Article extrait du Plein droit n° 7, avril 1989
« Des discriminations jusqu’à quand ? »

Sécurité sociale : des inégalités tenaces

Le principe de l’égalité de traitement entre nationaux et étrangers, inscrit pourtant dans le Code de la sécurité sociale, est limité par un certain nombre de principes et de règles qui reviennent en fait à instaurer des discriminations.

La Convention 118 de l’Organisation Internationale du Travail (O.I.T.), ratifiée par la France en 1974, prévoit l’égalité de traitement entre les nationaux et les non nationaux en matière de sécurité sociale. Elle dispose en effet dans son article 3 que « tout membre pour lequel la présente convention est en vigueur, doit accorder sur son territoire aux ressortissants de tout autre membre pour lequel la dite convention est également en vigueur, l’égalité de traitement avec ses propres ressortissants au regard de sa législation, tant en ce qui concerne l’assujettissement que le droit aux prestations, dans toute branche de sécurité sociale pour laquelle il a accepté les obligations de la convention ». Or, en violation totale avec ce principe, le code français de sécurité sociale prévoit (art. 821-1) que n’auront droit à l’allocation aux adultes handicapés (A.A.H.) que les Français ou les ressortissants de pays ayant passé une convention spécifique avec la France. À l’heure actuelle, cette disposition ne concerne que la C.E.E., la Suède, les réfugiés et les apatrides.

Le même sort est réservé à l’allocation supplémentaire du Fonds National de Solidarité (FNS), qui vise à compléter le minimum vieillesse offert à toute personne âgée de plus de 65 ans. En effet, seuls les Français et les étrangers originaires de pays ayant passé une convention bilatérale traitant spécifiquement de cette allocation peuvent y prétendre et ce, pour une question de réciprocité. Or, le F.N.S. étant financé non par des cotisations de sécurité sociale mais par les impôts, tous ceux qui résident en France devraient pouvoir en bénéficier, quelle que soit leur nationalité. Cette exclusion précarise et marginalise une frange de la population immigrée âgée aux ressources déjà fort modestes.

Si la nationalité n’est plus, mises à part ces deux exceptions — de taille, il est vrai — directement la cause de la différence de traitement entre Français et étrangers, par contre, les conditions à remplir pour toucher telle ou telle prestation ne sont pas toujours strictement les mêmes. On exige ainsi, pour le versement de l’allocation compensatrice réservée aux handicapés dépourvus de toute pension et dont l’état nécessite l’aide effective d’une tierce personne, une résidence de quinze ans, sauf convention internationale plus favorable, cette durée de résidence n’étant évidemment pas requise pour un ressortissant français. De même, dans le domaine de l’aide sociale, si aucune convention ne prévoit de conditions plus favorables, l’aide médicale à domicile ne pourra être perçue qu’après une durée de résidence de 3 ans en France. Quand on sait que ces prestations s’adressent aux personnes les plus démunies, on peut mesurer les effets néfastes de telles dispositions..

En ce qui concerne les prestations familiales, les droits des membres de famille de travailleurs étrangers résidant en France sont identiques à ceux des nationaux. Depuis la loi Barzach du 29 décembre 1986 cependant, cette « égalité de traitement » est soumise à la condition que les bénéficiaires et leurs enfants soient entrés et séjournent régulièrement en France. Par cette exigence, de nombreuses familles résidant de fait en France sans avoir pu remplir les conditions légales du regroupement familial — qui, comme on le sait, sont parfois tellement dissuasives, qu’elles contraignent les intéressés, désireux malgré tout de vivre en famille, à passer outre — seront exclues du bénéfice des prestations familiales.

Les demandeurs d’asile, eux, sont exclus de fait de l’octroi des prestations familiales depuis l’intervention du décret du 27 avril 1987 pris pour application de la loi Barzach. En effet, celui-ci subordonne le versement des prestations à la possession d’un titre de séjour ayant une validité égale ou supérieure à 6 mois. Or, l’A.P.S. ou le récépissé que leur est délivré dans l’attente d’une réponse de l’OFPRA et tenant lieu de titre de séjour, parfois pendant des années, n’a qu’une validité de 3 mois.

