Les sas : accueil temporaire ou antichambre de l’expulsion ?

Depuis le printemps, les associations ont constaté l’existence d’un nouveau dispositif qui concerne notamment les demandeurs d’asile et les personnes étrangères sans-abri en région parisienne, et dont l’utilisation a été à plusieurs reprises confirmée dans la presse [1].

Après plusieurs évacuations de campements et mises à l’abri, de nombreux transferts de personnes ont été faits vers de nouveaux lieux d’hébergement situés en dehors de la région Île-de-France (IDF). Les associations, qui se sont rapidement interrogées sur leur fondement juridique, ont finalement pu obtenir une circulaire non publiée des ministres de l’ Intérieur et du logement datée du 13 mars 2023. Ce texte est reproduit ci-après. Une fois de plus, de nouvelles règles concernant de nombreuses personnes étrangères, sont édictées en catimini et viennent grossir le lot des circulaires non publiées.


Que contient cette circulaire ?

Elle a pour objectif de tracer les lignes directrices pour la prise en charge administrative et l’orientation des personnes mises à l’abri dans le cadre des opérations menées en Île-de-France (IDF) vers des sas dit « d’accueil temporaire ».

Ainsi, ont été créés 10 sas régionaux (de 50 places maximum) qui permettent, selon cette circulaire :

  • « de procéder à un examen systématique de la situation administrative des personnes ;
  • de proposer une orientation vers un hébergement adapté à leur situation et/ou de prendre les mesures administratives qui s’attachent à leur situation en matière d’asile, de séjour et d’éloignement. »

La gestion des sas d’accueil temporaire a été confiée à des associations opératrices de l’État. La FAS (Fédération d’associations dont font partie ces associations opératrices) a publié dès février 2023 un communiqué de presse intitulé « “Sas régionaux” : Vigilance de la FAS au regard de la mise en place de lieux d’accueil en régions ».

Dans la circulaire, il est indiqué qu’après une durée maximale de trois semaines, les intéressés « seront orientés » vers une solution correspondant à leur situation administrative.

Il est ainsi prévu que :

  • les demandeurs et demandeuses d’asile seront orientés vers le dispositif national d’accueil (déjà saturé) ;
  • les réfugiés seront orientés vers les centres provisoires d’hébergement ;
  • les personnes qui sont en situation irrégulière recevront une proposition de départ volontaire et seront orientées vers le dispositif de préparation au retour (DPAR) ;
  • les personnes ne faisant pas l’objet d’une OQTF exécutoire et souhaitant introduire une demande d’examen de leur situation administrative seront dirigées vers le parc de l’hébergement d’urgence « généraliste » complètement saturé ;
  • les personnes qui sont sous le coup d’une OQTF exécutoire devront être éloignées.

Cette circulaire, manifestement prise pour « nettoyer » l’espace public, dans la perspective des Jeux olympiques permet d’orienter en région – loin de l’IDF – les personnes à la rue qui auraient besoin d’un hébergement. Au mieux, les sas constituent un pis-aller sous-dimensionné à système hébergement déjà largement dépassé et insuffisant, qui va permettre d’héberger très temporairement des personnes sans abri. Au pire, ils risquent de déboucher sur le contrôle, l’arrestation et l’expulsion de personnes sans droit au séjour.

Par ailleurs, le fait que cette circulaire incite à davantage de « retour volontaire » et la demande récurrente de statistique sur le nombre d’expulsion effective rend bien compte des intentions du ministre : ces lieux sont aussi des « sas d’expulsion ».

Dans tous les cas, cette mise à l’écart ne prend pas en compte de l’avis des personnes sur la localisation de leur mise à l’abri puisqu’elles sont dispersées au gré des places disponibles. Elles peuvent ainsi se retrouver très éloignées de leurs familles, de leurs connaissances, ou de leurs points d’attaches. 


Des dispositions inquiétantes

1) La remise d’un formulaire indiquant « la volonté de la personne prise en charge en sas de bénéficier d’un examen au séjour ».

