Article extrait du Plein droit n° 49, avril 2001
« Quelle Europe pour les étrangers ? »

L’harmonisation des politiques d’asile

Hélène Gacon

Avocate

A la fin des années 1980, le droit d’asile a connu l’une de ses premières crises de portée européenne. Les gouvernements des États semblaient en effet avoir épuisé leurs ressources pour tenter de contrôler leurs flux migratoires et, dans le même temps, le gonflement massif de la demande d’asile leur apparaissait souvent comme un moyen, pour les étrangers, d’accéder légalement sur leur territoire, ne serait-ce que provisoirement, et de détourner les objectifs réels du droit d’asile.

L’on constatait également que, malgré les rejets qui leur étaient opposés, les étrangers ne rentraient pas dans leur pays d’origine et tentaient leur chance successivement dans les différents pays européens.

A la même période, les États membres de la Communauté européenne, bien souvent, n’avaient pas encore réglementé avec précision l’accès à leur territoire ni le sort de ceux qui se trouvaient en « zone internationale », c’est-à-dire qui avaient débarqué de leur bateau ou de leur avion et qui ne parvenaient pas à satisfaire aux contrôles de police effectués aux frontières. Tel était le cas des demandeurs d’asile souvent contraints de quitter leur pays d’origine dans la précipitation, sans pouvoir accomplir de formalités en vue de l’obtention d’un passeport et d’un visa d’accès aux pays européens.

Sur la base de la Convention de Chicago relative aux transporteurs aériens, les autorités policières aux frontières n’hésitaient pas à refouler les candidats à l’asile vers l’État de provenance et les étrangers se trouvaient donc souvent ballottés d’un aéroport à l’autre, transformés en véritables « demandeurs d’asile sur orbite ».

Tel est le contexte dans lequel certains États européens ont décidé de coordonner leurs efforts et d’élaborer ensemble une politique européenne d’asile.

I. Les normes européennes adoptées avant le Traité d’Amsterdam

1. La coordination du traitement des demandes d’asile en Europe

Le premier objectif concernait le partage des compétences entre les différents États membres de la Communauté européenne pour le traitement des demandes d’asile. C’était l’objet de la

Convention de Schengen

du 19 juin 1990, entrée en vigueur le 25 mars 1993 et qui concernait seulement certains États membres de la Communauté européenne (Allemagne, Benelux et France).

Le titre relatif à l’asile de la Convention de Schengen a ensuite été supprimé lors de l’entrée en vigueur, le 1er novembre 1997, de la Convention de Dublin, du 15 juin 1990, dont le contenu est quasiment identique à celui de Schengen, mais qui a une vocation géographique plus large puisqu’il concerne les quinze États membres de l’Union européenne actuelle.

L’objectif de la Convention de Dublin est d’harmoniser la politique d’asile des États membres dans la perspective de la suppression de leurs frontières communes. Il ne s’agit pas d’uniformiser les procédures nationales ni de définir les critères communs en vue de la reconnaissance du statut de réfugié, mais de garantir que toute demande d’asile présentée sera examinée, et de fixer avec précision les critères de détermination de l’État responsable (État où résident des membres de la famille du demandeur qui sont déjà réfugiés statutaires, État ayant délivré un titre de séjour ou un visa, État par lequel le demandeur d’asile a pénétré le territoire européen…). Ce mécanisme de coordination de la responsabilité du traitement des demandes d’asile est logiquement complété par un mécanisme de prise en charge entre les États et de transfert effectif des demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne. La Convention est toujours appliquée par les quinze États membres de l’Union européenne même si sa réforme est actuellement envisagée (cf. infra).

2. Les normes adoptées dans le ca dre du « Troisième pilier »

La période qui a suivi l’adoption du Traité sur l’Union européenne du 7 février 1992 a marqué la suite du « laboratoire européen » qui avait pris naissance avec la signature des accords de Schengen.

Ainsi, lors du Conseil européen de Londres du 1er décembre 1992, les États membres ont adopté deux résolutions, l’une concernant une approche harmonisée des pays tiers sûrs, l’autre relative aux demandes manifestement infondées, définissant ainsi les critères devant être suivis pour l’admission des demandeurs d’asile sur le territoire européen.

Tout comme celles qui sont suivi, ces résolutions sont dépourvues d’effet juridique contraignant, comme l’a, à juste titre, rappelé le Conseil d’État français (CE, 18 décembre 1996, Rogers c/ministère de l’intérieur). Ces textes ont cependant tous eu un impact politique important puisqu’ils ont permis d’inciter les États membres de l’Union européenne à intégrer le contenu de ces règles dans leur propre législation nationale et à les rendre ainsi obligatoires.