Ces mêmes règles, régularité du séjour et exclusion des demandeurs d’asile, ont été appliquées pour l’attribution du R.M.I.

La France a construit tout son système de protection sociale sur le principe de territorialité qui interdit l’exportation des prestations : un étranger rentrant dans son pays perdra tout ou partie des droits acquis en France pour lui et sa famille ; de même, si celle-ci ne réside pas en France, elle n’aura aucun droit. Ce système, source de nombreuses inégalités, a été remis en cause par les conventions signées par la France avec la C.E.E. d’une part, et avec une trentaine de pays d’autre part.

Les règlements communautaires prévoient le versement des prestations au même taux pour les résidents communautaires et leur famille, quel que soit le lieu de résidence de celle-ci à l’intérieur de la Communauté. Cependant, refusant d’appliquer ces règlements, notamment en ce qui concerne les prestations familiales, la France s’est vu condamner à plusieurs reprises par la Cour de justice européenne.

Dans le cadre des conventions bilatérales, les familles restées au pays d’origine sont couvertes, notamment pour l’assurance maladie et les prestations familiales, par un forfait de participation versé par les organismes français de sécurité sociale aux caisses étrangères. Il est évident que le niveau de protection sociale et la qualité du système de soins n’est pas le même en Algérie, au Mali, au Sénégal et en France. Il sera cependant pratiquement impossible, même dans les cas graves, d’obtenir la prise en charge des soins en France pour les ayants droit, quelle que soit la durée de résidence de l’assuré en France (1).

Quant aux prestations familiales, les taux de versement aux familles sont variables suivant les pays et les conventions, mais toujours très inférieurs au taux français : ainsi, au 1er juillet 1988, alors qu’une famille française de 4 enfants percevait 2018 F. par mois, une famille algérienne ne percevait que 412 F. et une famille cap-verdienne 188 F.

Où est la logique d’un système qui d’un côté renforce les obstacles au regroupement familial, et de l’autre, instaure et perpétue des discriminations qui sont autant d’incitations à venir s’installer en France ?

En 1985, par une décision d’une légalité douteuse, et apparemment contraire à de nombreuses conventions bilatérales, le gouvernement français a décidé de suspendre le droit à la protection sociale pour les familles restées au pays si l’assuré résidant en France ne peut fournir de justificatif d’activité salariée. Ainsi, le fait d’être au chômage, en invalidité, en préretraite ou en retraite, fait perdre tous les droits à la famille restée au pays.

La protection sociale est, comme on le voit, un domaine où les discriminations sont encore nombreuses créant de graves inégalités entre Français et étrangers d’une part, mais également entre étrangers selon leur pays d’origine. Cette situation n’est pas tolérable. Le principe de l’égalité de traitement qui s’est peu à peu généralisé en matière de droit du travail doit trouver une application aussi large en matière de protection sociale.

« La maîtrise des flux migratoires […] ne saurait […] s’accommoder d’une accumulation de mesures discriminatoires ponctuelles, certes généralement présentées comme d’inoffensives mesures d’économie, mais conçues comme autant de petits mécanismes dissuasifs ; car il serait illusoire de penser qu’on puisse réguler des flux humains par des réglementations restrictives ou des privations de droits » (2).


(1) La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 6 janvier 1989, vient de statuer en sens contraire. En effet, elle a admis la prise en charge de l’ayant droit d’un ressortissant malien résidant en France. Cet ayant droit, qui résidait habituellement au Mali, était venu en France pour y être hospitalisé et recevoir des soins. La Cour d’appel a écarté l’application de la convention franco-malienne, réclamée parla caisse primaire d’assurance maladie, au profit de l’application du Code de la sécurité sociale. Elle a estimé que celui-ci n’édictait aucune condition de résidence habituelle et que, dès lors que les soins étaient dispensés en France, le principe de territorialité n’était pas remis en cause.

(2) Rapport du Commissariat général du Plan « Immigrations : le devoir d’insertion », La Documentation française, p. 211.



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Dernier ajout : jeudi 3 avril 2014, 12:19
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