Article extrait du Plein droit n° 26, octobre 1994
« Une protection sociale en lambeaux »

La nécessaire adaptation des mutuelles immigrées

Evelyne Boutron

 

Les modifications législatives introduites en juillet 1985 dans le code de la mutualité ont largement ouvert aux populations immigrées l’espace mutualiste en France.

À l’heure où le système de protection sociale subit des mesures de plus en plus restrictives, quel rôle et quel relais offrent aujourd’hui ces mutuelles issues de l’immigration, face à des enjeux économiques de plus en plus lourds et de plus en plus contraignants ?

Cette évolution, qui a fait l’objet d’une étude récente dont les points essentiels sont évoqués ici [1], s’organise autour de deux objectifs qui ont guidé et accompagné leur création : le souci d’offrir un espace d’intégration à leurs propres communautés et celui de leur assurer une protection sociale accrue et correspondant à leurs besoins.

Rappelons, pour les situer, que c’est à l’instigation de Gabriel Lisette, président de la FNMOM (Fédération nationale de la mutualité d’outre-mer) que des modifications législatives ont été apportées au code de la mutualité en juillet 1985. Ces modifications ont ouvert aux populations immigrées l’espace mutualiste en France en les déclarant non seulement juridiquement aptes à gérer leurs propres sociétés mutualistes, mais aussi éligibles à tous les niveaux de responsabilité des instances mutualistes. Lors du XXXIe congrès national de la Mutualité française à Lyon en 1985, mandat était alors donné à la FNOM d’élaborer et de mettre en œuvre un projet concret.

Plusieurs mutuelles ont alors vu le jour dès l’année suivante : la mutuelle du Portugal, la mutuelle du Cap-Vert, Solidarité africaine, la mutuelle Maghreb-Méditerranée et, la dernière née en 1992, la mutuelle de Madagascar. Regroupées au sein de l’UMCII (Union mutuelle des communautés issues de l’immigration), un projet mutualiste était élaboré soulignant la volonté de l’immigration « de promouvoir sa protection sociale et d’assurer un travail de réflexion inter-communautaire au bénéfice de ces populations ».

Une croissance difficile

Si ce sont aujourd’hui des sociétés structurées et opérationnelles, les mutuelles immigrées n’ont pas véritablement déclenché de vaste mouvement en leur faveur, ni recueilli encore les adhésions massives qu’elles escomptaient, nécessaires à leur développement.

À cela, plusieurs raisons semblent pouvoir être invoquées, à la lumière des réflexions exprimées par leurs responsables et de l’enquête menée à ce sujet. Difficultés concernant les garanties proposées : si l’élément mobilisateur majeur était, à l’origine, d’offrir des prestations spécifiques relatives au rapatriement du corps en cas de décès, celles-ci n’ont finalement pas eu l’impact attendu. Ce constat révélait que, non seulement chaque communauté avait des besoins propres et parfois différenciés, mais aussi que chacune d’entre elles était l’objet d’une évolution de sa population dont il fallait désormais tenir compte.

Par ailleurs, une autre adaptation s’avérait nécessaire aux instigateurs du mouvement : celle qui consistait à s’orienter vers une forme de gestion de sociétés mutualistes dont le développement s’apparentait à de véritables entreprises ancrées dans la réalité économique du pays. Ce qui supposait un réajustement de la part de leurs responsables par rapport au fonctionnement du milieu associatif dont ils étaient généralement issus et dont ils espéraient aussi appui et soutien. Peu acquis à une culture d’entreprise et pas toujours représentatif des différentes communautés, ce noyau associatif s’est trouvé en décalage par rapport à un projet mutualiste qui reposait sur une orientation et des contraintes qui n’étaient pas les siennes.

Aussi, de nouveaux axes de réflexion et d’action ont-ils été mis en place pour que le mouvement mutualiste immigré puisse trouver l’assise sociale et l’insertion économique dont il avait besoin pour se développer : diversification des services offerts pour qu’ils correspondent mieux aux besoins des populations représentées, actions de formation à l’intention des responsables mutualistes, et d’information sur les mécanismes de la protection sociale en général et le fonctionnement des entreprises mutualistes. Mais aussi, et plus largement car tel est l’objectif à long terme de l’UMCII, actions menées dans les pays d’origine pour y promouvoir l’idée mutualiste et contribuer au développement de la protection sociale.

Des responsabilités réduites

Ces enjeux sont les siens aujourd’hui, après plusieurs années d’existence. Les mutuelles issues de l’immigration sont à la recherche d’une adéquation avec les communautés qu’elles sont censées représenter, un élargissement vers d’autres populations, plus récemment installées en France, et une gestion économique de leurs structures pouvant les amener vers une plus grande insertion au sein de la mutualité française.

Si certaines de ces orientations ont d’ailleurs bénéficié du concours et de la participation de celle-ci, les mutuelles semblent toutefois encore peu ou mal reconnues par le mouvement mutualiste dans son ensemble et souvent en marge de celui-ci.

Si la réforme du code de la mutualité donnait accès aux immigrés à des postes de responsabilités, ces modifications législatives semblent être restées souvent sans effet.

Dans la situation actuelle, le manque de statistiques ne permet pas de connaître le taux de la population immigrée mutualisée. Il apparaîtrait qu’au sein d’entreprises où des mutuelles sont fortement implantées, salariés français et immigrés y adhèrent à part égale. Mais ce n’est qu’une supposition, car la population immigrée n’a jamais fait l’objet d’une attention particulière de la part des instances mutualistes françaises. Si bien que ces nouvelles dispositions en faveur des immigrés sont restées lettre morte et n’ont généralement pas reçu l’information dont ceux-ci auraient pu bénéficier.

Essentiellement préoccupées par des difficultés économiques qui se manifestent par une concurrence accrue, notamment avec les compagnies d’assurance qui ont investi le marché de façon massive, les mutuelles dans leur ensemble ont jusqu’ici regardé ce mouvement mutualiste immigré avec une certaine indifférence. L’opinion la plus répandue étant que créer des mutuelles spécifiques à l’immigration était une erreur d’appréciation qui risquait de conduire le mouvement vers une nouvelle marginalisation plutôt que vers une intégration dans la société française.

Aussi ont-elles tendance à voir dans l’évolution de ces mutuelles immigrées un processus qui tend à rendre difficilement applicable le principe de solidarité qui est le fondement même de leur existence. Elles voient mal comment cette solidarité économique peut être mise en œuvre entre communautés qui se trouvent généralement en situation défavorisée.

Même s’ils tendent parfois à servir de justification à un manque d’intérêt pour le problème, les arguments évoqués valent d’être retenus. Ils s’intègrent dans la réflexion globale que les mutuelles issues de l’immigration semblent devoir mener aujourd’hui. Quel que soit le bilan qui puisse être fait, compte tenu de la situation économique dans laquelle se situent leur création et leur développement, il y a lieu de constater que des questions de fond restent posées qui concernent la structure même de leur mouvement et les objectifs qu’elles se proposent. Si ceux-ci visent à la fois la prise en compte d’une protection sociale étendue des communautés étrangères et une nécessaire insertion dans le tissu social et économique, n’y a-t-il pas lieu de réviser certaines orientations qui ont été prises et de redéfinir les besoins propres de populations qui ne sont pas toujours spontanément acquises, pour des raisons financières ou culturelles, à l’idée de la mutualisation ?





Notes

[1Immigration et mouvement mutualiste en France, Gisti, janvier 1994.


Article extrait du n°26

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Dernier ajout : vendredi 13 juin 2014, 18:21
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