attaqués par Patrick Weil et de nombreux éditorialistes qui ont trouvé là un repoussoir d’autant plus commode qu’il était facile, en dehors de toute volonté de débat, de les caricaturer. Parmi les arguments opposés à cette utopie, il y a bien sûr celui, bien flatteur pour l’opinion publique quoiqu’improuvable, de la situation de l’emploi. Autres arguments : ce serait livrer la France au Front national (toujours !), aucun État ne fait cela, nous sommes liés par nos engagements internationaux, et la liberté de circulation, c’est du néo-libéralisme au service du capitalisme le plus sauvage [1].
Et si ce tir d’artillerie n’est pas suffisant, vient le coup de pied de l’âne : d’ailleurs la population (immigrés résidents compris) n’en veut pas : « Que ceux qui prônent l’ouverture totale des frontières viennent la défendre devant l’opinion » (Patrick Weil). Les mots « prônent » et « totale » fleurent la mauvaise foi, mais peu importe : il est vrai que c’est très difficile, face à l’actuel unanimisme, de promouvoir le débat sur cette question.
Dans l’extrême agressivité de cette réaction, mal venue de la part d’un expert qui a su se ménager autant d’espace médiatique en si peu de temps, on peut voir aussi l’aveu que cette défense inquiète, en dépit du règne de la pensée unique rebaptisée « consensuelle » et de la déformation systématique des thèses attaquées. Serait-ce avec une telle démagogie (qu’est-ce au juste que l’« opinion » ?) qu’on entend « dépassionner » le débat ?
L’hypothèse des frontières ouvertes n’implique en effet nullement une ouverture immédiate et inconditionnelle, mais indique une voie plus cohérente et plus juste dont les gouvernements s’éloignent toujours davantage. L’argument selon lequel une telle voie est impossible n’est pas recevable de la part de celui qui fait tout pour qu’il en soit ainsi. Il s’alimente, en l’alimentant à son tour, du fantasme de l’« invasion » étrangère, pourtant largement contredit par le caractère dérisoire de l’immigration dans les pays riches (et même avant la fin des « Trente glorieuses ») face à l’énorme déficit économique et démocratique des pays sous-développés. Il est enfin teinté d’un insupportable néo-colonialisme, car la France et ceux, militaires, coopérants et hommes d’affaires, qu’elle y envoie trouvent naturel que les portes des pays sous dépendance leur restent ouvertes.
Il reste l’accusation de néo-libéralisme, qu’il n’est possible de lancer que si l’on feint d’isoler une hypothèse (l’« ouverture des frontières ») qui fait trop facilement peur des conditions politiques, économiques et sociales globales rendant possible sa réalisation. Avec cette accusation, c’est un peu le loup qui crie au loup, tant il est manifeste que c’est précisément la fermeture qui fait l’affaire de la doctrine libérale.
Mais la question est importante car, non moins évidemment, une large ouverture à l’immigration ne peut, dans un contexte inchangé, que favoriser cette doctrine et les pratiques d’embauche qui lui sont associées. D’une certaine façon, nous en avons déjà un avant-goût avec les délocalisations d’entreprises dans le tiers-monde. Quelle est la tentation du patronat français face aux « rigidités » du droit du travail, au salaire minimum garanti ou aux charges sociales excessives ? C’est de tourner ses investissements vers des gisements lointains de main-d’œuvre moins coûteux et plus disponibles. Si une politique d’immigration libre devait conduire à importer ces caractéristiques chez nous, alors évidemment ce serait une politique indigne.
Mais il ne s’agit pas de cela : il s’agit, au contraire, de constater que c’est exactement ce que nous faisons en proclamant la fermeture de frontières dont la perméabilité est notoire. Et d’énoncer qu’il n’y a là aucune fatalité.
Un objectif essentiel : rétablir le droit du travail dans ses droits
La précarité juridique des étrangers est à l’origine de la précarité économique de nombre d’entre eux. Elle autorise une surexploitation multiforme : par les employeurs, passeurs, vendeurs de faux-papiers, avocats, officines véreuses, etc., sans oublier certains fonctionnaires publics pour qui les obstacles à l’immigration sont une aubaine financière.
