Article extrait du Plein droit n° 45, avril 2000
« Double peine »

Les bannis des banlieues

Violaine Carrère

Ethnologue

L’histoire que nous tentons de retracer ici est celle d’un collectif, le Comité national contre la double peine, mais c’est aussi celle de tout un mouvement, qui a donné lieu à la création de structures successives : Solidarités actives, Résistance des banlieues, et enfin le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB).

Le Gisti a noué divers contacts avec les acteurs de ce mouvement et a bien sûr travaillé avec eux. Depuis quelques années, toutefois, les rapports se sont distendus. Un dossier de Plein Droit sur la double peine ne pouvait se faire sans la collaboration de ceux qui se consacrent à cette lutte. C’était aussi l’occasion de faire le point sur toutes ces années – le Comité fêtera ses 10 ans d’existence en juin 2000 – et sur la façon dont le milieu associatif s’est investi dans cette lutte.

L’article qui suit a été rédigé essentiellement à partir d’une journée d’entretiens avec les fondateurs du mouvement et quelques uns de ceux qui les ont rejoints, dans les locaux qu’occupe le Comité, rue de Montreuil à Paris. Dans une ambiance de ruche bourdonnante, ils nous ont réservé un accueil chaleureux, ont pris le temps de raconter, expliquer, y compris leurs motifs d’amertume, avec clarté et humour ; qu’ils en soient ici remerciés.

* * *

La « Maison de l’Immigration », au matin, vit sur un rythme de lent éveil ; arrivées une à une et, avant toute chose, un café. Vers la fin de la matinée et jusqu’en début de soirée, en revanche, il n’y a plus guère d’espace libre dans les locaux, et une quinzaine de personnes, la plupart bénévoles, s’activent fiévreusement à recevoir les visiteurs, répondre au téléphone, préparer les réunions publiques à venir, les déplacements en province, mettre des courriers sous enveloppe, etc.

L’impression générale qu’on peut avoir est à la fois celle d’un grand sérieux et d’une joyeuse anarchie : les dossiers sont visiblement pris en charge par des mains différentes et il faut parfois un peu de temps pour faire le point sur qui a fait quoi, aucun des membres n’est d’accord sur le nombre des dossiers traités à ce jour, ni très précis sur les résultats. Cependant, sur le sens de l’action, sur les stratégies, les discours sont forts, et tous expriment la même volonté de participer à un combat où l’important est l’action collective, la prise en charge par les personnes concernées elles-mêmes de leurs problèmes, le travail de mobilisation.

Pour la défense des dossiers individuels, les techniques vont du recours contentieux au recours en grâce, et à ce qu’ils appellent eux-mêmes « du harcèlement » : téléphoner dans les préfectures, les cabinets ministériels, les directions administratives, insister, relancer… « Notre grande force, c’est que nous, on a le temps, on n’a que ça à faire », disent-ils.

Surtout, ils sont capables de mobiliser très rapidement des troupes, pour faire le siège d’une préfecture, d’un commissariat, attendre à la sortie d’une prison. « On a tout un réseau, des militants sur place dans une quinzaine de villes. En permanence, on peut mobiliser trente personnes. Mais, à Reims, l’autre jour on était cinquante ; à Bourges, on était cent ! Notre stratégie, actuellement, c’est d’étendre ce réseau. »

Ils voudraient bien également constituer un collectif d’avocats « prêts à intervenir pour pas cher en urgence ». Mais ça, c’est plus difficile…

Parallèlement à cette défense de cas individuels, l’activité s’organise autour de campagnes sur divers thèmes et autour de réunions « dans les quartiers ». « On a traversé une période d’essoufflement », explique Tarek, l’un des « anciens » du mouvement, « il y avait des cas à défendre en urgence, des actions sur le terrain, un risque de perte de sens. On est en train de reprendre tout ça, et de préparer une nouvelle phase du mouvement ».

La lutte contre la double peine n’est pas abandonnée, mais les membres du Comité sont occupés aujourd’hui par la relance du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), qui tiendra un congrès en novembre cette année, précédé de réunions publiques un peu partout en France.

Les pionniers

Tout est parti de plusieurs histoires individuelles, celles de jeunes nés en France ou arrivés enfants sur le territoire qui, à la suite de parcours divers, ont fait l’objet d’arrêtés d’expulsion. Quelques uns, peu à peu, ont monté des comités de soutien dans la mouvance des collectifs d’auto-défense contre les bavures policières et les crimes racistes créés dans les années quatre-vingt.

