Article extrait du Plein droit n° 9, décembre 1989
« Loi Joxe : qu’est-ce qui va changer ? »

Pour la reconnaissance du droit de vivre en famille

La loi « Joxe » est entrée en vigueur le 2 août 1989. Elle améliore sensiblement les droits au séjour des étrangers mais laisse intacte la réglementation en matière de regroupement familial, qui ne dépend pas de l’ordonnance du 2 novembre 1945 mais de textes réglementaires non codifiés. Ainsi, tout un pan du droit des étrangers reste en retrait. Le fait que le regroupement familial soit la première source d’immigration (environ 30 000 admissions par an) n’est pas étranger à ce traitement spécifique.

Le collectif des 120 associations qui a porté la réforme de la loi Pasqua s’était engagé à aller de l’avant vers une refonte plus complète de tous les aspects de la réglementation des étrangers, notamment pour ce qui concerne le droit d’asile et le regroupement familial. Le collectif a pu aisément se mobiliser sur un thème médiatique et porteur comme l’abrogation de la loi Pasqua (la réussite de cette action commune en témoigne). Mais, qu’adviendra-t-il de ce droit de vivre en famille qui est cher à tous les discours mais peu aux actions ?

Rappelons-nous, non sans ironie, ce qu’écrivait Mme Dufoix dans une lettre adressée au directeur du journal Le Monde après avoir insisté sur la nécessaire insertion des populations immigrées : « Le regroupement familial est un droit. Je veux donner à ce droit les moyens d’exister ». Elle poursuivait en insistant sur la responsabilité des gouvernements dans l’accueil des familles pour justifier « la planification » et « l’organisation » de leur entrée en France. Aujourd’hui, le droit de vivre en famille est devenu une liberté pratiquement inaccessible pour beaucoup de travailleurs étrangers.

A la suite d’une audition par le Conseil national des populations immigrées (CNPI), ayant sollicité des réactions et des propositions sur le droit de vivre en famille, rassemblant le regroupement familial et la protection sociale, le Réseau d’Information et de Solidarité (1) a proposé une grille d’analyse et de réflexions relative au regroupement des familles, ainsi que quelques propositions de modifications des textes y afférant. Son exposé introductif a pour objectif de montrer la nécessité de réviser la réglementation au regard de ses conséquences néfastes et de l’opportunité d’une juste réalisation de ce droit fondamental dans toute politique d’insertion.

Une contradiction de fond

Le droit des étrangers procède de deux sources principales distinctes : - les principes généraux du droit et les droits fondamentaux attachés aux personnes et qui s’imposent aux États ; - les droits accordés par la législation et/ou la réglementation, qui découlent de la volonté du législateur.

Le droit de vivre en famille et le droit au regroupement familial qui en découle procèdent de la première source. À la différence de la plupart des dispositions du droit des étrangers, dont la légitimité émane du droit interne, le droit au regroupement familial est un droit des personnes qui s’impose aux États ; ceux-ci peuvent réglementer les modalités administratives nécessaires à son exercice et à son contrôle, mais non en interdire la jouissance. Seuls des motifs de santé publique ou d’ordre public peuvent légitimer l’interdiction pour un étranger travaillant en France de faire venir sa famille.

Ces principes, confirmés par plusieurs déclarations et conventions internationales, ont été rappelés par le Conseil d’État dans son arrêt du 8 décembre 1978. Ils ont été réaffirmés par le Conseil des ministres dans sa déclaration d’octobre 1984.

Ce qui précède signifie en clair que si l’État peut légitimement refuser le séjour temporaire ou l’installation durable d’un étranger, conformément aux dispositions légales fixant les conditions d’attribution des titres de séjour temporaires ou de la carte de résident, il n’est pas légitime qu’il prenne des dispositions législatives ou réglementaires aboutissant à interdire le regroupement de la famille des étrangers qui ont acquis un droit de séjourner en France – à l’exception des cas où la venue des personnes en question serait de nature à nuire à la santé publique ou constituerait une menace à l’ordre public (étant entendu que la menace à l’ordre public est bien attachée aux personnes visées par le regroupement familial et ne sert pas à masquer des discriminations raciales, religieuses ou autres, ni à couvrir des motifs d’ordre économique).

La volonté exprimée par le Conseil des ministres d’octobre 1984 de garantir l’exercice « dans de bonnes conditions » du droit au regroupement familial doit donc se comprendre comme la volonté d’attribuer aux détenteurs du droit de vivre en famille, les facilités et les aides qui leur permettront de faire face à leurs charges. Elle ne peut signifier l’intention de refuser la reconnaissance de ce droit fondamental.

La réglementation actuelle a ses effets pervers.

En effet, elle va à l’encontre des principes qui viennent d’être rappelés, dans la mesure où elle aboutit à interdire le regroupement d’un grand nombre de familles dont les ressources sont modestes, et qui, par conséquent, ne peuvent trouver à se loger dans les conditions qu’elle édicte.

