Article extrait du Plein droit n° 49, avril 2001
« Quelle Europe pour les étrangers ? »
Médecins étrangers : un pas vers l’égalité ?
Cyril Wolmark
Doctorant à l’Université Paris X-Nanterre, IRERP.
Les médecins à diplôme étranger ont toujours été considérés par le droit comme des médecins de seconde zone. Ils ne peuvent s’installer « en ville » et n’ont pas accès aux statuts classiques de l’hôpital. En revanche, ils participent au service public hospitalier sous couvert de statuts spéciaux et précaires. Au regard de leur importance dans le fonctionnement quotidien des hôpitaux, on comprend vite que toute loi visant à réduire le nombre de ces médecins constitue en même temps une atteinte au service public hospitalier.
C’est en 1995 que la première tentative d’éviction des médecins à diplôme étranger de l’hôpital a eu lieu. La loi du 4 février 1995 plongeait ses racines politiques dans les velléités de réduction du budget de la santé publique et dans un contexte juridique xénophobe. Elle se présentait, à l’image de bien d’autres lois attentatoires aux droits des immigrés, comme une loi d’intégration, celle des médecins à diplôme étranger à l’hôpital. L’intégration, masque affable de l’exclusion. Un examen même rapide de cette loi, composée de deux volets principaux, fait tomber le masque.
Premier volet : la loi crée un nouvel examen pour un nouveau statut, celui de praticien adjoint contractuel (PAC). Pour avoir le droit de se présenter à cet examen, les médecins à diplôme étranger doivent avoir exercé pendant au moins trois ans certaines fonctions hospitalières, dans des conditions strictes et déterminées. Le statut de PAC n’autorise à exercer qu’à l’hôpital. Comme leur nom l’indique, les praticiens adjoints contractuels ne sont pas titulaires mais contractuels. Ils ne bénéficient donc pas de la stabilité attachée aux autres postes hospitaliers réservés aux médecins français à diplôme français.
Second volet : la loi interdit le recrutement à l’hôpital de tout médecin à diplôme étranger qui n’a pas réussi l’examen PAC. Dans les premiers mois d’application de la loi, il semblait bien que tous les autres médecins se verraient interdits d’exercice à l’hôpital. Sans entrer dans le détail de ces dispositions aujourd’hui abrogées, il faut relever que ce dispositif visait à écarter purement et simplement de la médecine la moitié des médecins à diplôme étranger alors en poste. Certains d’entre eux se sont retrouvés au chômage, d’autres ont continué à travailler en tant qu’infirmiers ou aides soignants, d’autres encore ont perdu leur titre de séjour [1].
Très vite, les limites de ce dispositif ont été atteintes : postes vacants, atteinte à la continuité des soins, entraves à l’accueil des chercheurs universitaires étrangers. Des dispositions législatives et administratives ont alors été adoptées pour atténuer les effets de la loi [2] et permettre aux hôpitaux d’embaucher ou de conserver à leur service certains médecins à diplôme étranger qui n’avaient pas passé ou pas réussi l’examen de praticien adjoint contractuel [3].
Indésirables
Ceux qui n’avaient pas voulu ou pas pu s’inscrire à l’examen PAC conservaient leur poste en fonction des besoins de l’hôpital et des pratiques administratives. Mais le principe demeurait : les médecins à diplôme étranger n’ayant pas réussi à accéder au statut de praticien adjoint contractuel étaient indésirables.
Devant les protestations des intéressés et consciente des impasses du dispositif, la nouvelle majorité de 1997 a décidé d’abroger la loi et de redéfinir le statut de ces médecins. Pour éviter que trop de discussions s’engagent sur cette initiative, le gouvernement a glissé le nouveau statut à l’article 60 de la loi relative à la couverture maladie universelle du 27 juillet 1999.
Cette loi, annoncée comme une rupture avec le dispositif précédent, ne fait que reproduire des schémas anciens. Elle prohibe toujours tout nouveau recrutement de médecins à diplôme étranger à compter du 27 juillet 1999, sauf s’ils ont réussi l’examen PAC. Toutefois, les médecins exerçant avant cette date peuvent continuer à travailler à l’hôpital et changer de poste ou de lieu de travail [4].