La résolution du 20 juin 1995 

relative aux garanties minimales de procédure rappelle un certain nombre de principes fondamentaux dont les demandeurs d’asile doivent en théorie bénéficier, et qui sont malheureusement souvent oubliés par les États signataires : principe de non refoulement, principe de coopération avec le Haut Commissariat pour les réfugiés, nécessité qu’une décision soit prise par une autorité indépendante et qualifiée, possibilité d’exercer un recours effectif contre les décisions prises par ces autorités, confidentialité des données, droit au séjour pendant l’examen de la demande d’asile avec néanmoins la possibilité, pour les États, de prévoir des dérogations, notamment si une demande d’asile paraît manifestement abusive ou dilatoire.

Le 

4 mars 1996

, les États membres de l’Union européenne ont adopté une

position commune (semblable à une résolution) relative au terme de « réfugié »

.

Ce texte, dont la portée reste programmatique, révèle que les États ont décidé, dès 1996, de commencer à rapprocher leurs points de vue sur les critères d’attribution du statut de réfugié dans les différents États membres. Dans le cadre du CIREA (centre d’information, de discussion et d’échange sur l’asile), ils se concertent par ailleurs régulièrement sur l’interprétation des règles d’attribution du statut de réfugié définies à la Convention de Genève. Ces travaux sont cependant effectués dans la plus stricte confidentialité et ne sont jamais formalisés.

On relève, dans cette position, la tentation de limiter la notion de réfugié à la situation des personnes victimes de persécutions émanant des autorités étatiques et ce, contrairement à la position encore tenue par certains États, dont la France, et surtout aux recommandations du Haut Commissariat pour les réfugiés.

La

résolution du 26 juin 1997 concernant les mineurs isolés

préconise qu’une tutelle soit mise en place dans les meilleurs délais à l’égard de ces personnes nécessitant une protection accrue, et qu’elles soient placées dans un lieu adapté (ce qui n’est pas le cas en France, par exemple, avec les zones d’attente). Elle reconnaît néanmoins que les mineurs âgés de plus de 16 ans peuvent être hébergés dans des centres pour adultes et souligne enfin qu’il ne peut être procédé à aucun renvoi vers un pays dont ils n’ont pas la nationalité.

II. La politique européenne en matière d’asile dans le cadre du Traité d’Amsterdam

1. Le Traité d’Amsterdam

(2 octobre 1997)2 Ce traité marque une étape déterminante en matière d’asile puisque les États membres décident d’harmoniser davantage leur politique commune.

Deux catégories de personnes (et donc de règles) sont envisagées : les candidats au statut de réfugié relevant de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, et les réfugiés et personnes déplacées ne relevant pas de cette Convention.

Pour les réfugiés « Convention de Genève », les domaines « communautarisés » sont les suivants :

critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ;

  • normes minimales régissant l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres ;
  • normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ;
  • normes minimales concernant la procédure d’octroi ou de retrait du statut de réfugié dans les États membres.

S’agissant des réfugiés ne relevant pas de la Convention de Genève, notamment des personnes nécessitant une protection considérée comme subsidiaire (cf. l’asile territorial en France) ou des personnes déplacées temporairement, les domaines envisagés au niveau communautaire sont les suivants :

normes minimales relatives à l’octroi d’une protection temporaire aux personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, et personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale ;

  • mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir des réfugiés et des personnes déplacées et supporter les conséquences de cet accueil (article 63, 1 et 2, du Traité instituant la Communauté européenne, ci-après « TCE »).

Une véritable politique commune doit, en principe, être élaborée dans ces domaines dans les cinq ans qui suivent l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, soit, au plus tard, le 30 avril 2004 (ceci ne concerne pas la dernière série de règles relatives à la répartition des charges entraînées par l’accueil des réfugiés et personnes déplacées, la « burden sharing »). Mais ces textes devant être adoptés à l’unanimité, ils permettent à chacun des États membres de l’Union européenne de contrôler de manière efficace la mise en œuvre des premières étapes de cette « commutarisation » et donc, le cas échéant, de manifester un droit de veto.

De plus, c’est seulement à l’expiration de cette période que les États membres décideront, à l’unanimité une fois encore, si, pour l’avenir, les autres mesures prises dans ces domaines seront adoptées à une simple majorité qualifiée (ce qui permettrait alors à certains États d’imposer leur position) ou toujours à l’unanimité. Le contexte actuel permet de penser que nous sommes encore très loin de voir un quelconque abandon de souveraineté par l’un ou l’autre des États membres.

