Article extrait du Plein droit n° 1, octobre 1987
« Immigrés : la dérive de l’État de droit »

Résidents temporaires à vie ?

La loi du 17 juillet 1984 distinguait deux catégories de résidents :

  • les résidents établis qui reçoivent la carte unique de résident valable 10 ans, sans limite territoriale ni professionnelle et automatiquement renouvelable. Globalement, ce premier groupe est composé de tous les étrangers séjournant de façon durable, des membres de famille rejoignants, des réfugiés et autres étrangers ayant des attaches particulières avec la France (conjoints de Français, parents d’enfants français) ;
  • les étrangers en séjour temporaire : étudiants, visiteurs, saisonniers, mais aussi des travailleurs-salariés – essentiellement des régularisés de l’opération de 1981 titulaires d’une carte valable 1 an, renouvelable sous réserve de l’appréciation de la situation de l’emploi (pour les salariés).

Mais pour cette dernière catégorie d’étrangers, si la situation des étudiants et des visiteurs semble relever d’une procédure relativement claire – ce qui n’exclut pas de nombreux abus – celle des travailleurs salariés révèle, dans la pratique, de singulières aberrations :

Au moment du renouvellement de la carte, la procédure est aujourd’hui excessivement longue et fait appel à de multiples vérifications, d’où des tracasseries et des délais supplémentaires. Rien d’étonnant, dans ces conditions, que des cartes soient remises avec une période de validité déjà largement entamée. Ce résident sénégalais qui reçut le 10 octobre 1986 sa carte temporaire expirant le 26 novembre de la même année n’est malheureusement pas un cas rare. Pas plus d’ailleurs que ce Tunisien privé d’emploi au moment de son renouvellement, qui ne reçut qu’une prorogation de 3 mois alors que le décret du 04.12.1984 prévoit expressément, en cas de chômage, une prorogation automatique d’un an pour recherche d’emploi.

Lors de la demande d’accès au statut de résident, la règle en la matière (art. 14 de l’ordonnance de 1945) est que tout étranger qui justifie de 3 ans de résidence peut, s’il dispose de ressources stables et suffisantes, solliciter le bénéfice de la carte de résident. Il est vrai que, contrairement aux bénéficiaires de plein droit, on a affaire ici à une appréciation discrétionnaire du Préfet qui inclut en plus l’examen de l’ordre public. Mais quand ce pouvoir discrétionnaire s’exerce sur des exigences telles que la remise de 36 bulletins de paie (alors que la loi vise 3 ans de résidence et non de travail), il y a manifestement détournement des textes.

De fait, aujourd’hui, le passage au statut de résident au titre de l’article 14 ne se fait pas. Il est courant que des étrangers totalisent 5 à 6 ans de séjour régulier sans pouvoir sortir de la situation précaire du résident temporaire, soumis à un contrôle annuel de police. Et faut-il rappeler que les membres de leurs familles, qui reçoivent obligatoirement une carte de même nature, sont entraînés dans cette même précarité ?

Cette situation, qui était prévisible, avait été, dès le vote de cette loi à l’initiative du gouvernement socialiste, dénoncée par les associations de défense des immigrés. Elles s’étaient vu répondre que la carte de séjour temporaire était destinée essentiellement aux étudiants et aux visiteurs et non aux salariés durablement installés. Balivernes ! La pratique montre aujourd’hui le contraire.

Certes, c’est une majorité de droite qui fait instruire les dossiers aujourd’hui mais, en la circonstance, elle n’a pas fabriqué l’outil. Elle s’en serait fabriqué un de toute façon ; mais…



Article extrait du n°1

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Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 14:16
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