Article extrait du Plein droit n° 1, octobre 1987
« Immigrés : la dérive de l’État de droit »
Réfugiés : la commission des recours paralysée
Depuis plusieurs années, la plupart des gouvernements d’Europe ont mis en place des politiques restrictives pour tenter de bloquer l’accès à leur territoire des demandeurs d’asile. La procédure de détermination du statut de réfugié qui jusque-là avait été préservée, fait aujourd’hui l’objet de réformes dont le commun dénominateur est de renforcer ce processus de fermeture de l’Europe. La loi suisse sur l’asile vient d’être modifiée dans un sens très restrictif, et le Parlement belge étudie les modalités d’une nouvelle procédure au moment même où les Danois amendent les textes régissant l’accès des demandeurs d’asile à leur territoire.
En France, la question est à l’ordre du jour. Si la question de l’asile a été, au dernier moment, retirée du projet de loi portant réforme de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (loi du 9 septembre 1986), les discussions n’en constituent pas moins et visent une réforme en profondeur des procédures existantes.
Une juridiction importante et originale
Rappelons que la Commission des recours des réfugiés a été créé par la loi du 25 juillet 1952, peu après la signature de la Convention de Genève relative au statut du réfugié, afin d’en permettre l’application en France.
Sa fonction essentielle est de statuer sur les pourvois formés par les demandeurs d’asile à qui le directeur de l’OFPRA [1] a refusé de reconnaître la qualité de réfugié. Il s’agit donc d’une juridiction administrative dont les décisions sont soumises au contrôle du Conseil d’État intervenant en tant que juge de cassation.
Cette juridiction est originale quant à sa composition. En effet, présidée par un Conseiller d’État, elle comporte un représentant du Conseil d’administration de l’OFPRA et un représentant du haut-commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR). C’est cette présence en son sein d’un fonctionnaire international qui lui donne toute son originalité et qui la distingue à la fois des autres juridictions nationales et des institutions qui, en Europe, concourent à la détermination du statut de réfugié. Celle-ci reste une prérogative nationale et, ainsi, la souveraineté de l’État français est garantie, mais l’intervention active de l’organisation internationale dans la procédure contribue à garantir une application rigoureuse et scrupuleuse des obligations conventionnelles auxquelles la France est tenue.
Cette juridiction est importante à un double point de vue : d’une part en raison de la matière relevant de sa compétence et d’autre part du fait du nombre de demandes dont elle est saisie.
La défense des droits de l’homme est reconnue aujourd’hui comme une préoccupation essentielle. La Commission des recours occupe une place de choix afin d’assurer la protection de ceux qui ont été contraints de quitter leur pays d’origine pour fuir les persécutions dont ils étaient ou craignaient d’être victimes.
Elle est importante également eu égard au nombre des dossiers qui lui sont soumis chaque année. Entre 1982 et 1986, elle a enregistré annuellement une moyenne de 5 000 requêtes. Cette importance aurait donc dû inciter les pouvoirs publics à accroître ses moyens matériels pour lui permettre de faire face à l’ampleur de la tâche. Si un effort particulier a été consenti en 1982-1983, il est resté dérisoire et n’a pu résoudre la crise de croissance qu’elle a connue. C’est ce qui explique aujourd’hui son mauvais fonctionnement.
Le dysfonctionnement actuel
Les effectifs de la Commission des recours des réfugiés, eu égard au nombre des requêtes, est notoirement insuffisant. Quelques magistrats, des conseillers d’État au nombre de 7, dont quatre sont honoraires, ont été détachés pour présider les séances. A peine plus d’une vingtaine de fonctionnaires y ont été affectés pour assumer les fonctions de rapporteur.
La conséquence de ce sous-effectif est évidente. Le nombre des séances de la Commission est nécessairement limité. A raison de deux séances par jour, quatre fois par semaine, elle ne peut juger l’ensemble des recours dont elle est saisie chaque année. Il en résulte un déficit qui s’accumule d’année en année et qui est aggravé par l’augmentation du nombre des pourvois. Il n’y a pas de solution miracle à ce problème. Une réduction du délai de la procédure passe nécessairement, quoiqu’on en dise, par l’accroissement du nombre des séances et par un renforcement substantiel des effectifs.
La longueur de cette procédure s’explique également par des blocages propres à celle-ci. Ainsi, les pourvois formés contre les décisions de rejet de l’OFPRA sont, dès qu’ils ont été enregistrés par le secrétariat de la Commission, communiqués au directeur de l’Office. Ce dernier doit formuler ses observations sur les moyens du pourvoi et les communiquer à la Commission. Or, la division du contentieux de l’OFPRA chargée d’élaborer le mémoire en défense est dépassée par l’ampleur de sa tâche et met souvent plus d’un an pour instruire un dossier. Il en résulte que de nombreux dossiers restent en souffrance dans les armoires de la Commission et de l’Office pendant 12, 16 ou 18 mois.
