Article extrait du Plein droit n° 12, novembre 1990
« Le droit de vivre en famille »

Sans famille

Le traitement spécifique réservé aux DOM résulte soit d’une disposition particulière de la loi (art. 19 de la loi du 2 août 1989), soit de jurisprudences ou d’interprétations restrictives ou encore de pratiques tout à fait contestables du point de vue de leur légalité. C’est ainsi que les ressortissants caribéens (Haïtiens, Sainte-Luciens, Dominicains) se retrouvent de fait pour la plupart exclus du droit de vivre en famille. Curieusement, la procédure du regroupement familial est réservée principalement aux conjoints de Français et aux membres de la CEE qui, de par le décret du 28 avril 1981 d’une part et la loi du 2 août 1989 d’autre part, en sont dispensés en métropole.

Parmi les conditions à remplir, celle qui concerne le logement est celle qui pose peut-être le plus de problèmes. Les Caribéens habitent en effet majoritairement les quartiers défavorisés où les règles d’hygiène et de sécurité minimales ne sont pas souvent atteintes. Ils y ont construit eux-mêmes une maison sans aucune autorisation préalable. Évidemment, l’espace habitable est réduit et ne peut que rarement satisfaire aux normes de surface exigées. De fait, la réglementation issue du décret Dufoix est ici totalement inadaptée.

Le deuxième obstacle important a trait à la nature du titre de séjour du demandeur. Il est rare en effet que les travailleurs immigrés obtiennent une carte de résident. Ils se trouvent souvent en possession d’un récépissé de six mois à un an renouvelé pendant une dizaine d’années, même s’ils occupent un travail stable. Cette précarité a comme conséquence qu’ils sont souvent exploités et mal payés dans les plantations de canne à sucre ou de bananes notamment. Ils ne peuvent atteindre une rémunération équivalente au « SMIC DOM » (qui, comme beaucoup d’autres prestations d’ordre social, est inférieur à celui de la métropole).

Aussi, rien d’étonnant à ce que les demandes de regroupement familial enregistrées par la DASS de Fort-de-France concernent à plus de 90 % les conjoints de Français et les ressortissants de la CEE.

L’éternelle suspicion

Sous prétexte qu’il existerait un trafic important de mariages de complaisance entre Martiniquais et Haïtiens, des pratiques particulièrement condamnables ont été légitimées par l’administration.

Pour toute demande de regroupement familial, le Martiniquais dépose son dossier à la DASS qui l’instruit puis le transmet au centre régional de l’OMI à Toulouse (sic !). C’est Toulouse qui contrôle le logement et le caractère stable et suffisant des ressources (à noter que jamais un délégué de l’OMI n’est venu en Martinique pour évaluer les conditions de logement et de vie...). Quant à la préfecture, elle examine la demande au regard de l’ordre public. Il ne s’agit pas d’une simple vérification au fichier des personnes recherchées, mais d’une enquête poussée de police avec convocation au commissariat ou « visite » à domicile.

La suspicion est monnaie courante. Les Haïtiennes, par exemple, sont soupçonnées de reconnaître tardivement des enfants qu’elles n’ont pas fait venir avec elles dans un premier temps et... qui ne seraient pas les leurs. Elles auraient déclaré ne pas avoir d’enfants à leur arrivée. C’est pourquoi l’ambassade de France en Haïti a été interpellée par la préfecture au sujet de l’authenticité des état-civils. Échange de bons procédés, elle a demandé de son côté à la préfecture de vérifier spécifiquement les actes de baptême qui sont enregistrés avec soin dans les archives de l’archevêché et constituent ainsi de « véritables actes d’identité ».

La procédure est longue et bien aléatoire : quatre à six mois sont nécessaires pour que le dossier revienne de Toulouse, avec trop souvent une réponse négative à la clé. Au mieux, l’intéressé venant rejoindre son conjoint reçoit un récépissé valable six mois qu’il faudra renouveler maintes et maintes fois alors qu’une carte de résident devrait lui être attribuée. C’est souvent pendant cette longue période que certaines femmes tentent d’obtenir la nationalité française, mais là encore, un véritable parcours du combattant les attend.

De leur côté, les ressortissants européens traversent les étapes administratives rapidement et avec sérénité, la DASS mettant très peu de temps pour leur répondre positivement.

La différence de traitement est criante sous les tropiques. On note dans ces pratiques une volonté de déstabiliser la population caribéenne alors que la proximité des îles formant la Caraïbe rapproche les communautés et facilite les mouvements de populations.



Article extrait du n°12

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Dernier ajout : mardi 13 mai 2014, 16:10
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