Belgique : 12 personnes dont deux journalistes, poursuivies pour « organisation de trafic d’êtres humains »

4 juin 2018, tribunal de Termonde : comparution de cinq personnes dont les deux journalistes
Renvoi à l’automne au tribunal francophone de première instance de Bruxelles.
Les trois non journalistes sont maintenus en détention.

  • Trois Belges accusées de trafic d’êtres humains après avoir aidé des migrants
    Le Vif, par Caroline Lallemand, 31 mai 2018
    Douze personnes, dont deux journalistes belges, sont poursuivies pour organisation de trafic d’êtres humains. Une première en Belgique.

Le 20 octobre dernier, des agents de la police fédérale débarquent chez trois femmes, des Belges francophones, dont deux journalistes (Myriam Berghe et Anouk Van Gestel) pour une perquisition matinale. Elles apprennent plus tard qu’elles sont poursuivies pour « trafic d’êtres humains » sur 95 personnes, dont 12 mineurs, et considérées comme membres d’une « organisation criminelle ».
Au total, 12 personnes, dont onze francophones, sont concernées et parmi elles, 8 sont incarcérés depuis plus de 7 mois à la prison de Dendermonde. Les faits sont qualifiés de trafic et non de traite des êtres humains car les poursuivis sont suspectés d’avoir voulu faire passer illégalement les frontières à des individus et non de les avoir exploités.
Les deux journalistes hébergeaient depuis quelques mois des migrants dans le cadre de l’appel de solidarité lancé par les différentes plateformes citoyennes. Zakia, la troisième femme poursuivie à la double nationalité belgo-marocaine, n’a pas de lien avec les deux journalistes selon le magazine français Politis, tout comme la plupart des autres personnes poursuivies. Elle a, elle aussi, aidé à plusieurs reprises des migrants du parc Maximilien à Bruxelles.

Myriam Berghe, journaliste au Femmes d’Aujourd’hui, déclare dans le magazine Moustique : « Le Parquet requiert de 5 à 10 ans de prison et mon avocat n’est sûr de rien. Nous ne sommes plus aujourd’hui accusées d’association de malfaiteurs, mais, pire, d’organisation criminelle. Soit juste en dessous de l’organisation terroriste ! ». 55 migrants hébergés
Au total, Myriam Berghe très impliquée dans l’aide aux réfugiés de la Jungle de Calais après y avoir réalisé un reportage, explique qu’elle a hébergé pas moins de 55 migrants à son domicile bruxellois, mais réfute avec véhémence la qualification de « trafiquante d’êtres humains ». Elle témoigne : « Depuis trois ans, je consacre ma vie à essayer d’aider des gens et je me retrouve poursuivie pour trafic d’êtres humains. C’est infamant. (...) ».
Elle reconnaît que parmi ces personnes figuraient des passeurs présumés, des liens étroits avec des personnes au comportement délictueux que lui reproche d’ailleurs le parquet. "Oui, j’ai hébergé des passeurs. Mais il faut voir de quelle réalité on parle. Les douze personnes interpellées dans ce dossier n’ont rien à voir avec ce que le droit appelle des « trafiquants d’êtres humains ». Ce sont des jeunes paumés qui essaient de survivre en devenant de petits passeurs, le temps de se payer eux-mêmes un passage."
Elle ajoute : « On me reproche aussi d’avoir utilisé deux ou trois fois Western Union pour récupérer de l’argent (sans papiers, c’est impossible) pour un migrant. Alors oui, j’ai peut-être franchi la ligne jaune, mais jamais la rouge. »

De son côté, Anouk Van Gestel, rédactrice en chef de Marie Claire Belgique, se défend à son tour d’être assimilée à une « trafiquante d’êtres humains ». Pour elle, sa mission était avant toute chose humanitaire. Elle admet cependant avoir « frôlé l’illégalité » en se renseignant pour faire passer un mineur, Moha, un Soudanais de 17 ans, en Angleterre, sans toutefois passer à l’acte. Déterminée, elle refuse de se dire coupable.

Contactée par la RTBF, elle livre sa version des faits : "Mon erreur a été de téléphoner à mon amie Myriam qui, évidemment en tant que journaliste, connaissait plein de gens et a accueilli beaucoup de gens, dont probablement des passeurs, explique-telle. Elle était sur écoute et je lui ai demandé si elle connaissait quelqu’un qui pourrait nous aider à faire passer Moha."