Mais c’est surtout le second pan de la loi – les nouvelles conditions d’accès à l’examen de praticien adjoint contractuel – qui retiendra notre attention ici. Le PAC reste un statut hybride, calqué sur le précédent : contrat de trois ans maximum sans les garanties attachées généralement au statut. De plus, il est conçu comme une situation transitoire – un sas – vers la plénitude d’exercice de la médecine à l’hôpital et/ou en ville. Pour passer cet examen, il faut désormais justifier de trois ans d’exercice à l’hôpital avant le 1er janvier 1999 en tant qu’assistant associé, attaché associé ou faisant fonction d’interne (statuts réservés aux médecins à diplôme étranger).
Telles sont les seules exigences posées par la loi et le décret d’application. Un arrêté du 23 mars 2000 est pourtant venu ajouter une condition supplémentaire : les médecins à diplôme étranger souhaitant poser leur candidature doivent être en possession de certains diplômes français de spécialisation, limitativement énumérés par l’arrêté. Il s’agit du diplôme d’études spécialisées à titre étranger (DES), du certificat d’études spéciales (CES), ou du diplôme inter-universitaire de spécialisation (DIS). Ces diplômes sanctionnent une formation de spécialiste.
Cette exigence supplémentaire exclut de fait la plupart des médecins à diplôme étranger exerçant en France. S’agissant du DES à titre étranger, seuls les médecins de nationalité étrangère sont susceptibles d’avoir obtenu ce diplôme. Par conséquent, les médecins français à diplôme étranger (la majorité, selon les syndicats de médecins à diplôme étranger) ne peuvent s’en prévaloir.
Quant au DIS, il faut savoir qu’à partir de 1992, l’inscription y a été conditionnée par sa reconnaissance par le pays d’origine du candidat. Or, certains pays n’ont reconnu aucun DIS (par exemple l’Algérie, la Russie, la Tunisie, le Sénégal) ; d’autres n’en ont reconnu que certains (Chili, Côte d’Ivoire, Maroc) ; quant aux réfugiés, dans l’incapacité de fournir les documents nécessaires, ils n’ont pu s’inscrire à aucun d’entre eux. De surcroît, la période de formation (quatre ans) n’est pas prise en compte pour le calcul des trois années d’exercice nécessaires pour se présenter à l’examen, alors que les médecins à diplôme étranger qui suivent cette formation de spécialiste exercent souvent une activité à part entière à l’hôpital. Enfin, s’agissant du CES, la dernière session d’inscription date de 1983, ce qui se passe même de commentaire.
Inefficace et illégal
Cet arrêté a été aussi inefficace qu’illégal [5]. En Ile-de-France, seuls 300 dossiers sur les 1500 déposés ont été retenus. Mille deux cents médecins se sont donc vu refuser l’accès au statut de praticien adjoint contractuel, non parce qu’ils ont échoué aux épreuves mais uniquement parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de les passer.
Pour justifier le dispositif mis en place, le gouvernement brandit la question de l’aptitude et de la responsabilité médicales, l’examen PAC étant conçu comme une vérification des compétences. Mais les arguments ne résistent pas à une analyse de la situation des médecins à diplôme étranger. En effet, ces derniers exercent déjà en qualité de spécialistes. Ils sont donc jugés compétents pour soigner des patients, sur la base de leur diplôme étranger et du diplôme français qu’ils ont souvent passé durant leur carrière en France.
Pourquoi des praticiens habilités à soigner des patients ne pourraient pas accéder au statut de médecin à part entière ? La compétence acquise tant en France qu’à l’étranger ainsi que les différentes expériences professionnelles devraient être prises en compte. Et l’idée même d’un examen réservé aux médecins à diplôme étranger pour vérifier leurs aptitudes devient alors sans objet. Ces médecins devraient pouvoir postuler aux mêmes concours que les médecins à diplôme français dans les mêmes conditions.
En toute logique, leur formation et leur compétence devraient être reconnues.
L’arrêt de la Cour de justice
C’est ce que vient de faire la Cour de justice des Communautés européennes dans un arrêt du 14 septembre 2000. Dans cette affaire, M. Hocsman, ressortissant espagnol d’origine argentine, disposait d’un diplôme en médecine argentin acquis en 1977, et avait poursuivi des études de spécialiste en Espagne à partir de 1980. L’Espagne avait reconnu son diplôme de médecin équivalent au diplôme national.
