Article extrait du Plein droit n° 93, juin 2012
« Vieillesse immigrée, vieillesse harcelée »
À quand la fin de la double peine ?
Stéphane Maugendre
avocat *
Rappelons que l’ITF est une peine complémentaire, prononcée par une juridiction répressive (tribunaux correctionnels, cours d’appel correctionnelles ou cours d’assises), qui consiste à défendre à une personne, de nationalité étrangère, reconnue coupable d’un délit ou d’un crime, d’entrer et de séjourner, pour une durée déterminée ou à titre définitif (IDTF), sur le territoire français, une fois la peine d’emprisonnement effectuée [1].
Or cette peine est :
D’un autre temps, car elle réunit les effets de la mort civile et du bannissement, toutes deux abolies depuis bien longtemps. Elle est d’autant plus « archaïque » que, créée pour rétablir une égalité devant la loi pénale entre les étrangers et les Français au regard de peines qui n’étaient applicables qu’aux seuls Français, elle est finalement constitutive d’une inégalité.
Discriminatoire et « injustifiable » [2], en ce qu’elle constitue l’unique cas dans l’appareil répressif français de peine ayant pour fondement l’extranéité du délinquant et qu’elle « ne trouve ancrage dans aucune des théories de la peine […] sur lesquelles se fonde le système pénal français » [3] écartant toute référence à l’acte répréhensible ou au principe de la personnalisation des peines.
Toute peine n’existe qu’à raison de l’infraction à sanctionner et de la personnalité du délinquant. À aucun moment ne doit être pris en considération le sexe, la religion, l’appartenance politique ou syndicale, l’origine régionale, ethnique au risque de discrimination, de rupture d’égalité devant la loi.
Toujours parce que l’homme n’est pas, par essence, récidivant, le législateur s’efforce d’inventer des peines ou des mécanismes qui empêcheront le délinquant de se retrouver en prison afin d’éviter une désocialisation totale. Or, pour l’étranger condamné à une ITF, tous ces mécanismes sont exclus. En effet, les peines alternatives à l’emprisonnement ou les modes d’aménagement de peines sont juridiquement ou pratiquement incompatibles avec le principe même de l’exclusion du territoire.
Criminogène car elle empêche largement les possibilités d’amendement et la réinsertion sociale du condamné à une ITF. En effet, un des principes fondamentaux de la peine d’emprisonnement est l’amendement voire la réinsertion sociale du condamné. En clair, pendant que le condamné purge sa peine et donc paye sa dette à la société, il s’amende afin qu’à l’issue de celle-ci, il regagne les rangs de la société. Or la peine d’ITF annule ce but puisque, au bout de l’exécution de la peine ferme, il y a une exclusion de la famille, du travail, de la société, en bref de tout.
Enfin inhumaine car elle est la seule peine véritablement absolue et perpétuelle dans l’arsenal de notre droit pénal. Intrinsèquement, elle entre en total conflit avec les fondements idéologiques des peines complémentaires, elle n’en a ni la philosophie ni le régime. Alors que toute peine complémentaire empêche, pour un temps donné, mais jamais définitivement, un condamné d’avoir une activité civile sociale ou familiale, elle ne l’empêche jamais de vivre. L’ITF élimine totalement le condamné étranger de toute activité, parfois à vie.
Le droit pénal prévoit, toujours par souci de personnalisation des peines, que l’aménagement ou le relèvement des peines complémentaires peut être sollicité auprès du juge ou du tribunal qui les a prononcées. Toutefois, pour l’ITF, cela est rendu le plus souvent impossible par l’application combinée de plusieurs textes.
Comment les proches, amis de lycée, collègues de travail, voisins ou fréquentations du quartier, parents ou collatéraux, conjoints, enfants ou petits-enfants, peuvent-ils appréhender la loi de leur pays, accepter les décisions judiciaires rendues au nom du peuple français ou comprendre les prisons de la République quand la loi les a privés d’un des leurs ? Le petit-fils d’un « double peine » peut-il se considérer comme le citoyen d’un pays qui a brisé sa famille et fait expulser son grand-père ? Le maintien dans notre droit de la double peine questionne le concept de citoyenneté.
L’ITF est un monstre juridique qui ne peut être considéré comme une peine « strictement et évidemment nécessaire » au regard de l’article 8 de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Tonton Kader, le chibani double-peine
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Notes
[1] Voir pour plus de détails, voir L’interdiction du territoire français. La double peine judiciaire, collection Les cahiers juridiques du Gisti, décembre 2008.
[2] Maud Hoestland et Claire Saas, « L’ITF : une peine injustifiable », Plein droit n° 45, mai 2000.
[3] Chloé Fiaschi, mémoire de master « droits de l’Homme », université de Paris X-Nanterre, 2011.
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