Ils cherchent à rassembler du monde pour obtenir l’abrogation d’arrêtés d’expulsion, ou au moins des sursis à exécution. Dans certains cas, ils réussissent et cherchent à multiplier de tels comités dans les quartiers de banlieues d’une part, les milieux pénitentiaires d’autre part.

L’un de ces jeunes habitait les Mureaux. Mohammed Hocine, dit « Momo », né en France en 62, est, à 20 ans, condamné à six ans de prison. Dans un court-métrage intitulé « La cavale des bannis », il raconte comment les espoirs qui font « tenir » en prison – grâces, remises de peine, liberté conditionnelle – sont interdits à ceux qui sont frappés de la double peine. « Les jurés te condamnent en sachant qu’il y aura des remises de peine, dit-il, mais toi, tu fais ta peine jusqu’au bout. »

Avec quelques autres détenus, Momo a fondé, au sein de la prison, un mouvement de résistance. « Je me considérais comme un résistant, dit-il. J’étais prêt à aller très loin, à être violent, à me faire jeter en prison à nouveau pour cette lutte. » Grève de la faim, mouvements de soutien, la décision d’expulsion prononcée contre Momo sera annulée par le Conseil d’État.

De la résistance à l’offensive

Le terme de « résistant » se retrouve dans le mouvement « Résistance des banlieues », né début 1990. Pour définir ses fondateurs, Momo a cette jolie formule, qui fait allusion à la marche des Beurs : « C’étaient des marcheurs qui n’avaient pas fini de marcher ». Et pour exprimer toute l’importance de ce mouvement, il ajoute : « Politiquement parlant, nous sommes les harkis d’aujourd’hui ».

Car les anciens du mouvement ont le sens de la formule qui frappe : ils revendiquent l’invention du terme « double peine », qu’ils nomment aussi « bannissement des temps modernes ».

La mobilisation s’étend. La lutte pour l’abolition de la double peine gagne du terrain. En mai 1990, un collectif décide de travailler sur cette question et de regrouper les dossiers des personnes concernées. Le Comité contre la double peine est né.

Pour se faire connaître, il reprend les mêmes voies que celles adoptées par Résistance des banlieues : distribution de tracts dans les parloirs des prisons d’Ile-de-France et utilisation des radios de taulards. Les proches des personnes touchées par une menace d’expulsion sont invités à venir aux réunions du collectif, l’idée étant de mobiliser les gens au-delà de l’affaire qui les concerne personnellement.

« Souvent les gens arrivent en disant “moi, c’est différent, c’est pas la came, c’est une erreur judiciaire”. Nous, on leur montre que les cas sont différents mais tous semblables. Que c’est un système contre lequel il faut lutter ».

Ils commencent par ceux que la loi protège et peu à peu étendent leur collecte de cas à ceux qui n’ont pas de droit reconnu à une protection. Ils insistent sur la stratégie qui a toujours été la leur : d’une part, une mobilisation par cercles concentriques, en premier lieu les intéressés eux-mêmes, puis les gens autour d’eux, famille, amis, et enfin tout un quartier ; d’autre part, le regroupement de dossiers, pour la défense individuelle des cas bien sûr, mais plus largement pour dresser une liste, « pour faire savoir que ça existe, la double peine ».

C’est resté dans leurs pratiques : la grande salle de leur local est couverte sur tout un mur d’affiches portant une photo, un nom, quelques lignes laconiques (date et lieu de naissance, éventuellement situation de famille, durée de la peine prononcée), et puis, sonnant comme une sinistre conclusion, la mention « frappé d’expulsion » ou « interdiction définitive du territoire français ».

Les années de croissance

Le 6 octobre 1990, se tient une grande réunion publique à Paris, à la Bourse du travail. Elle rassemble trois cents personnes, des représentants d’associations mais aussi des expulsés, des membres de leurs familles, des proches. Pour les fondateurs du Comité, cette réunion fait la démonstration qu’on peut rassembler du monde autour de la question de la double peine.

Ils demandent à être reçus dans les ministères. Ils y viennent avec des fiches constituées à partir des dossiers qu’ils ont rassemblés. Très vite, ils obtiennent des abrogations d’arrêtés d’expulsion, ou des assignations à résidence.