Le Traité d’Amsterdam est complété par un

protocole dit « Aznar »

du nom du Premier ministre espagnol qui en est à l’initiative. Soucieux de régler les difficultés qu’il rencontrait pour faire extrader certains de ses ressortissants – notamment basques – exilés dans d’autres pays de l’UE, le gouvernement espagnol a en effet réussi à faire accepter par ses partenaires – à l’exception de la Belgique – le principe selon lequel une demande d’asile présentée par un ressortissant d’un Etat membre de la Communauté européenne dans un autre Etat membre doit être considérée comme irrecevable. En ratifiant le protocole Aznar , les Etats ont introduit pour la première fois la notion de « pays sûr » dans un traité international, alors même qu’elle était censée, aux termes de la résolution de Londres de 1992, rester dépourvue de tout caractère contraignant. Surtout, la présomption de respect des droits de l’homme dont sont a priori crédités les Etats membres va à l’encontre des principes généraux de la Convention de Genève : mécanisme individuel de détermination du statut de réfugié, aucune limitation géographique d’application.

Il y a lieu de s’inquiéter de la stricte application de ce Protocole pour l’avenir, si les actuels candidats à l’adhésion à l’Union européenne ne modifient pas certains aspects de leur politique actuelle au regard des droits de l’homme. Tel est le cas par exemple des autorités hongroises ou tchèques à l’égard de la minorité Rom, de l’Estonie qui applique encore la peine de mort ou enfin de la Pologne dont les objecteurs de conscience relèvent d’une peine d’emprisonnement.

2. La mise en œuvre du Traité d’Amsterdam

Depuis la signature du Traité d’Amsterdam le 2 octobre 1997, les États membres de l’Union européenne n’ont cessé de manifester leur souci de voir naître la politique commune de droit d’asile fixée dans le Traité d’Amsterdam. Plusieurs étapes ont marqué de manière déterminante cette mise en place progressive.

a – Le « Papier autrichien » : élaboration d’une stratégie pour une future politique européenne de l’immigration

(1er juillet 1998)2 Le gouvernement autrichien a ouvert la présidence de l’Union européenne, qu’il a exercée au cours du deuxième semestre 1998, par la diffusion d’un document programatique couramment appelé le « papier autrichien ».

Le document part d’un constat : le statut de réfugié prévu par la Convention de Genève est inadapté aux évolutions récentes (exemple, les conflits en ex-Yougoslavie). Une politique commune de l’asile doit en conséquence être fondée sur une nouvelle approche ne reposant plus sur un droit individuel et subjectif à une protection mais sur l’offre politique émanant des Etats d’accueil. Cette orientation permettrait de réduire les coûts et les moyens humains et devrait, à plus long terme, conduire à modifier ou même à remplacer la Convention de Genève.

S’agissant du mécanisme de la répartition des responsabilités du traitement des demandes d’asile prévue à la Convention de Dublin, il est indiqué que ce système pourra fonctionner seulement si les conditions d’accueil sont plus ou moins semblables d’un État membre à un autre. Est par ailleurs préconisé un développement de la coopération avec les États se trouvant dans les principales zones d’émigration et une meilleure évaluation de la situation dans ces pays tiers. Enfin, le « papier » décrit un système de cercles concentriques allant des pays d’émigration aux pays d’accueil en passant par certains pays de transit : un renforcement de la coopération entre ces différentes catégories de pays permettrait ainsi un filtrage à la source des demandeurs d’asile avant qu’ils puissent effectivement se rendre sur le territoire des États membres de l’Union européenne.

Initiative individuelle du gouvernement autrichien, ce texte n’a pas été soutenu par les autres Etats membres dont certains en ont officiellement désavoué le contenu, de même que le Haut Commissariat pour les réfugiés et la plupart des ONG.

b – Plan d’action dit « de Vienne »

(3 décembre 1998)2 Le 3 décembre 1998, les États membres de l’Union européenne, réunis au sein du Conseil européen, adoptaient un « plan d’action du Conseil et de la Commission concernant les modalités optimales de mise en œuvre des dispositions du Traité d’Amsterdam relatives à l’établissement d’un espace de liberté, de sécurité et de justice  ».