Depuis peu, et pour réactiver les pourvois les plus anciens, le président de la Commission s’est décidé à utiliser le système des mises en demeure prévu par l’article 21, alinéas 2 et 3 du décret du 2 mai 1953. Si, après deux mises en demeure d’avoir à répondre aux moyens du pourvoi, dans le délai d’un mois, le directeur de l’Office n’a pas communiqué ses observations, le pourvoi peut être audiencé et soumis à l’appréciation des membres de la Commission. Si on imagine que le nombre des séances soit augmenté, cela suppose que la division du contentieux de l’OFPRA soit singulièrement renforcée pour répondre à une mission qu’elle est actuellement incapable d’assumer.
Le délai entre la séance de la Commission, son délibéré et la notification de la décision est anormalement long, entre 3 et 6 mois. Cela est également dû à l’insuffisance en personnel de secrétariat que l’introduction de l’informatique ne semble pas avoir corrigée.
Le secrétariat « fantôme »
Il convient également de souligner l’inaccessibilité du secrétariat de la Commission et les anomalies qu’elle engendre. À la suite d’un incident regrettable et devant l’émoi du personnel, le président de la Commission a décidé que le secrétariat ne serait plus accessible ni aux requérants ni à leurs conseils. Mieux encore, depuis qu’elle a déménagé, tout le monde ignore où elle est installée. Les pourvois ne peuvent plus être déposés et doivent nécessairement être adressés par lettre recommandée avec avis de réception.
Compte tenu du délai de recours et de la durée de certains acheminements postaux, ceci peut aboutir à des situations dramatiques. Un pourvoi adressé à la Commission vingt-quatre heures trop tard sera frappé de forclusion. Cette situation est inadmissible. En effet, le délai est court (un mois), et le pourvoi doit nécessairement être établi en langue française. Très souvent, le demandeur d’asile ne comprend pas très bien les motifs de la décision de rejet, a besoin de se les faire expliquer et doit presque toujours recourir aux services d’un tiers pour établir sa requête. Celle-ci est souvent prête à l’expiration du délai de recours contentieux. La possibilité de déposer le recours, telle qu’elle existait antérieurement, permettait, outre son caractère sécurisant, d’éviter tout risque de forclusion.
Par ailleurs, il apparaît logique que tout justiciable puisse avoir accès à son dossier et que le conseil qu’il a choisi puisse le consulter. Or, cela est impossible faute de pouvoir avoir accès au dit secrétariat. Cette situation entraîne des conséquences graves sur le plan juridique puisqu’elle fausse le caractère contradictoire du débat.
Ainsi, il n’est pas rare que 1’OFPRA accompagne son mémoire en défense de la production de pièces. Si celles qui sont produites par le requérant sont systématiquement communiquées à l’OFPRA, en revanche ce n’est pas le cas en sens inverse. Le réfugié n’en apprend souvent l’existence qu’à la lecture des observations du directeur de l’Office, quand elles lui sont adressées, voire même en séance lors du rapport. Or, certaines de ces pièces sont importantes, notamment des comptes-rendus d’enquêtes auprès des ambassades de France dans les pays d’origine, et ne sont donc pas soumises à la critique du demandeur à l’instance comme cela doit être le cas dans toute procédure juridictionnelle.
Il doit être mis fin d’urgence à cette situation scandaleuse et le secrétariat de la Commission de recours des réfugiés doit être rendu accessible, sans délai, aux requérants et à leurs conseils.
Une chambre d’enregistrement ?
Il a été dit bien souvent que la Commission de Recours n’était pas d’un grand secours. Cela résulte du fait que depuis 1983, le nombre des annulations des décisions de rejet de 1’OFPRA a diminué et que la Commission fait de plus en plus figure de « chambre d’enregistrement des positions négatives de l’Office ».
1983 | 1984 | 1985 | |
12,06 % | 7,8 % | 5,7 % | |
Annulation* | 368/3 099 | 220/2 825 | 335/6 032 |
* Nombre d’annulations par rapport au nombre de pourvois jugés.
Cela signifie-t-il que les dossiers jugés sont vides, et qu’ainsi, les requêtes seraient abusives ? Il n’en est rien. Par un processus inexplicable, la jurisprudence de la Commission s’est faite au fil des années de plus en plus restrictive. Alors qu’elle avait dégagé dans le passé des critères relativement libéraux pour apprécier la notion de crainte de persécutions (cf. La protection des réfugiés en France, par F. Tiberghien, Ed. Econo-mica), elle revient à une interprétation de l’article 1., de la Convention de Genève de plus en plus rigoriste, ce qui n’exclut pas, dans de nombreux cas, de véritables contresens dans l’interprétation de cette Convention. Ainsi, l’exigence de la preuve formelle est devenue un véritable leitmotiv, une obsession qui, dans le contexte spécifique des réfugiés, est pour le moins aberrant.
II y a, semble-t-il, une dérive qui peut s’expliquer par deux raisons principales.
