Article extrait du Plein droit n° 68, avril 2006
« (Dé)loger les étrangers »
Le DAL, syndicat des mal-logés
Fanny Petit
Il faut se rendre compte que la crise du logement touche un nombre important de personnes : on considère en effet que 3,5 millions de personnes sont mal logées. Par ailleurs, les situations précaires ne cessent d’augmenter.
L’association se bat pour le relogement de ses adhérents [1] et le droit au logement pour tous. Le DAL n’est pas une association de services, ni de réflexion : c’est une association de lutte de type syndical. De la même manière que les syndicats se fixent des objectifs précis de lutte tout en posant la question du droit au travail, le Dal regroupe ceux qui décident de lutter pour améliorer leurs conditions de logement et revendique le droit au logement pour tous. La lutte est organisée par les gens eux-mêmes, avec un système de représentation démocratique à l’intérieur des groupes. L’objectif des luttes est le relogement de l’ensemble des familles. Par ailleurs, le Dal a aussi une action juridique, dont le but est d’obtenir une jurisprudence favorable aux mal-logés et essaye de peser sur les politiques du logement, afin d’améliorer les conditions de vie de l’ensemble des familles en situation d’exclusion.
Ce travail d’organisation se fait aussi avec les familles mal-logées dispersées à droite à gauche, dans des logements insalubres, des hôtels, des foyers etc. Il s’agit alors de constituer des collectifs de lutte, comme dans les immeubles, avec des délégués qui les représentent face aux pouvoirs publics.
Autre exemple, la lutte menée en 2003 et 2004 par des familles sans logis : en octobre 2003, des familles d’Ile-de-France, sans logis, en errance urbaine, ont occupé le ministère de M. Borloo, alors ministre de la Ville. Ce dernier s’est alors engagé publiquement à reloger ces cinq cents familles en quelques semaines. Le temps a passé et une vingtaine de familles seulement étant relogées, elles ont organisé, appuyées par le Dal, un premier campement en février 2004, puis un second en mai. Les conditions de la lutte ont été très dures (le premier campement a eu lieu en plein hiver, le second a été encerclé par la police pendant près de dix jours), mais la bataille a été gagnée et les familles ont été relogées.
Le groupe, le collectif de familles solidaires, se créent aussi dans la lutte, pendant les rassemblements, les réunions, les nuits de campement…
L’un des objectifs de l’association est bien sûr de former les mal-logés pour qu’ils deviennent des militants du logement. Pour cela, le Dal organise régulièrement des formations, dans le courant de l’année et pendant l’été. C’est aussi à travers ces formations qu’on structure les luttes et que les adhérents sont sensibilisés. De plus en plus de familles restent, aident ponctuellement, assistent aux réunions, s’investissent dans d’autres luttes.
Par exemple, les adhérents de l’association se sont fortement mobilisés sur les lois de décentralisation, qui prévoient notamment la possibilité de transférer le contingent d’attribution des préfets vers les maires. Cette mesure est défavorable aux mal-logés, parce qu’elle signe le désengagement de l’État de la question du logement et favorise la gestion clientéliste et électoraliste des attributions de logement. Une campagne d’action a donc été menée au niveau parisien et au niveau national. Cette campagne, menée par les mal-logés, a abouti entre autres à la décision du maire de Paris et d’un certain nombre de maires de banlieue de ne pas solliciter la délégation du contingent préfectoral.
Le Dal mène également des actions de solidarité internationale avec le réseau No Vox, en soutien à des mouvements de mal-logés d’autres pays, au Brésil ou au Japon par exemple. Il s’agit toujours d’actions concrètes (rassemblement devant l’ambassade, occupation de représentations des pays en question…). Une information est faite auprès des adhérents, pour relier les luttes d’ici à des luttes éloignées géographiquement, et les gens participent s’ils le souhaitent.