Dans ce document, le Conseil constate qu’« une somme impressionnante de travaux a déjà été effectuée  » dans le domaine du droit d’asile, mais que les États membres se heurtent à deux faiblesses auxquelles il convient de remédier : les actes adoptés jusqu’alors sont généralement non contraignants, et il n’existe pas de mécanismes adéquats de suivi. Le Conseil souligne également que la politique appliquée en matière d’asile doit être examinée avec la plus grande attention lors des négociations tenues dans la perspective de l’élargissement de l’Union européenne.

Partant de ce constat, le Conseil définit, dans ce plan d’action, des priorités selon un échéancier précis. Il est ainsi préconisé que soient adoptées au cours d’une période de deux ans les mesures suivantes :

évaluation des pays d’origine dans le but de formuler une approche spécifiquement adaptée à chaque pays. Cette évaluation, en principe globale, comporte une incidence évidente en matière d’asile puisque la situation dans chacun de ces pays est examinée au regard des droits de l’homme ;

  • création du Groupe de haut niveau avec définition de plans d’action sur six pays d’origine ou de transit (Afghanistan, Albanie, Irak, Maroc, Somalie et Sri-Lanka) ;
  • révision de la Convention de Dublin ;
  • adoption du système « EURODAC » (fichier commun informatisé des empreintes dactyloscopiques) ;
  • limitation des « mouvements secondaires » des demandeurs d’asile entre les États membres ;
  • élaboration de normes minimales sur les conditions d’accueil ;
  • étude sur les « avantages d’une procédure européenne unique en matière d’asile  ».

Pour l’échéance de

cinq ans

, les États membres définissent dans le plan d’action de Vienne les mesures suivantes :

définition et mise en œuvre des mesures énumérées dans la stratégie européenne en matière d’immigration ;

  • adoption de normes minimales sur les conditions d’octroi du statut de réfugié ;
  • adoption de normes minimales pour la protection subsidiaire (telle que l’asile territorial français).

En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, rattachée au Premier ministre, a rendu un avis le 17 juin 1999 dans la perspective du Sommet de Tampere.

c – Le Sommet européen de Tam pere

(15 et 16 octobre 1999)2 Les États européens souhaitaient que ce Sommet, spécialement consacré aux questions d’asile et d’immigration, constitue une étape importante dans l’élaboration de la politique européenne commune de l’asile.

Ce sommet a été précédé par l’adoption, quelques jours plus tôt, de différents plans d’action définis par le Groupe de haut niveau, à l’exception de celui concernant l’Albanie. On remarque alors que, finalement, et malgré les critiques émises peu de temps auparavant, l’ensemble des États membres de l’Union européenne n’hésitent pas à avaliser l’initiative du gouvernement autrichien portant sur le système d’évaluation des pays d’origine qui, au départ, était individuelle.

Selon les conclusions de Tampere, l’objectif des États membres de l’Union européenne est d’élaborer des politiques communes dans le domaine de l’asile et de l’immigration tout en tenant compte de la nécessité d’exercer un contrôle cohérent aux frontières extérieures. Les États affirment également leur volonté de faire preuve d’une plus grande fermeté à l’égard de ceux qui organisent l’immigration clandestine. De même, ils rappellent que l’asile et l’immigration constituent des « domaines distincts mais étroitement liés  ». Cette déclaration masque mal l’amalgame entre les deux notions qui s’est installé au cours des dernières années.

Le Conseil présente le travail de partenariat élaboré à propos des pays d’origine et se félicite des plans adoptés quelques jours auparavant, malgré l’ambiguïté que présente cette approche sur la présentation des nécessités imposées par l’asile et celle de l’immigration. Le Conseil propose également qu’un rapport sur la mise en œuvre de ces rapports nationaux soit préparé pour le Sommet de Nice de décembre 2000.

Enfin, les États membres de l’Union européenne expriment avec une certaine solennité leur attachement à la Convention de Genève et paraissent se démarquer, sur ce point, de la démarche autrichienne tendant à une remise en cause totale de cet instrument conventionnel. Le Conseil réaffirme, en effet, le caractère absolu du respect du droit, pour tout étranger, de demander l’asile et préconise la mise en place d’un régime commun fondé sur l’application intégrale et globale de la Convention de Genève, notamment du principe de non refoulement.

