Article extrait du Plein droit n° 7, avril 1989
« Des discriminations jusqu’à quand ? »
Du bon usage des conventions internationales
Bien que la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée en 1965 par les Nations-Unies, ne considère pas comme une discri- mination illicite les différences de traitement qu’un Etat peut être amené à établir entre ses ressortissants et les étrangers, ceux-ci peuvent néanmoins contester les agissements du pays d’accueil sur le fondement des dis- positions de cette Convention lors- qu’ils s’estiment victimes de discri- mination raciale au sens strict. Et parfois avec succès, comme on va le voir.
Constitue une discrimination ra- ciale au sens de la Convention « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de com- promettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamenta- les dans les domaines politique, éco- nomique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ».
La Convention a également prévu un droit de plainte individuelle qui permet, en cas de violation de ses dispositions, de saisir le Comité pour l’élimination de la discrimination ra- ciale. Celui-ci est compétent pour examiner les pétitions émanant de personnes qui ont été victimes de discrimination et qui ont épuisé tous les recours internes disponibles. Ce droit est toutefois subordonné à l’ac- ceptation préalable de la compétence du Comité par l’Etat intéressé (1).
Le Comité a rendu sa première décision le 10 août 1988, dans une affaire relative au licenciement d’une femme de nationalité turque employée par une entreprise néerlandaise. La discrimination ressortait du motif in- voqué par l’employeur pour justifier le licenciement de l’intéressée alors qu’elle était enceinte et qu’une femme enceinte ne peut pas en principe être licenciée : quand une jeune néerlan- daise se marie et a un enfant, alléguait- il, elle s’arrête de travailler ; les ouvrières étrangères, en revanche, continuent à travailler, mais au moin- dre ennui se mettent en congé de maladie, ce qui risque d’acculer l’en- treprise à la faillite. Licenciée en juin 1982, l’intéres- sée n’avait pu obtenir des tribunaux néerlandais ni l’annulation du licen- ciement, ni l’engagement de poursui- tes contre l’employeur sur le fonde- ment des dispositions du Code pénal réprimant la discrimination raciale, les autorités judiciaires ayant estimé que si les remarques faites par l’em- ployeur étaient « malheureuses et blâmables », ni ces remarques, ni le licenciement n’étaient constitutifs d’une telle discrimination. Elle a donc saisi le Comité pour l’élimination de la discrimination ra- ciale le 28 mai 1984, en faisant valoir que les Pays-Bas avaient violé la disposition de la Convention qui fait obligation aux Etats de garantir le droit à l’égalité dans la jouissance du droit au travail et dans la protection contre le chômage ; elle estimait également que les Pays-Bas ne lui avaient pas offert une protection et des voies de recours effectives devant les tribunaux, notamment en n’ordon- nant pas au procureur d’engager des poursuites contre l’employeur, alors que la Convention les oblige à prendre des mesures positives en vue d’éli- miner les actes de discrimination ra- ciale.
La plainte, déclarée recevable le 19 mars 1987, a donc donné lieu à une « opinion », accompagnée d’une « re- commandation » à transmettre aux parties, le 10 août 1988. Seul le pre- mier grief a été retenu par le Comité : il a estimé que le droit de l’intéressée au travail n’avait pas été protégé, et a recommandé que les autorités véri- fient que la requérante avait à présent un emploi rémunéré, et dans la néga- tive qu’elles fassent usage de leurs bons offices pour lui assurer un nou- vel emploi ou lui permettre d’obtenir une réparation équitable.
Sur le second point, le Comité a estimé que dans les circonstances de l’affaire, et compte tenu notamment de l’existence d’une voie de recours contre la décision du procureur de ne pas poursuivre, voie de recours effec- tivement utilisée en l’espèce, le fait que des poursuites pénales n’aient fi- nalement pas été engagées contre l’employeur ne pouvait être considéré comme une violation par les Pays Bas de leurs engagements internationaux.
Il ressort toutefois de la décision - et c’est ce qui fait une bonne partie de son intérêt - qu’un Etat ne pourrait se contenter d’adopter quelques règles anti-discriminatoires sans se préoc- cuper ensuite d’en assurer le respect : si le principe de l’opportunité des poursuites n’est pas en lui-même contraire aux dispositions de la Con- vention, dit le Comité, il doit toutefois être appliqué, dans les cas de discri- mination raciale, à la lumière des ga- ranties énoncées dans la Convention.
(1) La France, qui a adhéré à la Convention en 1971, a reconnu la compétence du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale par une déclaration du 16 août 1982. Onze autre pays ont reconnu le droit de plainte individuelle, dont six pays d’Europe : la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, l’Italie, l’Islande et le Danemark.
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