Pourtant, il est souvent difficile d’une part de prouver qu’il y a bien discrimination raciste, ce qui tombe sous le coup de la loi, et d’autre part de séparer clairement la discrimination raciste de la discrimination sociale. Deux phénomènes sont particulièrement significatifs de cette double discrimination : le développement de « sous-statuts » locatifs d’une part et la notion de mixité sociale d’autre part. On assiste actuellement au développement d’une offre de logement précaire (foyers, résidences sociales, baux glissants…), assortie de procédures de contrôle social (accompagnement social, visites au domicile, etc.) pour les ménages pauvres. Parmi ces ménages, une grande partie est immigrée ou supposée telle par les pouvoirs publics et les bailleurs. Ce processus s’inscrit dans la précarisation générale du statut locatif, et il y a l’idée sous-jacente que les plus pauvres, les mal logés et, parmi eux, encore plus les immigrés, ne sont pas capables d’occuper correctement un logement, présupposé lié à l’origine géographique et sociale. Pour passer du bidonville, ou de la rue, à un logement « normal », il faut « apprendre », en passant par la résidence sociale ou le bail glissant (bail reconduit si « tout se passe bien »), comme dans les années 60 où il fallait passer par la cité de transit [2].
En 1986 déjà... les incendies dans le XXème arrondissement de Paris qui ont donné naissance au comité des mal-logés puis au DAL.
Dans ce même processus s’inscrit l’annonce faite par le premier ministre, peu après les incendies du printemps et de l’été 2005. M. de Villepin a déclaré d’une part que l’État était prêt à céder à un prix raisonnable le terrain des Batignolles, à Paris, pour qu’y soient construits trois mille logements, deux tiers de PLS (logements intermédiaires réservés aux classes moyennes) et un tiers de logements pour les étudiants, d’autre part que cinq mille logements d’urgence seraient édifiés sur des terrains à déterminer pour des familles en grande précarité. Il y a donc bien deux politiques du logement et deux types de logements : les uns, logements de qualité en centre ville réservés aux classes moyennes, les autres, logements précaires et construits rapidement, ailleurs, dans des sites indéterminés mais qu’on peut imaginer lointains, pour les plus pauvres et les immigrés.
L’autre phénomène à analyser est celui du recours à la notion de « mixité sociale », inscrite dans la loi depuis 1998. Ce principe de mixité sociale entraîne en réalité un blocage supplémentaire, une discrimination de plus pour les ménages modestes. En effet, si l’idée affirmée haut et fort est de construire du logement pour les pauvres dans les quartiers riches, le recours à la mixité sociale est plus souvent employé pour chasser les pauvres des quartiers pauvres, en utilisant ce prétexte pour refuser l’attribution d’un logement situé dans un quartier dit difficile à une famille modeste. Or, d’une part les ménages immigrés ont statistiquement moins de ressources et plus d’enfants que la moyenne (donc encore moins de ressources par personne), et d’autre part la notion de mixité sociale reste très floue dans la loi. Elle peut donc d’autant plus être employée pour refuser l’accès au logement de ménages pauvres et immigrés ou supposés tels, sans qu’on puisse vraiment faire la part entre discrimination sociale et discrimination raciste.
D’abord, l’opinion publique s’est sentie concernée et les Français se sont montrés plutôt favorables aux mal-logés, qu’ils soient squatters ou pas (rappelons que sur trois immeubles, un seul était effectivement squatté, l’autre était occupé par des locataires, le troisième était un hôtel). La réaction de l’État a été d’instrumentaliser cette crise en disant que ce n’était pas une crise du logement, mais un problème de squats et d’immigration, voire un problème créé par les sans-papiers – en témoigne la déclaration fracassante de Sarkozy, le soir de l’incendie de l’immeuble situé rue Vincent Auriol. Dès lors, la voie était ouverte aux expulsions. La campagne engagée sur les expulsions avait plusieurs objectifs : d’abord elle fait partie de la campagne générale de stigmatisation des immigrés et des enfants d’immigrés ; ensuite, c’est une campagne plus spécifique sur la question du logement et qui consiste à faire des victimes de la crise du logement des coupables, coupables de squatter ou d’être mal-logés.
La mobilisation de l’opinion publique a cependant été massive et réelle, les gens se sont déplacés aux manifestations et au pied des immeubles menacés d’expulsion. Le 3 septembre 2005, une manifestation a rassemblé entre 15 et 20 000 personnes, ce qui en fait la manifestation la plus importante sur le thème spécifique du logement. Face à cette mobilisation de grande ampleur, liée entre autres à l’impopularité des expulsions locatives, le gouvernement a dû reculer : les expulsions se sont faites plus sporadiques et les préfectures ont même dû renoncer à un certain nombre d’expulsions avant le début de la trêve hivernale (passage de la Brie, à Paris, par exemple, ou la cité U, à Cachan). Au final, le bilan pour le gouvernement est plutôt négatif. Concrètement, il n’a pas réussi à expulser comme il l’entendait et sa réaction a été mal perçue par l’opinion publique.