Si l’on compare les termes de la déclaration du Sommet de Tampere avec ceux du « papier » autrichien diffusé seulement un an plus tôt et pourtant vivement critiqué par certains États membres, on s’aperçoit que ces derniers ont repris à leur compte certaines recommandations autrichiennes et ont tout fait pour qu’elles soient concrétisées dans les meilleurs délais. Tel est le cas notamment des rapports nationaux établis par le Groupe de haut niveau.

d – Tableau de bord tenu par la Com mission

Lors du Sommet de Tampere, le Conseil avait adopté le principe d’un tableau de bord assorti de la possibilité de le mettre à jour une fois par présidence, c’est-à-dire une fois par semestre. Le premier a été diffusé par la Commission européenne le 24 mars 2000 et dresse un état d’avancement des travaux dans chacun des domaines visés par le Traité d’Amsterdam. Il a ensuite été révisé le 30 novembre 2000.

e – La présidence française

La France a assuré la présidence de l’Union européenne au cours du second semestre de l’an 2000. Malgré une certaine opacité dans ses travaux, elle s’est révélée très active dans la poursuite des objectifs du Traité d’Amsterdam, notamment en matière d’asile (voir p. 59).

III. Les textes européens relatifs à l’asile

1. La convention de Dublin relative à la détermination de l’État responsable du traitement d’une demande d’asile

Le premier texte adopté par les États européens en matière d’asile est la convention de Dublin du 15 juin 1990, entrée en vigueur le 1er novembre 1997, supprimant et remplaçant le titre de la convention de Schengen relatif à l’asile, appliqué depuis le 25 mars 1993. Cette convention a pour but de poser l’obligation pour les États membres de l’Union européenne d’examiner toute demande présentée sur son territoire. Mais cette obligation incombe seulement à l’un d’entre eux, déterminé selon des critères ne laissant aucune option aux étrangers et aboutissant parfois à des situations absurdes [1].

Tout le monde s’accorde à penser que ce système de coordination dans le traitement des demandes d’asile ne fonctionne pas et qu’il doit être révisé. Lors du sommet de Tampere, les États ont clairement déclaré qu’il était nécessaire d’adopter une nouvelle méthode claire et opérationnelle.

Dans sa communication diffusée le 21 mars 2000, la Commission européenne recense un certain nombre de dysfonctionnements : le système de répartition de la responsabilité, avec les transferts entre les États qu’il implique souvent mais qui ne sont pas toujours effectués, fonctionne lentement, ce qui est incompatible avec l’objectif de l’accélération des procédures ; il est souvent difficile de réunir les preuves relatives à la détermination de l’État responsable ; l’application de ce système donne parfois lieu à des situations humainement inacceptables, notamment en cas de séparation des membres d’une même famille ; l’extrême diversité des politiques d’asile dans les différents États membres est aggravée par ce système de répartition, d’autant plus que certains États ne répondent pas aux normes internationales en matière d’asile ; les dérogations sont accordées au compte-gouttes ; enfin, les ressources financières employées pour le fonctionnement du système Dublin sont excessives par rapport aux résultats attendus. D’autres difficultés encore sont soulignées par les organisations non gouvernementales [2]. Le système de la convention de Dublin implique que les États membres sont d’emblée considérés comme des pays tiers sûrs.

Or, plusieurs affaires examinées par les juridictions britanniques ou européennes [3] ont révélé que les procédures d’asile suivies dans les différents États membres ne sont bien souvent ni équitables ni satisfaisantes, et que les renvois décidés sur le fondement de la convention de Dublin risquent de compromettre la reconnaissance de la protection qui est pourtant indispensable. Cette appréciation des garanties offertes dans chacun des États membres est souvent délicate, d’autant plus que l’expérience démontre que certains pays peuvent être considérés comme sûrs par certains États membres mais pas par d’autres, et que le niveau de protection des personnes concernées peur varier dans le temps.

Les difficultés d’application de ce système de répartition démontrent à quel point nous nous éloignons déjà du principe de l’examen individuel de la demande d’asile, constamment rappelé par le Haut Commissariat pour les réfugiés. Or, dans son arrêt du 7 mars 2000, la Cour européenne des droits de l’homme a clairement souligné que l’adoption d’accords entre les États membres ne les libérait pas pour autant de leurs obligations découlant des traités internationaux, tels que la convention de Genève ou la convention européenne des droits de l’homme (plus particulièrement son article 3, prohibant les traitements inhumains ou dégradants).

Autre difficulté : les variations concernant le recours à la notion de pays tiers sûr. Certains États membres appliquent cette notion, d’autres pas. Lorsqu’elle est utilisée, elle permet à un État de refuser d’emblée d’enregistrer une demande d’asile émanant d’une personne ayant la nationalité de ce pays considéré comme sûr. Or, ce rejet systématique est contraire à la convention de Dublin qui pose le principe de l’obligation, pour les États membres, d’examiner toute demande d’asile afin de mettre fin au problème des « réfugiés en orbite ».

