E. Etat d’urgence et délit de solidarité
« Un retraité jugé pour délit de solidarité, sous couvert d’état d’urgence », article paru sur Bastamag, 7 avril 2016
Un retraité est poursuivi en justice pour avoir abrité des réfugiés. L’audience s’ouvre ce jeudi 7 avril à 8h30 au tribunal correctionnel de Bonneville, en Haute-Savoie. Fernand Bosson, ancien maire de la commune d’Onnion, hébergeait à titre gracieux une famille de Kosovars dans une maison familiale inoccupée. Cette famille, dont les enfants étaient scolarisés dans sa commune, avait été déboutée du droit d’asile [1]. Fernand Bosson encourt cinq ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros pour avoir « par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ». Une disposition qui vise à intimider des personnes qui côtoient les étrangers en situation irrégulière et choisissent simplement, par solidarité, de leur rendre service au quotidien.
Pour Michèle Blanc, l’avocate de Fernand Bosson, cette affaire relève très clairement du « délit de solidarité ». « Cela fait très longtemps qu’on n’avait pas vu ce type de cas, confie t-elle à Basta !. Mon client est très stressé, comparaitre devant un tribunal correctionnel n’est jamais anodin. » A l’occasion de cette audience, elle compte mettre l’accent sur l’immunité pénale dont bénéficient les citoyens agissant dans un cadre humanitaire, comme le stipule une directive européenne de 2002 [2].
Une expulsion de réfugiés sous couvert d’état d’urgence
La légalité de la procédure d’expulsion dont fait l’objet cette famille de Kosovars est également mise en cause. Le 8 février 2016, « des forces de police cagoulées » viennent interpeller le couple dans la maison familiale mise à disposition par Fernand Bosson, en vue de les interroger à la gendarmerie avant de leur signifier une obligation à quitter le territoire sans délai. « Or, l’ordre de perquisition administrative a été pris dans le cadre de l’état d’urgence », souligne Michèle Blanc, qui conteste cet ordre devant la cour administrative de Lyon. Si le jugement de la cour administrative n’a pas encore été rendu, le rapporteur public a conclu à la méconnaissance de l’article 11 de la loi relative à l’état d’urgence qui précise les circonstances dans lesquelles des autorités administratives peuvent ordonner des perquisitions à un domicile. Devant le tribunal correctionnel, Michèle Blanc fera valoir la nullité de cet ordre de perquisition administrative qui, dans le cas où elle était reconnue, annulerait les poursuites à l’encontre de Fernand Bosson.
Plusieurs organisations de Haute-Savoie, parmi lesquelles la Ligue des Droits de l’Homme, Attac et la CFDT, appellent à un rassemblement de soutien devant le tribunal correctionnel ce 7 avril. « Nous devons défendre un homme qui prend la devise de Fraternité au sérieux », précise notamment le Réseau éducations sans frontières dans son communiqué de soutien. « Ce que nous souhaitons, souligne Christian Chauvet de la Ligue des Droits de l’Homme d’Annecy, c’est que toutes les personnes qui aident les migrants n’aient pas de problème. » Une affaire qui fait écho à celle du prêtre Gérard Riffard, poursuivi pour avoir hébergé des dizaines de demandeurs d’asile dans son église de Montreynaud, à Saint-Étienne.
Sophie Chapelle
Cette affaire est présentée, avec d’autres commentaires, dans notre dossier « délit de solidarité » :
Notes
[1] Cette famille a été déboutée par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), puis par la CNDA (Cour nationale du droit d’asile).
[2] La Directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers, souligne que tout État membre peut décider de ne pas imposer de sanctions à l’égard du comportement défini au paragraphe 1, point a), en appliquant sa législation et sa pratique nationales, dans les cas où ce comportement a pour but d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée.
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