Selon Anouk Van Gestel, c’est à partir de là qu’elle est considérée comme un passeur. "Il faut bien savoir que Moha n’est jamais parti, ajoute-t-elle.J’ai demandé des renseignements, mais ça n’a jamais été plus loin que ça. Je n’ai jamais touché un franc. Ça ne me viendrait même pas à l’idée, au contraire ça me coûte de l’argent d’héberger, de donner à manger, d’aider, de donner des tickets de métro... C’est véritablement un engagement personnel pour aider."

"Procès politique"

Pour Alexis Deswaef, l’avocat d’Anouk Van Gestel qui s’exprime dans le magazine Télémoustique, il s’agit d’un « procès politique » : « Tout cela montre le dysfonctionnement de l’organe répressif. On criminalise à tout-va et on ne fait plus la distinction entre trafiquants, migrants et hébergeurs solidaires. Ce qui revient à utiliser la justice au service de la politique migratoire. »
Au niveau légal, Alexis Deswaef explique dans le magazine Politis que le "délit de solidarité n’existe pas en Belgique" et que "l’exception humanitaire est beaucoup plus large qu’en France". La loi précise toutefois qu’aider un étranger à l’entrée, au séjour ou en transit sur le territoire ou vers un autre état membre de l’EU est punissable. « Mais si cette aide est apportée à titre principalement humanitaire, l’alinéa 1er ne s’applique pas », précise-t-il. « Leur condamnation serait un non-sens juridique ».
L’enquête est actuellement entre les mains du parquet de Termonde (Dendermonde), en Flandre, réputé pour être l’un des plus durs du pays. Les journalistes ont demandé son transfert au tribunal de première instance francophone de Bruxelles pour éviter les problèmes de traduction et pouvoir participer sereinement aux débats. Onze des douze personnes accusées sont en effet francophones. La date et le lieu du procès devraient être connus le 4 juin. Les accusées risquent jusqu’à 10 ans de prison et une amende de 38 000 euros selon Politis.
Ce premier jugement en Belgique pourrait bien faire jurisprudence dans un contexte tendu de politique migratoire et d’intensification de la répression policière envers les migrants. En début d’année, un projet de loi visant à autoriser les visites domiciliaires en vue d’arrêter une personne en séjour irrégulier sur le territoire belge, et cela jusque chez les personnes qui les hébergent par solidarité, avait suscité de nombreuses réactions et divisé au sein même de la majorité.

  • Les journalistes poursuivies pour avoir hébergé des migrants seront jugées à Bruxelles
    Le Vif, 4 juin 2018

C’est au tribunal de première instance francophone de Bruxelles de se pencher sur le cas des 12 personnes, dont deux journalistes, poursuivies pour organisation de trafic d’êtres humains, a décidé lundi le tribunal correctionnel de Termonde.

Onze des 12 personnes concernées étant francophones, « c’est la moindre des choses », a commenté Me Alexis Deswaef, l’avocat d’une des journalistes. « Le changement de langue est un droit et non une faveur », a-t-il rappelé.

Les deux journalistes poursuivies sont Anouk Van Gestel, rédactrice en chef de Marie Claire Belgique, et Myriam Berghe, journaliste chez Femmes d’Aujourd’hui, défendues respectivement par Me Alexis Deswaef et Me Jan Fermon.

L’espoir que formule la défense est que le dossier pourra être traité avec plus de sérénité et que l’on pourra faire la distinction entre une citoyenne solidaire « qui ne peut être poursuivie » et des trafiquants d’êtres humains, précise Me Deswaef. Ce changement de langue « permettra aux personnes de se défendre sans devoir passer par un interprète », une situation lors de laquelle des pans sensibles « peuvent se perdre dans la traduction », souligne l’avocat.

Cinq suspects ont comparu ce lundi matin devant le tribunal de Termonde, ils sont placés en détention dans l’attente du procès. Les deux journalistes ne sont, elles, pas incarcérées, mais elles risquent jusqu’à 10 ans de prison pour trafic d’êtres humains. Pour rappel, les faits sont qualifiés de trafic et non de traite des êtres humains puisque les poursuivis sont suspectés d’avoir voulu faire passer illégalement les frontières à des individus et non les avoir exploités. Le temps de traduire le dossier, il devrait vraisemblablement être rouvert à Bruxelles à l’automne, après les congés judiciaires.

Trois femmes sont accusées de trafic d’êtres humains pour avoir hébergé des migrants. Les politiciens sont gagnés par la vague populiste et xénophobe à l’approche d’échéances électorales. [....]

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Dernier ajout : mercredi 18 juillet 2018, 11:51
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