En 1990, M. Hocsman est venu en France et a exercé dans des hôpitaux jusqu’en 1995, date à laquelle son contrat n’a pas été renouvelé en raison de la première loi PAC. Il s’est alors retrouvé au chômage et a demandé à exercer la médecine en France en se prévalant des dispositions communautaires sur le libre établissement. L’autorisation d’exercice lui a été refusée par le conseil de l’ordre puis par le ministre de l’emploi et de la solidarité. Le tribunal administratif, saisi par M. Hocsman, a demandé à la Cour de justice des Communautés européennes un avis sur l’interprétation du droit communautaire dans cette affaire.
La question posée à la Cour était en substance la suivante : doit-on accorder le droit d’exercer la médecine à un ressortissant communautaire alors que son diplôme de médecin, obtenu hors de l’union européenne, n’est pas mentionné dans la directive de reconnaissance de diplômes ? Celle-ci fixe en effet la liste des diplômes qui permettent à tout ressortissant communautaire de s’installer dans un pays de l’Union européenne pour exercer la médecine généraliste et/ou spécialiste, et ce dans les mêmes conditions que les nationaux. Le diplôme argentin de docteur de M. Hocsman n’est, bien sûr, pas visé par la directive qui ne traite que des diplômes européens.
La Cour indique que la situation d’un ressortissant communautaire qui ne possède pas de diplôme mentionné dans la directive doit être examinée en tenant compte de tous les diplômes de l’intéressé et de l’ensemble de son expérience, qu’ils aient été acquis dans le pays d’origine ou dans le(s) pays d’accueil. Il faut ensuite comparer les compétences attestées par ces titres et cette expérience avec les connaissances et qualifications exigées par la loi nationale.
La Cour de justice recommande implicitement de confronter la durée de la formation dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil et les stages effectués durant cette formation avec les critères de la directive de reconnaissance de diplôme, qui exige notamment six années d’enseignement théorique et pratique dispensés dans une université [6].
Un ressortissant communautaire dont le diplôme a été acquis hors de l’Union européenne a donc le droit de faire valoir ses titres et expériences acquis tout au long de sa carrière afin de se voir reconnaître l’exercice plein et entier de la médecine. La portée de cette décision est double. Tout d’abord elle impose aux autorités françaises d’examiner l’ensemble de la situation d’un médecin européen dont le diplôme de docteur en médecine a été obtenu hors de l’Union européenne.
Or, la position du ministère n’a pas changé d’un iota depuis cette décision. Pourtant, tous les médecins communautaires qui possèdent un doctorat en médecine extra-communautaire devraient voir leur demande d’exercice de la médecine examinée selon les critères posés par la jurisprudence communautaire. La voie du PAC ne devrait pas constituer pour eux l’unique voie d’accès à la plénitude de l’exercice de la médecine. Sur ce point, la législation française n’est donc pas conforme au droit communautaire.
D’absurdes discriminations
Mais, plus globalement, la CJCE pose des principes applicables à tous les médecins à diplôme étranger. Ces principes devraient inspirer le législateur français, cramponné à la question du diplôme et aveugle sur les acquis de ces médecins. La différence de traitement entre les ressortissants communautaires et les ressortissants des Etats tiers confine à l’absurde. En effet, un médecin communautaire bénéficie de la plénitude d’exercice sur la seule base de son diplôme alors qu’un médecin extra-communautaire [7] travaillant déjà en France ne peut pas en bénéficier.
Malgré les réticences prévisibles de l’administration française et d’une partie du corps médical à reconnaître l’égalité des droits entre tous les médecins exerçant en France, on peut espérer que la décision de la CJCE constitue le premier jalon juridique et intellectuel de l’élimination des discriminations dans le secteur hospitalier, que cette discrimination soit fondée sur l’origine du diplôme ou sur la nationalité. ;
Notes
[1] Plein droit n° 36-37, p .82.
[2] Sur ce point voir Plein droit n° 36-37, p. 80.
[3] Circulaire NOR MESN 9830014N du 3 août 1998 et loi du 28 mai 1996, JO du 29 mai 1996.
[4] Circulaire DH/DGC/PH/PS/PM n
[5] Un recours contre cet arrêté est actuellement devant le Conseil d’Etat.
[6] Article 23 de la directive 93/16/CE du conseil en date du 5 avril 1993 visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes certificats et autres titres. Voir l’article 24 pour les spécialistes.
[7] Les ressortissants des pays membres de l’Espace économique européen (Norvège, Islande, Liechtenstein) sont placés dans la même situation privilégiée que les ressortissants des pays membres de l’Union européenne.
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