Article extrait du Plein droit n° 6, janvier 1989
« Les demandeurs d’asile »
Quel sort pour les « déboutés » ?
Il est difficile de trouver des éléments stables concernant l’application effective de la circulaire Pandraud, que tous, dans les préfectures comme dans les ministères, s’accordent à considérer comme parfaite. Elle permet en fait le réglement au cas par cas, ce qui explique cette unanimité. Quand le préfet accorde la régularisation du séjour aux demandeurs d’asile déboutés, on ignore bien souvent la motivation qui l’a guidé, la réponse étant consacrée par une simple convocation. On peut néanmoins tirer quelques conclusions quant à l’application de la circulaire en ce qui concerne les nationalités bénéficiaires et les éléments déterminants susceptibles d’emporter la décision préfectorale.
Au-delà des discours, force est de reconnaître que la circulaire est effectivement appliquée à titre exceptionnel... Ce qui n’est pas étonnant si l’on se réfère à la position exprimée par le directeur de la police générale à la préfecture de police de Paris : doit être régularisé le « débouté » marié, avec des enfants en France, et qui peut invoquer un travail régulier au moment de la demande.
Les associations se sont emparé de cette circulaire, seule bouée de sauvetage pour les « déboutés » dont la présence en France couvre plusieurs années et qui y ont établi l’essentiel de leurs attaches professionnelles et familiales. Circulaire-piège, dans la mesure où elle a souvent engendré un vain surcroît de mobilisation et de faux espoirs. Circulaire-miracle, quand elle a permis à quelques demandeurs d’asile de rester en France, malgré l’échec de leur demande de statut après de longues années d’attente. Circulaire-prétexte, enfin, qui, tout en cantonnant au cas par cas, dispense d’adopter un texte d’une autre nature, qui réformerait la procédure ou donnerait la possibilité d’obtenir le droit au séjour sur un autre fondement juridique.
Le cas de M. L. serait-il typique d’une catégorie de demandeurs d’asile déboutés auxquels la circulaire Pandraud ne s’appliquera pas ? M. L. peut faire état de cinq années de résidence régulière en France. Il a suivi le parcours classique du demandeur d’asile... mais qui a abouti à un rejet du statut de réfugié et une injonction de quitter le territoire. Toute sa famille vit avec lui en France, ses quatre enfants sont scolarisés ici. Il travaille pour le même employeur depuis le 24 janvier 1985. Ces éléments positifs auraient pu permettre la régularisation.
Mais voilà : il est d’origine capverdienne, nationalité « douteuse ». La sous-préfecture de Nogent-sur-Marne refuse sa régularisation, et invoque l’utilisation abusive de la procédure de demande d’asile pour justifier ce refus : « il apparaît clairement, dit-elle, que l’intéressé a demandé abusivement le statut de réfugié dans le seul but de contourner les dispositions réglementaires régissant l’entrée des travailleurs immigrés en France ». Autrement dit, la préfecture tire argument du rejet de la demande de statut par l’OFPRA pour refuser la régularisation, ce qui est un curieux raisonnement, puisque tous ceux qui demandent leur admission au séjour en s’appuyant sur les dispositions de la circulaire se trouvent par hypothèse dans cette situation. Dans ces conditions, puisque l’intéressé est entré irrégulièrement en France sa demande de titre de séjour est irrecevable : peu importent ses attaches professionnelles ou familiales en France, la nationalité de l’intéressé apparaît comme un obstacle insurmontable à une régularisation.
M. B. vient d’être convoqué par la préfecture de police, première étape de sa régularisation prochaine. De nationalité sri-lankaise, il est arrivé en France en décembre 1982. Sa demande d’asile réitérée à trois reprises a été définitivement rejetée en novembre 1988. Depuis son arrivée, il est employé comme valet de chambre au même endroit. L’absence de femme et d’enfant vivant auprès de lui n’a pas été, dans son cas, un obstacle à l’application de la circulaire Pandraud : il est clair que l’administration a accordé une certaine crédibilité à sa demande d’asile et a tenu compte de la situation dans son pays d’origine ainsi que de son acharnement à obtenir le statut de réfugié.
Toute demande fondée sur la circulaire du 5 août 1987 doit donc, quand cela est opportun, insister sur les différentes actions que le requérant a entreprises et sur la situation dans son pays d’origine afin de montrer qu’il n’a pas abusé du droit d’asile, le fait de ne pas avoir obtenu le statut pouvant résulter d’une insuffisance de preuves. À cet égard, les ressortissants sri-lankais devraient donc être considérés en général comme des « candidats » sérieux en vue d’une régularisation.
Il faut savoir, toutefois, que la direction départementale du travail et de l’emploi, comme ne cesse de le rappeler le ministère de l’Intérieur, conserve la possibilité d’opposer la situation de l’emploi à la demande d’autorisation de travail qui conditionne la délivrance du titre de séjour, et qu’elle use largement de ce pouvoir. On devine la volonté de se « renvoyer la balle » entre administrations, aucune d’elles ne souhaitant assumer seule la responsabilité de ces refus de régularisation en masse.
Si le demandeur d’asile débouté est père ou mère d’enfant français - la circulaire est claire sur ce point - l’entrée ou le séjour irrégulier ne permettent pas d’écarter d’office la demande. En effet, comme il peut dans cette hypothèse prétendre obtenir de plein droit une carte de résident en vertu de l’article 15 de l’ordonnance de 1945, la circulaire demande que le dossier soit examiné avec bienveillance, et dispense de soumettre les demandes aux « conditions préalables normalement exigibles des étrangers se trouvant dans une situation identique (production d’un visa de long séjour...) ».
Ce qui ne règle pas tous les problèmes. Ainsi, Mlle K., de nationalité zaïroise, arrivée en France en 1983, s’est vu définitivement refuser le statut en juin 1988. Elle a demandé à être admise au séjour, mais la préfecture du Val d’Oise subordonne l’examen de la demande à la preuve de la nationalité française de sa fille. Mlle K. a souscrit une déclaration de nationalité française pour sa fille en août 1988. Elle attend toujours l’attestation du tribunal d’instance, dont dépendra son éventuelle régularisation.
La circulaire prévoit enfin l’hypothèse où l’étranger craint d’être exposé, dans son pays d’origine, à des risques sérieux pour sa sécurité ou sa liberté : dans ce cas, la préfecture doit saisir l’administration centrale, et l’intéressé doit alors trouver un pays tiers susceptible de l’admettre au séjour.
Il faut regretter que la circulaire du 5 août 1985 soit dans l’ensemble assez mal appliquée, alors que ses dispositions sont à l’évidence nécessaires pour atténuer les effets de la politique souvent excessivement restrictive de l’OFPRA et pour résoudre les situations inextricables qui naissent de la longueur des procédures. Il faudrait pour cela que cesse la présomption de mauvaise foi qui pèse sur l’ensemble des demandeurs d’asile et qui conduit à les écarter presque systématiquement du champ d’application de la circulaire.
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