Enfin, les clauses dérogatoires, qui permettent à un État d’examiner une demande d’asile au détriment de celui normalement compétent, ne sont satisfaisantes ni dans leur application, trop rare, ni dans leur principe, car elles sont laissées à la discrétion de l’État membre concerné.

Des alternatives sont donc envisagées par la Commission mais celle-ci prend la précaution de préciser qu’aucun système n’est totalement fiable : responsabilité du dernier État européen par lequel le demandeur d’asile a transité, de celui choisi par le candidat au statut de réfugié, ou encore répartition selon l’État d’origine (tous les Sri-lankais iraient dans un pays membre de l’Union européenne, tous les Congolais dans un autre, etc.).

Selon le tableau de bord mis à jour le 30 novembre 2000, la Commission européenne devait dresser, à la fin du mois de janvier 2001, un rapport final d’évaluation à partir des questionnaires adressés aux États membres en juin 2000, et présenter deux mois plus tard, en mars 2001, une proposition de règlement remplaçant la convention de Dublin et définissant de nouveaux critères de détermination de l’État responsable du traitement d’une demande d’asile. Les pouvoirs publics ont déjà reconnu que certaines situations, notamment familiales, appellent des solutions urgentes et immédiates. Ainsi, le comité exécutif de la convention de Dublin a pris le 22 novembre 2000, sur le fondement du traité CE (article 63.1°), une initiative sous la forme d’une décision relative au regroupement familial des demandeurs d’asile. Ce texte, bien qu’il ait un fondement intergouvernemental, sera peut être intégré au cadre communautaire si les solutions qu’il contient sont reprises dans la proposition de règlement appelé à remplacer l’actuelle convention de Dublin. Un point est sûr : les États membres s’accordent à penser qu’il est nécessaire de connaître avec précision le parcours emprunté, au sein de l’Union, par les demandeurs d’asile en instance ou déboutés. Pour cela, un moyen encore plus sûr : le système Eurodac.

2. Le fichier Eurodac

Le règlement du 11 décembre 2000 crée le système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales [4]. C’est le premier texte adopté sur le fondement des nouvelles dispositions communautarisées du Traité d’Amsterdam. Selon les États membres, il était nécessaire, « pour une application efficace de la convention de Dublin  », d’établir l’identité des demandeurs d’asile et des personnes appréhendées à l’occasion du franchissement irrégulier d’une frontière extérieure de l’Union européenne, et de vérifier, lors de l’interpellation de tout étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire d’un État membre, si celui-ci a présenté une demande d’asile dans un autre État membre responsable, le cas échéant, de sa reconduite vers son pays d’origine. Pour cela, le système « Eurodac » a été institué.

Il s’agit d’une unité centrale, gérée par la Commission et comportant une base de données dactyloscopiques centrale et informatisée, et des moyens électroniques de transmission entre les États membres et cette base de données.

Sous prétexte d’une meilleure coordination entre les États membres de l’Union européenne pour l’application de la convention de Dublin et la détermination de l’État responsable du traitement d’une demande d’asile, les empreintes digitales de tous les étrangers seront centralisées dans ce fichier européen, qu’ils soient demandeurs d’asile, qu’ils aient franchi irrégulièrement une frontière extérieure de l’Union ou qu’ils aient été appréhendés en situation irrégulière sur le territoire d’un État membre et ce, pour les deux dernières hypothèses, même s’ils ne sont pas ou n’ont jamais été candidats au statut de réfugié ! Les États membres devront inscrire tous les étrangers sur ce fichier et le consulter systématiquement lors de l’accomplissement de toute formalité d’asile ou de contrôle, ce qui leur permettra de reconstituer le parcours intégral du demandeur d’asile, de son arrivée en Europe à sa reconduite vers son pays d’origine s’il est débouté, ou de tout étranger se trouvant en situation irrégulière.

Au nom de l’efficacité, les États ont prévu que, dans la majeure partie des cas, ces données seront conservées pendant dix ans même si la personne concernée a finalement obtenu le statut de réfugié. En effet, l’effacement de l’inscription sur le fichier est de droit seulement si l’intéressé a acquis la nationalité d’un État membre ou si, dans le cas où il a été inscrit lors du franchissement d’une frontière extérieure, il a finalement quitté le territoire européen. C’est donc en légiférant à propos d’une catégorie de personnes nécessitant une protection particulière que les États membres ont trouvé le moyen de contrôler tous les étrangers se trouvant en Europe, même ceux qui ne sont pas en situation irrégulière !