Il est très probable que le renforcement du dispositif répressif conduira moins à dissuader les nouveaux candidats qu’à renchérir le prix de la migration et à mettre en place des réseaux organisés impliquant une coopération organique entre des demandeurs de main-d’œuvre, des trafiquants et des agents de l’État. Avec, au programme, la servitude pour dettes, c’est-à-dire l’enfermement du travailleur jusqu’à un hypothétique remboursement du prix de l’entrée clandestine.
Cette tendance est déjà bien amorcée, notamment à travers la constitution de filières dans des pays de départ toujours plus lointains. Historiquement, ceux qui « prônent » l’ouverture des frontières n’y ont aucune responsabilité : c’est au contraire un mécanisme du marché noir de l’emploi analogue à celui de l’alcool du temps de la Prohibition aux États-Unis, mécanisme induit par les textes. Les employeurs le savent bien.
Mais qu’entend-on dire pourtant ? Que la libre circulation des personnes profiterait aux exploiteurs sans scrupules ! Et tel hebdomadaire de sortir simultanément une pétition hostile au mouvement des sans-papiers et un reportage sur les « négriers » des temps modernes.
La ficelle est si grosse qu’on en viendrait à oublier que lesdits négriers trouvent précisément un espace pour leurs trafics dans un contexte d’arrêt officiel de l’immigration de travailleurs (« non-qualifiés et non-européens », dirait Patrick Weil) : gageons que non seulement ils ont de beaux jours devant eux, mais que le mal se propagera peu à peu au-delà de la seule catégorie des étrangers sans titre.
La volonté de lutter contre l’emploi dissimulé, certes affirmée dans les discours, est en total désaccord avec la multiplication des exceptions au droit du travail, pour lesquelles aucune rupture ne se dessine avec les politiques passées. Cette prétendue volonté se traduit surtout par des rafles ponctuelles, aussi médiatiques qu’inutiles, dans quelques ateliers qui – inspecteurs du travail et policiers le savent – se reconstituent immédiatement. Il est à noter que tous les gros chantiers publics de ces dernières années ont presque totalement échappé aux contrôles. En fait, la focalisation sur les « négriers » s’apparente davantage à une entreprise de justification d’une politique xénophobe aux yeux de l’opinion qu’à une quelconque politique réelle et cohérente. Globalement, au nom de la défense de l’emploi (qu’on pense aux sempiternelles lamentations des patrons du textile ou du BTP), les secteurs d’emploi illégal bénéficient de l’impunité. Ce qu’ils revendiquent, c’est que la déréglementation de facto du droit du travail le soit désormais de jure. En attendant, l’immigration sous contrôle restrictif continuera à leur convenir.
L’abolition des entraves à la circulation des hommes ne permettrait certainement pas, à elle seule, un renversement de tendance. Mais ce pourrait être un moyen d’enrayer le recul progressif des lois qui protègent le travailleur, toutes origines confondues. Cela nécessite, avant tout, une action systématique sur les esprits, dans un sens opposé à celui qui est pris actuellement. Au cœur de cette action, doit se trouver une lutte idéologique contre l’esprit nationaliste, si souvent invoqué actuellement à mots couverts. En période de sous-emploi, dresser les travailleurs les uns contre les autres sur la base de l’origine (ou du sexe, ou de l’âge), c’est s’exposer à faire coexister des arguments de court terme avec un racisme diffus qui, lui, est un phénomène cumulatif difficile à extirper.
Ce racisme et, derrière lui, la préférence pour l’emploi des nationaux, ne constituent pas un paysage de référence, mais une situation qu’il s’agit de changer.
Notes
[1] « Aux États-Unis, tout le discours du Gisti qui prône l’ouverture des frontières est tenu par la droite capitaliste la plus dure » (Patrick Weil dans Marianne, 17-24 août 1997).
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