Les récits glorieux des succès circulent. Des décisions favorables leur sont attribuées aussi d’office, s’amusent-ils à dire. L’association grandit vite. Fin 1990, 450 personnes ont adhéré au Comité, certains simplement le temps de faire aboutir un dossier, d’autres restant pour soutenir les autres et militer. Le Comité, d’ailleurs, n’a pas d’existence juridique. En octobre 1990, est créée officiellement une structure intitulée « Association de soutien aux expulsés et à leur famille ». Des subventions sont obtenues, qui permettront de rémunérer quelques personnes à temps partiel.

Changement législatif

Durant l’année qui suit, des émeutes ont lieu un peu partout dans les banlieues : à Sartrouville, Vaulx-en-Velin, Argenteuil, Mantes-la-Jolie. Résistance des Banlieues connaît les jeunes qui participent à ces mouvements, viennent leur parler de la double peine. Sa suppression sera présentée par les médias comme une revendication majeure des jeunes en lutte. Les pouvoirs publics commencent à changer un peu d’attitude. Le Haut Conseil à l’Intégration préconise un changement législatif. En septembre 1991, un projet de loi sur la question est présenté au Parlement.

Pendant ce temps, le Comité grandit toujours, continuant, avec des troupes fluctuant de quinze à vingt personnes, à constituer des « fiches techniques » sur chaque cas recueilli. Le millième dossier est atteint en septembre 1991. Les membres du Comité rencontrent les groupes parlementaires, font campagne. Un meeting réunit un millier de personnes à St-Denis en décembre.

La loi est adoptée en première lecture, mais elle est loin de répondre à toutes les situations dénoncées par le Comité. Elle laisse en effet de côté des personnes qui ont fait l’objet d’une interdiction du territoire français (ITF) ou d’un arrêté d’expulsion. En janvier 1992, une trentaine de personnes entament une grève de la faim, en prison, dans les locaux de la Cimade à Paris, et dans ceux de l’association Jeunes Arabes de Lyon et banlieue (JALB). Des manifestations de soutien viennent de toutes parts : meetings, jeûnes de soutien, lettres et communiqués. La grève de la faim se poursuit jusqu’au 52e jour pour dix-neuf des grévistes, qui finiront par obtenir deux circulaires en leur faveur, leur attribuant même… des cartes de résident !

Euphorie

« C’était une période d’euphorie, se souvient Tarek, qu’on n’a pas très bien réussi à gérer ». Durant les années 1992 et 1993, le Comité se consacre au suivi de l’application de la loi, se bat sur chaque dossier individuel, contre les refus de relever des ITF, contre des refus de régulariser après des relèvements d’ITF, etc. Mais toute l’énergie dépensée dans l’urgence, explique Tarek, empêche l’association de se doter des moyens nécessaires à cette croissance. Des problèmes d’encadrement se posent, et des problèmes financiers. Surtout, « il aurait fallu prendre le temps de capitaliser, d’avoir une réflexion collective sur les suites à donner au mouvement ». Le Comité paie le prix de sa notoriété, estime-t-il : « on était considérés comme “dépositaires” de la loi, et on nous envoyait tous les dossiers de double peine… »

A partir de 1993, le Comité s’installe dans ses locaux actuels, rue de Montreuil, hébergé cette fois par le collectif des associations immigrées en France (CAIF).

L’ambition de départ, qui était de créer un vaste mouvement dépassant largement la revendication contre la double peine est retrouvée. Des réunions se tiennent un peu partout en France, dont une à la Bourse du travail à Paris le 4 décembre 1993, jour anniversaire de la marche de 83. Deux ans après, l’appel est lancé pour la création d’un « Mouvement de l’Immigration et des Banlieues » : le MIB.

Face aux « Monoprix-Viniprix de l’immigration »

Dès qu’ils se mettent à parler des associations qui travaillent dans le champ des droits des étrangers, de la lutte contre le racisme et les discriminations – la Ligue des droits de l’homme, la Cimade, SOS Racisme, le Mrap, le Gisti, etc. –, les pionniers du mouvement laissent percer amertume et orgueil. Ils considèrent qu’il y a aujourd’hui « un consensus pour entériner l’exclusion », et que ces associations participent à ce consensus. « Personne n’attend que quelque chose vienne des quartiers mêmes où les gens vivent l’exclusion. »

C’est Momo qui est l’auteur de cette formule, « les Monoprix-Viniprix de l’immigration », pour désigner « les associations » : manière de dire qu’elles font commerce de luttes dont elles sont déconnectées.