Tout d’abord, la Commission, faute d’une connaissance sérieuse et approfondie de la situation dans certains pays d’origine, à tout le moins les principaux pays d’où viennent les réfugiés (Sri-Lanka, Iran, Zaïre, Cambodge…), exprime à tort un doute sur la réalité des violations de droits de l’homme dans ces pays. Elle a intériorisé l’idée fantasmatique exprimée par les pouvoirs publics que les réfugiés dits spontanés ne seraient en réalité que des immigrés et cherche plus à débusquer la fraude qu’à prendre en compte la réalité de ce qui a été vécu.
D’autre part, la phase orale de la procédure est expéditive. Trente-cinq affaires sont inscrites au rôle de chaque séance, ce qui laisse peu de temps pour chaque requérant. Or, cette phase est essentielle. Comme l’a souligné le président Heilbronner dans un article paru dans Études et documents du Conseil d’État (1978-1979, p. 109), le réfugié est peu à même de jouer le jeu de la procédure écrite et d’indiquer clairement, précisément et complètement les raisons de son exil dans le recours qu’il dépose devant la Commission. Celui-ci est bien souvent sommaire, stéréotypé.
N’oublions pas que pour rédiger un texte en français, il faut soit avoir recours à un tiers, soit faire faire une traduction du texte original, traduction souvent maladroite ou inexacte. Le réfugié pense qu’il pourra donner des précisions lors de l’audience. Il doit déchanter. Après la lecture d’un rapport souvent succinct qui a survolé son itinéraire, les membres de la Commission consacrent quelques minutes à lui poser des questions, souvent désarmantes de naïveté et parfois bien éloignées du sujet. Très souvent, l’exercice tourne court, faute d’une langue commune au requérant et aux membres de la Commission. Il est en effet surprenenant que dans une procédure juridictionnelle dont les enjeux sont essentiels, il n’existe aucun interprète, à tout le moins pour les nationalités les plus nombreuses.
Mais si cet inconvénient pouvait être résolu, il n’en resterait pas moins que tant que la Commission ne se livrera pas à une investigation plus complète dans chaque cas, tant qu’elle n’essaiera pas d’aller plus avant dans l’histoire de celui qui revendique le statut de réfugié, le malaise que l’on ressent dans les audiences ne sera pas dissipé. À rester trop formelle, elle n’est pas d’un grand secours.
Il ne faut pas croire que la Commission est devenue inutile et que, faute d’avoir su s’adapter, elle doit disparaître. Le travail qu’elle a accompli depuis plus de trente ans est, à certains égards, remarquable. Au prix d’une certaine adaptation : plus de séances, moins de dossiers examinés à chaque séance et examen plus approfondi de chaque cas, meilleure formation et information de son personnel, elle peut mettre un terme à la dérive actuelle. Il dépend d’elle de s’en donner les moyens, mais pas d’elle seulement.
Admission au statut de réfugié | Formalités à la préfecture |
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Rendez-vous auprès des services des étrangers de la préfecture _ Délivrance d’une autorisation provisoire de séjour valable un mois « en vue de démarches auprès de l’OFPRA ». | |
Dépôt de demande à l’OFPRA (6, rue Emile Reynaud, 93306 Aubervilliers) Remise d’un reçu. |
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Au vu du reçu, délivrance d’un récépissé de séjour et de travail, valable 3 mois mention « a sollicité l’asile », renouvelable. | |
Si décision favorable, délivrance d’un certificat de réfugiés par l’OFPRA | |
Au vu du certificat, délivrance d’une carte de résident et du titre de voyage réfugié. Dans l’attente de la carte de résident, le récépissé peut être prorogé pour 6 mois renouvelable avec la mention « reconnu réfugié » | |
Si rejet par l’OFPRA, saisir dans le délai d’un mois de la notification de rejet, la Commission de recours des réfugiés (BP n° 378, 75625 Paris Cedex 13) Le recours est alors enregistré et un récépissé de dépôt de recours est délivré par le secrétariat de la Commission. |
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Au vu du récépissé, renouvellement automatique du récépissé provisoire de séjour et de travail tous les 3 mois jusqu’à la décision définitive de la Commission. | |
Si décision favorable de la Commission, un certificat de réfugié est délivré par l’OFPRA. | |
Au vu du certificat, délivrance d’une carte de résident et du titre de voyage réfugié. Dans l’attente de la carte de résident le récépissé peut être prorogé pour 6 mois renouvelables avec la mention « reconnu réfugié » | |
Si rejet par la Commission des recours, la décision est transmise à la préfecture pour information. | |
Convocation de l’intéressé et vérification de la notification du rejet. Il n’y a plus de droit au renouvellement automatique. Retrait du récépissé « a sollicité l’asile » et remise d’une APS valable quinze jours pour départ, renouvelable encore un mois. | |
S’il existe un vice de forme, et seulement dans ce cas-là, un pourvoi en cassation peut être déposé au Conseil d’État. | |
L’introduction du pourvoi ne donne droit à la délivrance d’aucun titre de séjour. |
NB : si un fait nouveau intervient dans la situation du demandeur d’asile, une deuxième demande peut être introduite auprès de l’Ofpra.
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