Édito extrait du Plein droit n° 86, octobre 2010
« Santé des étrangers : l’autre double peine »
Les étrangers doivent payer
ÉDITO
L’été a vraiment été pourri pour les étrangers. La rentrée ne s’annonce guère meilleure. Le chef de l’État et les membres de son gouvernement ont abusé – c’est peu de le dire ! – de l’amalgame immigrésdélinquance- insécurité. D’autres dans le passé et pour les mêmes raisons électoralistes, avaient essayé de détourner l’attention de l’opinion publique, en usant des mêmes ficelles. Mais l’équipe au pouvoir s’est distinguée en ajoutant l’action au verbe. Les étrangers doivent ainsi toujours payer.
Ils doivent d’abord payer au sens propre en passant « à la caisse ». Celle-ci se nomme l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et perçoit les taxes et les redevances dues par les étrangers au titre de la visite médicale, de la délivrance et du renouvellement des cartes de séjour. Ces prestations ne sont pas gratuites, loin s’en faut. Au début de l’été, un décret [1] a augmenté de façon considérable les taxes en question. Les étrangers titulaires d’une carte de séjour temporaire devront désormais s’acquitter chaque année d’une somme de 110 € (au lieu de 70 €). Pour les familles dont les membres sont généralement soumis à la même précarité administrative, c’est énorme. Lorsque l’on sait que plus de 450 000 personnes sont en possession de ce titre, et qu’elles ont peu de chance de sortir de ce statut précaire, on mesure la manne financière pour l’État [2]. Est-il nécessaire de rappeler que la plupart des étrangers concernés ont des revenus modestes ? Le fait qu’ils puissent être ainsi taxés [3] et donc rapporter de l’argent n’est guère connu. On entend en revanche souvent rappeler qu’ils pèsent sur les deniers publics [4].
Les étrangers doivent également payer au sens figuré. Ainsi, à la suite de faits de délinquance graves et d’affrontements avec les forces de l’ordre, le chef de l’État est monté au créneau pour les désigner comme responsables, et annoncer des mesures particulièrement répressives. Étrangers, « gens du voyage » [5] et « Roms », tous coupables ! Pour les premiers, le président de la République a annoncé une réforme de la nationalité française : retrait de la nationalité à « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique » [6] ou encore déchéance de cette même nationalité pour certains criminels. Ces paroles se sont traduites par la rédaction d’un amendement prévoyant effectivement une extension des hypothèses de déchéance de la nationalité française. Toutes ces gesticulations sécuritaires vont déboucher sur des mesures qui ne concerneront au final qu’un nombre infime d’étrangers. Mais elles auront servi à montrer que le seul domaine dans lequel ce gouvernement excelle, c’est la désignation de boucs émissaires à la vindicte publique.
Pour les Roms, un plan interministériel d’action a été élaboré ; il consiste à déloger ceux occupant illégalement un terrain, à détruire les campements illicites et à procéder à leur éloignement pour menace à l’ordre public (sauf s’ils acceptent de partir « de manière volontaire » contre le versement d’une somme de 300 €). Les raisons d’ordre public invoquées pour justifier la reconduite dans leur pays d’origine de ces ressortissants communautaires (insalubrité du campement, vol...) sont juridiquement fragiles, et certains tribunaux n’hésitent pas à annuler les mesures de départ forcé. Contrarié dans son entreprise d’expulsion de citoyens bulgares ou Roumains qui se veut très médiatisée, le gouvernement a donc annoncé une extension des situations pouvant donner lieu à expulsion. L’amendement ne paraît guère conforme au droit de l’Union européenne.
Mais le pire est encore devant nous : l’adoption à venir de la loi Besson [7]. Sous couvert de transposer plusieurs directives européennes, le texte tend surtout à faciliter le travail des forces de l’ordre dans leur entreprise d’expulsion. Il prévoit en effet d’allonger la durée de la rétention de 32 à 45 jours et de faire intervenir tardivement le juge des libertés et de la détention... dans l’espoir que l’étranger soit déjà reparti lorsque le juge se penchera sur les conditions de son interpellation, de sa garde à vue et sur ses garanties de représentation. Le projet vise aussi à empêcher les étrangers non désirés d’entrer en France par la création de zones d’attente virtuelles qui colleraient en quelque sorte à la peau de toute groupe d’étrangers (à partir de deux personnes). Considérés alors comme n’ayant pas encore pénétré sur le territoire français, ceux-ci seraient plus facile à refouler (et qu’importe si le droit d’asile est bafoué au passage) et la nouvelle « interdiction de retour sur le territoire français » les empêcherait de revenir. Introduites pour tempérer ces mesures d’hostilité à l’égard des populations étrangères, les quelques dispositions présentées comme positives apparaissent clairement comme des mesures en trompel’oeil.
Espérons que la mobilisation qui s’est faite autour des Roms sera aussi forte contre ce projet xénophobe qui vise à légaliser et à mettre en oeuvre à grande échelle les dérives que nous constatons ces temps-ci.
Notes
[2] Voir le communiqué du Gisti intitulé « À la faveur de la crise, étrangers vaches à lait ? »
[3] Un numéro de Plein droit d’avril 2006 (« Taxer les étrangers ») passe en revue l’ensemble des taxes et redevances dont les étrangers doivent s’acquitter.
[4] Voir le débat actuel – et récurrent – sur le coût de l’aide médicale d’État
[5] Il a fallu rappeler au passage que les « gens du voyage » ne sont pas des étrangers, et que cette expression renvoie à une catégorie administrative discriminatoire incarnée dans l’obligation de posséder un carnet de circulation.
[6] Le discours de Grenoble du 30 juillet 2010.
[7] Voir l’analyse du projet de loi Besson proposée par plusieurs associations (juin 2010) et sa version simplifiée intitulée « Pourquoi il faut combattre le projet de loi Besson relatif à l’immigration, l’intégration et à la nationalité » (juillet 2010).
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