Ils disent être les seuls à aller « sur le terrain ». Ils ont le sentiment que « les associations » sont plus que frileuses sur le sujet de la double peine, qu’elles l’ont toujours été. Et ils se plaignent de n’être pas traités en partenaires par elles : « Au début, elles n’ont pas pris au sérieux le CNCDP », dit l’un des anciens. Et un autre : « Elles n’avaient pas confiance en nous, on était des petits jeunes, on ne savait pas… Quand on leur disait “on va y aller, nous, rencontrer les gens au ministère, à la Chancellerie, dites-nous qui il faut voir, expliquez-nous qui sont ces gens-là, donnez-nous les téléphones”, ils nous répondaient “ça ne vaut pas la peine” ». Tarek raconte : « A une époque, on rencontrait le directeur des libertés publiques, des gens à la Chancellerie sur la question des ITF. On nous recevait, on nous écoutait. Et, dans le même temps, les associations disaient qu’on ne pourrait pas faire bouger les choses là-dessus !… ». Se rendre dans les ministères avec des gens menacés d’expulsion, c’était les mettre en danger, leur disait-on. Finalement, conclut Nourredine, « elles voulaient faire les choses à notre place, mais surtout ne pas les faire, parce qu’elles n’y croyaient pas ».

Interrogés sur leur analyse des raisons de cette frilosité, ils se souviennent des craintes exprimées qu’associer immigration à délinquance fasse le jeu du Front national, mais ils parlent surtout des réticences à défendre par exemple un ancien dealer. Un avocat, rappellent-ils, a même justifié la double peine pour des délits graves.

Manu parle, lui, en sociologue du milieu associatif : « En fait, il y a un vrai hiatus culturel », dit-il, rejoint par Nourredine : « Des enfants d’immigrés qui se battent sur le droit des étrangers… ils ont besoin de tuteurs ! »

Parfois ils ont des accents de héros qui ont eu raison contre tous, et qui mènent seuls les batailles délaissées par les autres…

La Maison de l’Immigration

Ces batailles, ils les organisent aujourd’hui à partir du lieu qu’ils ont ainsi baptisé : la Maison de l’Immigration. C’est là que se tient leur permanence juridique, et c’est à partir de ce lieu voulu comme un centre de ressources qu’ils élaborent des campagnes d’information et de dénonciation, qu’ils organisent des actions de défense, qu’ils préparent des interventions dans « les quartiers ».

La Maison de l’Immigration a une existence juridique via une association créée en 1996, LAMI, qui reçoit des subventions, essentiellement du FAS, pour les activités de conseil juridique et d’information. Le budget de l’association, dit Tarek, est de 700 000 F, avec 200 000 d’entrées propres (adhésions, concerts, et le produit de la vente du CD réalisé en 1997). Cet argent leur permet de faire fonctionner la structure, de payer quelques emplois à temps partiel, de tirer affiches et publications, d’organiser déplacements et interventions.

Il n’est pas très facile de comprendre les articulations entre les différentes structures du mouvement depuis sa naissance, ni d’avoir des informations concordantes sur tout ce qui touche aux questions matérielles : tout cela est traité par les membres avec une apparente désinvolture. L’essentiel n’est pas là. L’essentiel est l’action : les campagnes, les interventions, l’extension et l’animation du réseau.

Les campagnes du MIB peuvent avoir pour thèmes des problèmes qui ne concernent exclusivement ni l’immigration, ni les banlieues au sens géographique du terme mais, explique Nourredine en bon étymologiste : « les banlieues ce sont tous les endroits où des gens vivent au ban de la société, ce sont les zones de non-droit ». L’idée, dit Tarek, est de créer un véritable rapport de force politique, à partir du réseau créé depuis la naissance de Résistance des Banlieues ».

Ainsi, une campagne intitulée « Justice en banlieue » a été lancée en 1994, pour dénoncer l’attitude de la police à l’égard des jeunes, les « bavures » policières impunies, la dureté de la répression judiciaire dans les quartiers défavorisés. D’autres ont suivi : sur les droits des détenus, l’emploi, le logement ou les discriminations en tout genre. A chaque fois, l’angle de bataille est de mettre à jour les injustices dont personne ne s’occupe. « Par exemple, les détenus pour rébellion contre agents de police sont exclus des grâces du 14 juillet ; qui s’intéresse à ça ? »

Dans leurs interventions, les militants du MIB parlent aussi bien des contrôles d’identité que du regroupement familial, du droit de manifester que des conseils municipaux, des prisons que des possibilités de revendiquer des espaces dans les HLM. « C’est la gestion post-coloniale des quartiers qui mène aux problèmes de ces quartiers », dit Tarek.