Ces événements ont contribué à mettre sur le devant de la scène les questions du logement, des discriminations et des expulsions, ils ont marqué les esprits et les citoyens, et entraîné un fort mouvement de soutien. Du coup, les élus et les institutions semblent faire davantage attention depuis quelques mois. Mais nous attendons la fin de la trêve hivernale des expulsions (le 15 mars) pour voir si cela se confirme ou si, au contraire, nous nous trouvons face à un fort regain des expulsions. Nous comptons bien sûr sur des mobilisations larges pour faire reculer de nouveau le gouvernement (mobilisations autour des expulsables, actions de soutien, participation à la manifestation du 11 mars contre les expulsions…).
Les luttes du Dal se heurtent-elles aux programmes de démolition-reconstruction ?
La superposition des discriminations sociales et racistes se manifeste clairement dans les programmes de démolition qui n’ont pas pour but d’améliorer le logement des gens pour qu’ils restent au même endroit, mais au contraire de chasser une partie de la population. A Poissy, par exemple, un programme de rénovation urbaine à la cité de la Coudraie prévoyait, au départ, la démolition de six cents logements, soit l’intégralité de la cité. Il s’agissait clairement de chasser une certaine population et de valoriser le terrain, très bien situé en bord de Seine et proche du centre ville, de mettre dehors des gens qui, pour beaucoup, sont ouvriers ou anciens ouvriers de Renault, pour construire des maisons pour les cadres de la même entreprise et pour les classes moyennes supérieures. Grâce à la mobilisation des habitants au sein de la coordination anti-démolitions, le projet a été bloqué puis modifié en partie. Autre exemple, à Aubervilliers, deux cents logements HLM classique (de type PLA, grands et peu chers) des années 70 ont été démolis et seront remplacés par un programme de soixante logements en accession à la propriété confiés à un promoteur immobilier. On ne passe pas seulement de deux cents à soixante logements mais également de grandes familles avec peu de ressources à des familles de la classe moyenne et, si possible, on se débarrasse au passage des immigrés.
A partir de ces exemples, on peut voir que les programmes de démolition ont pour but de provoquer, dans les villes où ils ont lieu, un renouvellement sociologique. Et les affirmations du gouvernement sur cette question (on reconstruit un logement pour chaque logement détruit) ne sont que des vœux pieux, puisque les reconstructions non seulement ne sont pas réalisées avant les démolitions, mais ne sont même pas programmées, et qu’il n’existe à ce jour aucun mécanisme de contrôle. Enfin, quand bien même des reconstructions auraient lieu (comme c’est le cas à Aubervilliers par exemple), les logements reconstruits ne sont pas destinés au même public que les logements détruits. A terme, on assiste bien à une diminution du nombre de logements sociaux, et à une raréfaction du nombre de logements destinés aux ménages les plus en difficulté.
Par ailleurs, à court terme, ces projets sont défavorables aux mal-logés, puisque les démolitions bloquent provisoirement leur relogement. En effet, les contingents d’attribution des maires et des préfets sont utilisés prioritairement et principalement pour le relogement des ménages victimes de ces démolitions, et non pour le relogement de familles en difficulté de logement. ;
DROIT AU LOGEMENT
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Notes
[1] Les sans-papiers ont les mêmes droits que tout le monde en ce qui concerne les expulsions (nécessité d’une procédure, etc) et peuvent donc s’organiser pour lutter contre les expulsions de logement ou d’immeuble. Mais ils sont de fait exclus de l’accès au logement social - le code de la construction et de l’habitation stipule qu’il faut avoir un titre de séjour valide pour bénéficier d’un logement HLM. Pour améliorer vraiment leurs conditions de logement et accéder à un logement social, il leur faut donc d’abord lutter pour avoir des papiers.
[2] Voir dans ce numéro, « Cités de transit : pour en finir avec un provisoire qui dure », p. 53.
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