3. Les garanties procédurales

Il s’agit là d’un thème « ancien » pour les États membres puisqu’une résolution avait déjà été adoptée en 1995 dans le cadre du troisième pilier, avant la signature du traité d’Amsterdam. Le 20 septembre 2000, la Commission a présenté une proposition de directive relative à la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres. Sselon le dernier état du tableau de bord, cette directive doit être adoptée en avril 2001. Elle est présentée comme un texte comportant des normes minimales et ne devant pas entraîner la mise en place d’un système uniforme. Cela dit, ce système de nivellement par le bas est connu pour son effet de blocage pour l’avenir : un État dont les normes nationales présentent un niveau de garantie supérieur aux minima contenus dans un texte européen sera incité à réduire ces garanties par la voie réglementaire nationale ou, en tout cas, à ne pas élargir davantage ces garanties déjà existantes.

L’objectif affiché par la Commission, présentant ainsi une sorte de synthèse des préoccupations préalablement exprimées par les États membres, est l’accélération des procédures. Elle préconise donc un système « simple et rapide de traitement des demandes d’asile dans les États membres qui ne comporterait qu’un seul recours ou une seule révision et la possibilité de faire appel devant une juridiction d’appel  ». Aux termes de la proposition, les États membres ont la faculté d’instaurer ou de maintenir des procédures spécifiques d’urgence et sans garantie absolue contre le refoulement (par exemple, absence d’effet suspensif en cas de recours exercé contre une décision de rejet) pour les demandes irrecevables, car considérées comme dilatoires ou manifestement infondées, ou encore une procédure particulière à la frontière comportant un filtrage opéré par le biais de l’examen du caractère « manifestement fondé » d’une demande d’asile, semblable à celle que nous connaissons en France lorsque les étrangers sont placés en zone d’attente.

Du point de vue du contenu des droits du demandeur d’asile dont l’examen est en cours, la Commission propose des garanties telles que le droit à un entretien personnel, la possibilité de se mettre en rapport avec des organisations ou des personnes qui prêtent une assistance judiciaire et avec des interprètes dont les frais sont pris en charge par les États, et le droit de faire appel d’une décision. Sur ces points, le système français n’est pas toujours à la hauteur de ces objectifs, même s’ils figuraient déjà dans la résolution de 1995. L’absence d’effet contraignant a permis aux pouvoirs publics français de ne pas bouger. La question est de savoir si, lors des négociations au sein du Conseil en vue de l’adoption de la proposition de directive, ces points, qui deviendront en principe obligatoires, seront retenus.

Enfin, la Commission indique que des mesures de protection particulières doivent être adoptées pour certaines catégories de personnes, telles que les mineurs non accompagnés (désignation d’un représentant légal pour assister et représenter le mineur dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile) ou encore que ces différentes garanties de procédure peuvent également être adoptées dans le cadre d’examen de demandes de protection subsidiaire (l’asile territorial, en France). Mais il s’agit d’une simple faculté, formulée sous forme de recommandation qui risque de ne pas être retenue dans le texte final de la directive.

4. Les conditions d’accueil des de mandeurs d’asile

Les quinze États membres avaient peu travaillé dans ce domaine maintenant inscrit dans le traité d’Amsterdam et visé par l’échéancier de cinq ans prenant fin le 30 avril 2004. La Commission européenne a entrepris une étude comparative préliminaire en 2000 et, selon le tableau de bord, le Conseil devrait adopter une directive en avril 2001. La présidence française a diffusé, en juillet 2000, une note d’orientation, et de nouvelles recommandations ont été rendues publiques lors de la session du Conseil Justice Affaires intérieures (JAI) du 30 novembre 2000. Aucune décision n’a été prise sur la question de savoir si cette directive concernera uniquement les candidats au statut de réfugié selon la convention de Genève ou tous les étrangers sollicitant toute forme de protection. Le Conseil n’a pas repris le principe d’un droit au séjour automatique, pourtant préconisé par la France en juillet. Il pose certaines règles (liberté de circulation, mais le lieu de résidence peut être imposé par les autorités compétentes, exclusion de la détention « du seul fait qu’ils sont demandeurs d’asile  ») et encourage les États à assurer « des conditions de vie décentes pendant toute la durée de la procédure, soit un hébergement, soit une allocation financière  ». Le débat sur l’accès au travail, soit dès le début de la procédure, soit à partir d’un certain délai, et dans le cas où la décision de reconnaissance du statut se fait toujours attendre, reste ouvert.

