Référés-liberté contre le refus de délivrer des laissez-passer à des mineures soudanaises empêchées de rejoindre leur mère réfugiée en France
Le Gisti et Elena-France sont intervenus volontairement à l’appui d’un référé-liberté déposé devant le tribunal administratif de Nantes au nom d’une ressortissante soudanaise réfugiée en France. Celle-ci sollicite, dans le cadre d’une procédure de réunification familiale, la délivrance de laissez-passer pour ses deux enfants mineures bloquées au Soudan, alors que leurs passeports ont été détruits par les autorités consulaires françaises dans le cadre d’une mesure générale liée à la situation de guerre. Le soutien apporté à la requérante paraît d’autant plus nécessaire que cette situation n’est pas isolée mais touche de très nombreuses familles soudanaises en France.
Le ministre de l’intérieur, dans son mémoire en défense, a déclaré avoir donné instruction pour que soient délivrés aux jeunes filles les laissez-passer réclamés, dans le consulat qui lui serait indiqué. Il a demandé au juge de prononcer en conséquence un non-lieu à statuer. Un nouveau mémoire a donc été déposé pour les requérantes, faisant valoir que des laissez-passer devaient également être délivrés aux adultes susceptibles d’accompagner les jeunes filles.
Dans son ordonnance rendue le 15 juin, le tribunal administratif a enjoint au ministre de délivrer des laissez-passer aux deux mineures mais non à leurs accompagnantes, au motif qu’elles n’ont pas elles-mêmes entamé de démarches pour l’obtention d’un visa.
Au vu de la non-exécution par le ministre de l’intérieur de l’ordonnance du tribunal administratif, les jeunes filles n’étant toujours pas en possession des laissez-passer à l’expiration du délai de 72 heures imparti et même au-delà, une nouvelle requête en référé-liberté a été déposée, Elena et le Gisti se portant ici encore intervenants volontaires. Il était demandé que des mesures immédiates soient prises pour l’exécution de l’ordonnance, telles que l’envoi d’un agent consulaire côté soudanais ou la remise d’un laissez-passer à la grand-mère ou aux tantes pour accompagner les deux filles mineures.
Le juge des référés a rejeté la requête, estimant que l’injonction de remise effective du laissez-passer n’avait pas pour effet d’imposer au ministre de l’intérieur d’organiser le franchissement par les intéressées de la frontière entre le Soudan et l’Egypte ou un autre État, ni de dépêcher un agent consulaire, ajoutant qu’il s’agirait d’actes « non détachables de la conduite des relations internationales de la France » - autrement dit d’« actes de gouvernement » - échappant à la compétence du juge administratif.
Il fait remarquer que le ministre de l’intérieur s’est engagé à mettre à la disposition des requérantes dans tout poste consulaire français où les jeunes filles seraient susceptibles de se présenter les laissez-passer et que le MAE allait prendre attache avec le CICR pour accompagner les jeunes filles dans leurs démarches en vue du franchissement de la frontière. Ces mesures étant les seules possibles, « sauf à dépêcher un agent consulaire français au Soudan, mandater un agent égyptien, ou organiser le franchissement par des ressortissantes étrangères d’une frontière étrangère, actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France », l’absence de remise effective de laissez-passer aux jeunes filles dans le délai prescrit par l’ordonnance ne caractérise pas une carence de l’administration aux yeux du juge.
Les requérantes, soutenues par le Gisti, Elena, La Cimade et la LdH, ont fait appel de cette seconde ordonnance devant le Conseil d’État. Le ministre de l’intérieur ayant de son côté demandé l’annulation de la première ordonnance, les deux requêtes ont été jointes. Le Conseil d’État, dans sa décision du 13 juillet 2023, a rejeté la demande d’annulation de l’ordonnance du 15 juin mais confirmé l’ordonnance du 3 juillet, reprenant en substance les arguments du juge de première instance.
Il confirme que c’est à bon droit que celui-ci a refusé d’enjoindre aux autorités françaises d’organiser le franchissement par les jeunes filles de la frontière entre le Soudan et l’Egypte ou tout autre Etat étranger ni de dépêcher un agent consulaire français au Soudan, qui sont des actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France. Le juge administratif est en effet incompétent pour connaître des demandes tendant à ce que soit organisée l’évacuation de ressortissants étrangers du territoire de l’Etat dans lequel ils se trouvent. Et dès lors qu’aucune mesure qui pourrait être ordonnée par le juge des référés n’apparaît de nature à donner satisfaction aux requérantes, l’absence de remise effective d’un laissez-passer et d’un visa d’entrée en France ne peut être assimilée à une carence fautive de l’administration.
>> Voir le communiqué : « La France prive deux enfants soudanaises de leur droit à rejoindre leur mère réfugiée. Le tribunal corrige le tir », 16 juin 2023
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