Si ce formulaire est signé par la personne alors qu’elle ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’un titre de séjour, elle se verra notifier directement une OQTF.

Et ce d’autant plus qu’il est prévu que des agents de l’OFII – pour donner des informations sur le retour volontaire et les possibilités d’être placé en DPAR – et des agents des préfectures chargés de « l’accompagnement à la demande de régularisation », soient présents dans les sas. Cette présence risque de ne pas laisser véritablement le choix aux personnes qui souhaiteraient refuser l’examen de leur situation administrative.

Puisque le recueil de la copie des documents d’identité est prévu dans le cadre de cet procédure, il est de nature à faciliter la mise à exécution d’une mesure d’éloignement pour les personnes dépourvues de droit au séjour.

Cette intention d’accélération des procédures est confirmée dans la circulaire qui prévoit que « dans tous les cas une OQTF devra être édictée » si la situation de l‘étranger ne lui permet pas d’accéder à un titre de séjour (cf. Cas d’adoption de mesure d’éloignement à l’issue de l’examen du droit au séjour).

Cette consigne rappelle celle prévue par la circulaire du 9/05/2022 sur les DPAR selon laquelle, avant d’autoriser une personne à se rendre dans ce dispositif, « les préfectures s’assureront au préalable de l’éloignement contraint, en cas d’échec au retour volontaire », au cas où certaines d’entre elles renonceraient au final à quitter volontairement la France.

Depuis l’ouverture des sas, plusieurs personnes ont été contraintes de déposer des demandes de titre de séjour, sans qu’on se soit assuré de leur réelle volonté d’effectuer cette démarche, et sans vérification que les conditions pour bénéficier d’un droit au séjour étaient remplies.

2) Une prise systématique des empreintes sur place via « bioweb » qui permet de faire « les relevés en mobilité ». La circulaire précise que « ce relevé permettra d’identifier les personnes se trouvant sous le coup d’une OQTF et d’apprécier son caractère exécutoire ». Bien qu’elle indique que cette prise d’empreintes « n’est pas une condition d’accès » à l’hébergement, en pratique, la personne qui refusera de s’y soumettre risquera tout de même d’être remise à la rue rapidement.

3) Le « cas des personnes se trouvant sous le coup d’une OQTF exécutoire » (2.iii)

En cas d’OQTF exécutoire, « les personnes concernées devront être considérées comme devant faire l’objet d’un éloignement ». Il est prévu dans cette hypothèse que « l’examen actualisé de leur situation devra alors conduire à l’édiction d’une nouvelle OQTF, possiblement assortie de mesures d’exécution » ; l’OQTF « pourra utilement être assortie d’une assignation à résidence ». 

Au moins deux placements en CRA ont été constatés, à Bordeaux et à Marseille, pour des personnes passées en sas. Elles étaient en procédure Dublin et avaient déjà eu leurs arrêtés de transfert vers le pays européen responsable de leur demande d’asile.
De plus, dans certains sas, des assignations à résidence ont déjà été prononcées.


Constat des associations

Les ministères ont annoncé un objectif de 7 000 personnes orientées par an vers ces sas. Depuis avril 2023, 1 600 orientations ont été faites, dont 500 personnes en famille. Plus de 25 opérations de mise à l’abri ont été menées en IDF. Il y a de nombreux retours vers Paris de personnes orientées à la suite d’une fin de prise en charge. Les associations ont pu constater une insatisfaction quant aux conditions des prises en charges, ainsi qu’un mauvais accompagnement pour les demandes de protection internationale ou de régularisation du séjour.

Enfin, selon les lieux, les sas d’accueil temporaire fonctionnent de manière très différente, ce qui ne permet pas une prise en charge harmonisée et équitable pour tou⋅tes.
En outre, la FAS a mis en évidence l’absence de continuité d’hébergement et a relevé des problèmes pour les familles dont les membres ont des statuts administratifs différents, ce qui peut aboutir à des séparations.

Documents joints :

Voir notre dossier « Jungles, campements et camps d’exilés en France »

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Dernier ajout : vendredi 20 octobre 2023, 16:50
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