5. Interprétation de la convention de Genève

Le 4 mars 1996, les États membres avaient adopté une position commune relative à une application harmonisée de la définition du terme de réfugié. Ce document traitait des objecteurs de conscience, des notions de persécutions, d’agents de persécution, etc., et avait fait l’objet de vives critiques. On se souvient également que l’existence même de la convention de Genève est mise en cause par les Autrichiens, mais que les États membres ont finalement rappelé, avec une certaine solennité, leur attachement à cette convention lors du sommet de Tampere d’octobre 1999.

La Commission a affirmé que cette interprétation restrictive de la convention devrait être révisée. Le tableau de bord renvoie à avril 2004 (c’est-à-dire la fin de l’échéancier d’Amsterdam) l’adoption par le Conseil d’une directive sur le rapprochement des règles sur la reconnaissance et le contenu du statut de réfugié. Il n’empêche que les autorités compétentes continuent à se rencontrer régulièrement dans le cadre de leurs travaux du CIREA…

6. Protection complémentaire ou subsidiaire

C’est la protection, durable en principe, qui ne relève pas de la convention de Genève (asile territorial en France). La Commission n’a encore élaboré aucun projet et a fait savoir qu’elle ne le ferait pas aussi longtemps qu’aucun texte relatif à l’interprétation de la convention de Genève ne serait adopté. Le tableau de bord indique avril 2004 comme date de présentation d’une directive (la même que celle portant sur la définition du terme de réfugié), échéancier de cinq ans fixé par le traité d’Amsterdam oblige…

7. Protection temporaire

Depuis plusieurs années, les États membres envisagent de mettre en place une procédure exceptionnelle pour les cas d’arrivée massive de personnes dont l’examen individuel de chaque demande d’asile est impossible. Les États ont remanié, à de nombreuses reprises, le projet qu’ils ont commencé à élaborer en 1997, mais tout reste bloqué par un profond désaccord : certains États recommandent une véritable répartition physique des personnes déplacées entre les États membres, d’autres, dont la France, n’acceptent qu’une répartition de la charge financière entraînée par l’accueil de ces personnes.

Autre point majeur des discussions : l’accès à la procédure de demande d’asile fondée sur la convention de Genève, dès la reconnaissance de la protection temporaire ou dès lors que celle-ci a cessé. Il est question que l’accès à la procédure de demande de reconnaissance du statut de réfugié soit suspendu pendant deux années, solution qui est déjà vivement critiquée par les organisations non gouvernementales, telles qu’Amnesty international ou le Comité européen pour les réfugiés. La Commission européenne a présenté une proposition de directive en mai 2000. Le traité d’Amsterdam a fait échapper cet objectif à l’échéancier de cinq ans, et le tableau de bord indique donc logiquement que l’adoption de cette directive se fera « dès que possible », soit à une date encore très incertaine.

8. Prise en charge financière de la politique européenne d’asile

Le 28 septembre 2000, le Conseil a adopté une décision portant création d’un fonds européen des réfugiés [5]. L’objectif de ce fonds est de « soutenir et encourager les efforts consentis par les États membres pour accueillir des réfugiés et des personnes déplacées et supporter les conséquences de cet accueil  ». Cette décision combine en un programme unique, sur une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 2000, des actions structurelles pour l’accueil des demandeurs d’asile, l’intégration des réfugiés et le retour volontaire, programmes qui étaient jusqu’alors gérés par la Commission, selon des lignes budgétaires séparées et sur des durées plus courtes. Les ressources allouées aux États membres sont doubles : une partie fixe par année et par État membre (500 000 euros pour 2000, 400 000 euros pour 2001, 300 000 euros pour 2002, 200 000 euros pour 2003 et 100 000 euros pour 2004), et une partie proportionnelle au nombre moyen de demandes d’admission à une forme de protection (2/3 environ) et au nombre moyen des personnes finalement admises au statut de réfugié ou à toute autre forme de protection (1/3 environ). ;




Notes

[1Voir GISTI, « La circulation des étrangers dans l’espace européen », septembre 1998, p. 15 et H. Gacon, « Les méandres d’une procédure inhumaine », Plein droit, n° 40, décembre 1998, p. 12.

[2Voir par exemple, Amnesty International, « Révision de la convention de Dublin, commentaires sur le document de travail de la Commission européenne », octobre 2000.

[3Voir par exemple, CEDH 7 mars 2000, TI c/Royaume Uni.

[4JOCE n° L 316 du 15 décembre 2000, p. 1 et suivantes.

[5JOCE n°L 252 du 6 octobre 2000, p. 12.


Article extrait du n°49

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:58
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