Article extrait du Plein droit n° 85, juin 2010
« Nom : Étranger, état civil : suspect »

Comment faire sans patronyme ?

Jean-Pierre Alaux

La règle qui veut que tout individu se voie attribuer, à la naissance, un patronyme, est loin d’être universelle. Aussi, des centaines de migrants et de demandeurs d’asile sont-ils contraints d’en inventer un à leur arrivée en Europe. Un choix qui mène parfois à une impasse.

Nom, prénom, date et lieu de naissance. Quatre informations qui identifient un individu et conditionnent son existence administrative... en Occident. C’est ainsi qu’à leur affranchissement, c’est-à-dire à leur naissance civile, les esclaves ont dû choisir ou ont reçu un patronyme auquel ils n’avaient pas eu droit du temps de leur servage.

Si telle est la règle en Occident, elle n’est pas universelle. Des sociétés ignorent l’usage du patronyme. Dans le cadre de la standardisation internationale des états civils, elles vont devoir l’adopter. En attendant, des centaines de migrants et de demandeurs d’asile, notamment Afghans ou Irakiens, doivent aujourd’hui s’inventer un nom de famille quand, arrivés en Europe, ils veulent accéder à la régularité du séjour. Or, aucun document d’identité de leur pays d’origine ne confirme son existence, ce qui les expose à de sérieuses difficultés. La taskera (carte d’identité) afghane comme la « carte de citoyenneté » irakienne comportent leurs prénoms et ceux de leurs ascendants, uniquement de la lignée paternelle pour les Afghans.

Les difficultés ne sont pas insurmontables pour les demandeurs d’asile et pour les réfugiés. Dispensés d’autorisations préalables à leur entrée dans le territoire des pays dont ils sollicitent la protection, ils ont aussi le privilège de pouvoir « déclarer » leur état qu’ils l’indiquent oralement. À cette étape, ou bien les Afghans et les Irakiens (entre autres), briefés par des compatriotes, se conforment à la coutume occidentale et déclinent un nom qu’ils improvisent (patronymisation de l’un de leurs prénoms, usage de l’appellation du lignage, du clan, de la communauté auxquels ils appartiennent), ou bien l’administration va d’elle-même transformer l’un de leurs prénoms en nom de famille.

Pour les réfugiés, cet état civil d’emprunt va se substituer à l’autre. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) en garantissant l’authenticité, ils sont, à titre personnel, exonérés de nombreuses difficultés. Les membres de leur famille qu’ils ont le droit de faire venir en France, en particulier leurs enfants, n’y échapperont que si l’administration de leur pays accepte de se soumettre à des contorsions patronymiques en les affublant, pour les besoins de la cause, du nouveau nom de leur civil. S’ils ne possèdent pas de documents, il est enregistré tel géniteur. Ce qui, moyennant sans doute quelques gratifications, n’est pas toujours impossible.

Quant aux déboutés du droit d’asile qui souhaitent accéder à un titre de séjour par une autre voie, ou à certains demandeurs d’asile privés d’autorisations de séjour (en procédure prioritaire) qui entreprennent toute autre démarche impliquant l’établissement de la réalité de leur identité par la production de documents d’état civil de leur pays d’origine (demande d’aide juridictionnelle, par exemple, en vue d’un contentieux non lié à l’asile), ils sont dans l’impasse. Au point que le consulat de la République islamique d’Afghanistan à Paris met, depuis le 30 mars 2010, à la disposition de qui en a besoin une note officielle qui explique maladroitement que « le nom de famille n’est souvent pas mentionné dans la “taskera’’  », qu’il « n’est pas obligatoire en Afghanistan  » et que « l’intéressé peut choisir […] le nom de famille qui lui convient  ».

Pas sûr que cette légitimation de la créativité patronymique convainque les gardiens de l’état civil occidental de renoncer aux exigences du modèle qu’ils croient universel.



Article extrait du n°85

→ Commander la publication papier ou l'ebook
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
URL de cette page : www.gisti.org/article4468