Article extrait du Plein droit n° 83, décembre 2009
« Codéveloppement : un marché de dupes »

L’autre développement de l’Europe

Jean-Pierre Alaux

Gisti.
L’histoire de l’Europe et de son élargissement montre qu’il est possible de créer un espace de plus en plus large dans lequel les citoyens circulent librement. Pourquoi ne pas transposer ce « modèle » à la communauté internationale ?

Quand l’Union européenne décide de s’élargir, elle ne pratique pas, comme à l’encontre des pays du Sud, un « co-développement » qui vise à interdire la migration dans le sens Sud/Nord. Pourtant, cet élargissement a le plus souvent concerné des pays largement plus pauvres qu’elle. Ainsi, lorsque, dans les années 70, la question de l’entrée de la Grèce, puis de l’Espagne et du Portugal s’est posée, ces pays n’avaient pas – et de loin – le niveau de vie du « club des cinq » fondateurs de l’UE. Et que dire du niveau de vie des pays de l’Est (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) ou de celui de Chypre et de Malte, quand fut envisagée leur intégration au début des années 90 ?

Pour certains, l’adhésion a requis une quinzaine d’années d’adaptation progressive stimulée par de lourds investissements de la part de l’UE. Cette aide massive n’a comporté aucune contrepartie en termes de limitation du droit à la liberté de circulation. Bien au contraire, l’Union étant par définition un espace unique au sein duquel les citoyens se meuvent librement, il était écrit, dès l’ouverture du processus, que toutes les restrictions auxquelles ils étaient à cet égard soumis disparaîtraient (sauf quelques mesures transitoires pour certains).

N’est-ce pas en raison de cette perspective que l’effort d’aide au développement en faveur des candidats à l’UE est considérable et que la réalité de leur mise à niveau fait l’objet de vérifications attentives ? Dans la mesure où la liberté de circulation est en ligne de mire, l’UE se donne les moyens indispensables à la création d’un contexte dans lequel la liberté de circulation sera supportable par tout le monde, par les pays bénéficiaires de l’aide comme par les membres les plus anciens de l’Union. L’élément clef de ce contexte, c’est la recherche d’une égalité entre États – une égalité de droits qui repose sur une égalisation des situations économiques.

Le codéveloppement se situe à l’opposé : c’est le maintien d’un mode d’aide traditionnel allié, comme élément de chantage, à une participation à la répression de l’immigration. Quand on compare les deux approches, il saute aux yeux que la notion d’égalité est totalement absente des perspectives de l’Europe en matière de codéveloppement. À tel point que, pour tenter de pallier cette inégalité choisie et assumée, l’UE érige des barrières contre l’échec annoncé de sa « solidarité ».

L’histoire de l’Europe montre qu’elle est capable d’élargir son espace de libre circulation. Et qu’elle en connaît la méthode et le prix. Pourquoi ne pas penser ses différents élargissements comme une sorte de « modèle » transposable à la communauté internationale, puisqu’il prouve qu’un affichage fort de l’ouverture des frontières et de la liberté de circulation à échéance raisonnable pousse manifestement pouvoirs publics et décideurs économiques à une réflexion plus active et concrète sur la nécessité de réduire l’ensemble des inégalités ?



Article extrait du n°83

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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