Article extrait du Plein droit n° 85, juin 2010
« Nom : Étranger, état civil : suspect »
Le harcèlement des consulats
Hélène Spoladore
Dans les consulats, les actes d’état civil produits pour appuyer une demande de visa sont systématiquement contestés. Le trio gagnant est sans doute constitué du Cameroun, du Congo et des Comores. Et lorsqu’on engage une procédure contentieuse et un référé, à la veille de l’audience, l’administration s’arrange toujours pour fabriquer des raisons de faire de l’acte présenté un document frauduleux. Le service d’état civil du consulat de France à Douala s’est ainsi fait une spécialité de la contestation des actes camerounais. On peut également citer les services chargés de la nationalité et le service central de l’état civil de Nantes qui bloquent systématiquement les transcriptions de mariage célébrés à l’étranger sur les registres d’état civil français, et empêchent ainsi les regroupements familiaux.
Il est d’ailleurs assez stupéfiant de voir l’administration conclure systématiquement à des faux grossiers alors que ces mêmes « faux grossiers » ont été vérifiés et validés au titre du regroupement familial précédemment accordé… Les mêmes stratégies de blocage sont utilisées pour les demandes de rapprochement familial des réfugiés en France.
Pourriez-vous citer un exemple ?
Les actes d’état civil sont contestés dans trois cas principaux : dans les dossiers de demande de regroupement familial ; lors des demandes de visa ; aux conjoints de Français (le conjoint étranger étant suspecté de présenter de « faux » actes de mariage, de « faux » actes d’état civil). Dans une affaire pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, une conjointe de Français, d’origine camerounaise, en France depuis 2005, exploitante agricole et particulièrement intégrée dans son village, demande
un regroupement familial pour ses deux enfants, de père inconnu, restés au Cameroun, dont l’un a de graves problèmes de santé qui ne peuvent être pris en charge au Cameroun. Lors de la demande, la mère satisfait bien aux conditions du regroupement en termes de présence en France (depuis plus de 18 mois), de ressources et de logement. Elle fournit tous les papiers exigés et la demande de regroupement est acceptée en novembre 2007. L’Anaem (aujour-d’hui OFII, Office français de l’immigration et de l’intégration) transmet cette décision au consulat du Cameroun pour que les enfants se voient délivrer les visas nécessaires à leur entrée en France.
L’obtention du visa relève déjà habituellement du parcours du combattant, puisqu’il faut se présenter – sans qu’aucun texte ne l’exige – en personne et verser les frais de visa au guichet en espèces (ce qui atteste que la demande de visa a bien été déposée) ; cela ne peut être fait qu’après obtention d’un rendez-vous… qui tarde à venir, voire qui n’arrive jamais dans certains cas. Le consulat soutient alors qu’aucune demande de visa n’a jamais été faite puisque les intéressés ne peuvent prouver avoir réglé les frais...
Ici, le rendez-vous est obtenu en janvier 2008, tous les papiers demandés transmis. Ces originaux sont confisqués par le consulat (c’est la procédure habituelle). Or le registre d’état civil dans lequel un des enfants a été enregistré à sa naissance a brûlé. Le consulat informe oralement la mère que les actes produits ne conviennent pas. Un jugement supplétif d’acte de naissance est alors demandé. L’état civil camerounais refait de nouveaux actes qui sont présentés au consulat. Mais aucune réponse à la demande de visa n’arrive. Le maire et le député de la circonscription française où vit ma cliente interviennent. En juin 2008, le consulat signifie son refus d’accorder des visas sous prétexte que les actes sont frauduleux…
Je dépose alors un référé devant le Conseil d’État, une procédure coûteuse, qui exige de faire intervenir un avocat au Conseil d’État ; il faut saisir la commission de refus des visas, ce qui allonge encore les procédures… À la veille de l’audience, le ministère des affaires étrangères produit un mémoire censé apporter la preuve que les actes civils sont frauduleux. Le consulat obtient le rejet du référé devant le Conseil d’État en invoquant à nouveau la fraude ; d’ailleurs, pour le consulat, si j’ai demandé des actes supplétifs, c’est bien la preuve que les actes originaux étaient douteux. Notons que, dans tout cela, on ne tient pas compte de la confirmation, de la reconfirmation et de la certification des originaux produits par les autorités camerounaises…
Quant à la preuve de la fraude apportée par le consulat, elle a été fabriquée de toutes pièces. Il s’agit d’une lettre d’un hôpital de Douala en réponse à une demande du consulat – qui ne sera jamais produite à l’audience –, et qui affirme qu’aucune des naissances enregistrées à l’hôpital ne correspond à l’un des enfants demandant un visa… Mais le plus ahurissant est que le refus de visa date de la mi-juin 2008, la demande de regroupement familial ayant été faite le 9 mai 2007 et accordée le 14 octobre 2007. Or la lettre de l’hôpital répond à une mystérieuse demande du consulat de novembre 2006 ! À ce stade, on ne peut que saluer la prescience du consulat qui se serait donc renseigné, à titre préventif, sur des enfants. Le Conseil d’État a donc rejeté la requête en raison des doutes sur la validité des actes, ce qu’a confirmé au fond un des conseillers.
Que faire dans pareil cas ?
J’ai conseillé à ma cliente de faire une demande de tests ADN, possible au Cameroun. Les résultats, analysés par un laboratoire canadien, attestent que la maternité est sûre à 99,9999 %. J’introduis un nouveau référé suspension sur l’antériorité de la date de ce courrier. Mais entre-temps, un magistrat du conseil d’État rejette par simple ordonnance, sans audience, la requête au fond au même motif tiré des actes frauduleux. Il y a donc autorité de la chose jugée. J’ai saisi la Cour européenne de Strasbourg, mais la durée moyenne des procédures y est de plusieurs années.
C’est bien la perversité des autorités françaises et la violation systématique du principe selon lequel les actes étrangers sont présumés authentiques, comme le prévoit l’article 47 code civil, et non l’inverse, qui oblige à recourir aux tests ADN.
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