Article extrait du Plein droit n° 12, novembre 1990
« Le droit de vivre en famille »

Grande-Bretagne : l’énigmatique « but principal du mariage »

Rachel Trost

En 1980, les étrangers désirant rejoindre leur famille en Grande-Bretagne en avaient la possibilité moyennant un permis d’entrée. Dix ans après, les conditions sont devenues beaucoup plus rigoureuses. En Grande-Bretagne aussi, la réglementation n’est pas tendre pour les candidats au regroupement familial.

Le regroupement familial constitue la source principale d’immigration permanente en Grande-Bretagne. Ainsi, depuis 1985, sur les 50 000 personnes maximum admises chaque année par les autorités à s’installer dans le pays, les deux tiers sont des membres de famille acceptés à séjourner à ce titre (70 % en 1988, 66 % en 1989). Depuis 1986, les membres de famille n’ont plus besoin d’un permis d’entrer (entry clearance) même si la loi leur impose toujours de posséder un certificat de séjour (certificate of entitlement). Le candidat au regroupement familial doit attendre son certificat dans son pays d’origine. S’il arrive sans certificat, il n’obtiendra pas d’autorisation, même provisoire, d’entrer en Grande-Bretagne. La seule possibilité de s’opposer au refus d’admission reste l’appel après avoir quitté le territoire britannique.

Compte tenu de l’effectivité du contrôle à l’entrée, on peut légitimement croire que la présence de membres de famille en situation de clandestinité reste un phénomène très marginal.

La réglementation permet à plusieurs catégories de personnes de bénéficier du regroupement familial, mais les conditions sont plus rigoureuses pour les parents étrangers d’une personne étrangère ou d’un ressortissant britannique que pour les parents étrangers d’un ressortissant d’une pays de la CEE qui s’installent en Grande-Bretagne. Pour ces derniers, en effet, la seule condition requise, en plus de la parenté, est celle de la dépendance. Par contre, pour les autres, les conditions varient selon qu’il s’agit d’époux (60 % du regroupement familial), d’enfants (26 %), de parents ou grand-parents (5 %), ou d’autres membres de la famille (8 %). Il existe malgré tout des conditions communes que doit remplir l’étranger désirant faire venir sa famille : les conditions de logement et de ressources.

Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 1985 a mis fin aux inégalités jusqu’alors existantes entre les hommes et les femmes qui demandaient à bénéficier du regroupement familial. Désormais, que l’on veuille faire venir son épouse ou son époux, les exigences sont les mêmes. Il faut prouver :

  • que l’entrée dans le pays ne constitue pas le but principal du mariage ;
  • que les parties au mariage ont l’intention de vivre ensemble en tant que mari et femme ;
  • que les parties au mariage ont « fait connaissance ».

La très obscure notion de « but principal du mariage » a nourri une jurisprudence complexe et extrêmement précise.

En 1989, le taux de refus pour les hommes du sous-continent indien s’est élevé à 63 % pour les maris et 73 % pour les fiancés.

Ces conditions représentent un des points les plus controversés de tout le droit de l’immigration. Même si on admet qu’elles sont sans doute nécessaires pour restreindre les abus éventuels, elles n’en constituent pas moins une entrave importante à l’exercice du droit de vivre en famille.

La preuve de la paternité

En ce qui concerne les enfants de parents étrangers, on leur permet d’entrer pour rejoindre leur père et mère s’ils ont moins de 18 ans. S’il n’y a qu’un seul parent installé en Grande-Bretagne, si l’enfant est adopté ou si l’âge de la majorité a été dépassé, des conditions supplémentaires sont exigées, qui sont parfois très difficiles à satisfaire. Dans tous les cas, la preuve de la paternité est un aspect essentiel et, dans la pratique, un problème parfois difficile à résoudre, notamment pour les familles du Bengladesh. La découverte d’un système d’expertise sanguine permettant d’établir la parenté génétique a permis de régler un certain nombre de ces difficultés. Néanmoins, des enfants se voient encore refuser le droit d’entrer pour manque de preuve et ne peuvent donc subir ces tests qui permettraient d’établir leur filiation.

À titre exceptionnel, les enfants devenus majeurs peuvent rejoindre leurs parents à condition qu’ils soient toujours à charge et qu’il existe une situation particulièrement digne d’intérêt.

En ce qui concerne les ascendants et les collatéraux, plus les liens familiaux sont éloignés, plus les exigences sont grandes. Les grands-parents peuvent être bénéficiaires du regroupement familial s’ils sont âgés de plus de 65 ans et totalement ou en grande partie à charge de leurs enfants résidant au Royaume-Uni.

Quant aux autres membres de la famille, frères et sœurs, oncles et tantes, il leur faut prouver qu’ils n’ont pas de parents proches pouvant subvenir à leurs besoins et qu’ils vivent dans des circonstances méritant une attention exceptionnelle.

Pour les neveux et nièces, la situation est claire : ils sont purement et simplement exclus de la liste des bénéficiaires du regroupement familial.

Le ministre conserve toujours son pouvoir discrétionnaire pour accorder à un étranger le droit de faire venir sa famille, même si la réglementation ne le lui permet pas. Il n’utilise toutefois cette possibilité que de manière tout à fait exceptionnelle.

Les régularisations sont rares. Celui qui arrive sans permis ou omet de donner le véritable but de son voyage risque le refoulement ou l’expulsion par voie administrative. En cas de dépassement de la durée de séjour prévue par le permis, il est menacé de poursuites pour infraction à la législation sur les étrangers. Le dispositif d’éloignement s’avère très serré alors que les démarches administratives sont souvent compliquées et longues. Il n’est pas rare que les personnes doivent attendre pendant des mois avant de pouvoir déposer leur dossier et le compléter (à Dhaka et à Bombay les délais vont jusqu’à 18 ou 21 mois pour les maris et les fiancés). De même, les recours contre un refus d’entrée, faits obligatoirement de l’étranger, prennent des mois, voire des années. Des années qui sont autant de vie familiale perdue à cause des imperfections du système juridique qui se perpétuent.



Article extrait du n°12

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Dernier ajout : mardi 13 mai 2014, 15:45
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