Aujourd’hui, c’est cet axe qu’ils revendiquent comme prioritaire : être du côté des exclus, porter la parole de ceux que l’on n’entend pas, et accompagner la prise en charge par les habitants des quartiers de leurs propres problèmes. » Ça, on est les seuls à le faire », disent-ils…

« La double peine, c’est le pire »



Un des militants présents dans la salle, X, vient s’asseoir près de moi : « Pourquoi le Gisti ne fait rien contre la double peine ? » , me demande-t-il . Je dis que le Gisti se bat contre toutes les injustices qui frappent les étrangers, et que la double peine en fait bien sûr partie. Je cite d’autres dénis de droit qui nous révoltent également. Il m’interrompt : « la double peine, c’est le pire ».

Cette formule résume sans doute le motif de fond du reproche adressé « aux associations », les grandes ou les moins grandes, en tous cas celles qu’ils ressentent comme ayant pignon sur rue, et délaissant la principale cause à défendre à leurs yeux. X explique : les sans-papiers, c’est important, la protection sociale ou les réfugiés aussi bien sûr, mais la double peine, ça touche des personnes qui sont en France depuis longtemps, qui ont noué des attaches familiales, personnelles dans ce pays, qui ne sont des étrangers que sur le papier, « et tout d’un coup, comme ça, parce qu’ils ont fait une bêtise, parfois une grosse bêtise c’est vrai, se retrouvent séparés de leurs proches, de tout ce qui fait leur vie, et renvoyés dans un pays qu’ils ne connaissent pas ». Surtout, peut-on entendre dans les accusations de X et des autres, ses victimes appartiennent majoritairement à la population des étrangers de la seconde génération, des « jeunes des banlieues », dont on répète sans cesse qu’il faudrait tout faire pour mieux l’intégrer.

Pour les membres du Comité et du MIB, qui protestent par exemple « n’avoir rien contre les sans-papiers », non seulement les effets concrets de la double peine sont plus révoltants que ceux d’autres textes ou pratiques, mais la légitimité même de la lutte contre la double peine est clairement plus grande que celle d’autres luttes. Ceux qu’on devrait intégrer, on les met dans des ghettos, on les traite sans équité, et quand quelques uns « tournent mal », on les bannit.

L’histoire de Fatiha



Si Fatiha est entrée au Comité, c’est parce que son mari a été touché par la double peine. Elle s’est battue pour lui, a gagné, et travaille maintenant comme permanente dans l’association. « J’ai gagné et, avec le MIB, j’ai aussi trouvé une famille », dit-elle.

Pourtant au départ, ses chances de voir son mari sortir libre de prison étaient plus que maigres…

Elle raconte comment elle a fait la tournée des associations pour chercher de l’aide : d’abord SOS Racisme, puis le Mrap, le Gisti, la Cimade. « A chaque fois, au bout de trois minutes, on me demandait “pourquoi il est tombé ton mari ?” » Le fait que cette question soit un préalable systématique la scandalise.

Son mari purgeait une peine de six ans de prison, pour trafic de stupéfiants. Il avait fait l’objet de deux ITF définitives. « Partout on m’a dit qu’il n’y avait rien à faire, que le dossier était pourri. On me conseillait de me résigner, d’organiser ma vie autrement. On me demandait : “mais pourquoi une fille comme vous s’est retrouvée avec un homme comme lui ?” On m’a même conseillé de divorcer !… »

C’est par hasard qu’elle entend parler d’un comité fondé par d’anciens détenus, luttant contre la double peine. « J’ai cherché partout, j’ai fini par trouver leur adresse et j’y suis allée. Pour une fois personne ne m’a posé la question que je redoutais. On a commencé à m’expliquer ce que je pouvais faire. J’ai dit “mais… il est tombé pour stups !”. On m’a dit “oui, et alors ? Tu veux qu’il revienne, c’est ça ?”… »

Enthousiaste, elle s’est mise à travailler bénévolement pour le Comité. « J’avais trois ans à passer toute seule, de toutes façons ». Elle répond à des courriers de détenus, se forme, et finalement se sent prête pour agir pour son cas personnel.

Elle va voir le procureur qui sera à l’audience deux jours plus tard, et le gagne à sa cause. « Je lui ai dit qu’il ne punissait pas simplement un homme mais aussi moi, sa femme, qui l’aimais. »

Le procureur a été ému. Les deux ITF ont été relevées. Fatiha a gagné.



Article extrait du n°45

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Dernier ajout : jeudi 20 mars 2014, 15:04
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