Des conséquences désastreuses a court et à long terme

Outre le fait qu’elle contrevient à ces principes, elle conduit inévitablement à des effets plus graves que ceux qu’on a cherché à éviter. Les motifs invoqués par l’administration pour justifier l’encadrement de ce droit à mener une vie familiale normale sont le souci d’éviter que des familles immigrées vivent dans des conditions malsaines de logement. En pratique, la réglementation trop restrictive aboutit à des détournements et génère le maintien sur le territoire de nombreuses épouses (ou époux) et enfants en situation irrégulière. Une immigration familiale juridiquement clandestine s ’est développée et cette frange importante de population ayant vocation à s’installer durablement en France ... s’installe durablement dans la précarité. De ce fait, des familles sont condamnées à vivre dans des conditions plus mauvaises que celles qu’elles auraient trouvées si elles avaient obtenu l’autorisation demandée : pas d’allocations familiales ; de sérieuses difficultés dans l’obtention d’une couverture sociale ; des problèmes pour la scolarisation des enfants ; l’exercice d’un travail clandestin largement sous-rémunéré ; pas d’allocations logement qui auraient pu contribuer au paiement d’un logement décent.

De plus, compte-tenu du fait qu’il est difficile d’expulser des femmes et des enfants, cette situation entraîne une propension à tolérer la présence en situation irrégulière des familles et donc de donner l’exemple d’un « laxisme », dont l’origine est à chercher dans l’irréalisme de la réglementation.

Il faut enfin souligner que cette réglementation est en contradiction flagrante avec la politique d’insertion affichée. Il est évident que la vie en famille est la condition essentielle d’une bonne insertion des immigrés. En gênant le regroupement familial, on ralentit le processus d’insertion qu’on s’attache par ailleurs à favoriser : de la réglementation actuelle naît la marginalisation de nombreuses familles, provoquant parfois des phénomènes de déviance et de délinquance.

Il est donc indispensable d’opérer de profondes modifications des textes gouvernant le regroupement familial.

La réglementation en question

Après le rappel de notre position de principe face à ce droit fondamental, il convient de présenter plus en détail les textes et d’illustrer par des exemples pratiques les difficultés rencontrées par les immigrés voulant faire venir leur conjoint et enfant(s).

Le décret du 4 décembre 1984 prévoit, comme conditions subordonnant l’autorisation de l’OMI, la jouissance d’un "logement adapté" et de"ressources stables et suffisantes", sans plus de précision. C’est sa circulaire d’application du 4 janvier 1985 qui a apprécié ces conditions de façon stricte et restrictive - appréciation que le Conseil d’État a implicitement condamnée (cf. arrêt du Conseil d’État du 25 septembre 87).

Les conditions de logement requises sont donc celles des normes appliquées pour l’attribution des allocations logement, soit de strictes conditions de surface (référence au décret du 13 juillet 1978) : pour trois personnes par exemple, on demandera 34 m2.

Les conditions de « ressources stables et suffisantes » excluent, a priori, les travailleurs ne justifiant pas d’un contrat de travail à durée indéterminée (interprétation de la circulaire).

Parallèlement, le décret Dufoix, en modifiant la réglementation de 1976 (décret du 29 avril 1976), ne laisse en place que la seule procédure d’introduction des familles, obligeant le candidat au regroupement familial à remplir préalablement et conjointement ces deux conditions avant de pouvoir faire venir les siens (il existe d’autres conditions mais, au vu de la pratique, elles constituent rarement des obstacles au regroupement familial).

Enfin, le décret ne prévoit qu’une définition restrictive de la famille qui se trouve ainsi limitée au conjoint et aux enfants de moins de 18 ans.

Deux poids, deux mesures

Ces critères, inadaptés à la situation du parc locatif et au marché du travail, sont en retrait par rapport aux dispositions dont bénéficient les ressortissants de la CEE. Or, il n’existe qu’un droit à mener une vie familiale normale et c’est le même pour tous, sous peine de créer des discriminations juridiquement contestables et humainement intolérables.

Le décret du 28 avril 1981 et sa circulaire d’application, relatifs aux ressortissants communautaires, stipulent que les conditions de logement sont satisfaites dès lors que le chef de famille « dispose d’un logement considéré comme normal pour les travailleurs nationaux dans la région où il est employé ». Le règlement 1612/ 68 dont ces deux textes découlent dispose que l’exigence d’un logement considéré comme normal pour les travailleurs nationaux, dans la région où le ressortissant communautaire est employé, est subordonnée au principe de l’égalité de traitement puisqu’il précise : « sans que cette disposition (examen du logement) puisse entraîner de discrimination entre les travailleurs nationaux et les travailleurs en provenace d’autres Etats membres ». Cette définition large a le mérite de la souplesse en incluant, dans le traitement des demandes, les spécificités des régions dont certaines, parmi les plus concernées par le regroupement familial des étrangers, connaissent des problèmes d’habitat aigus.

Par ailleurs, on peut se demander combien de nationaux auraient le droit d’habiter en famille à Paris si les critères requis des étrangers leur étaient appliqués.

Quelles sont les difficultés précises rencontrées en matière de regroupement familial ?

La plupart des refus dont nos permanences juridiques ont été saisis, sont motivés par le défaut de disposer d’un logement vide conforme aux normes de l’allocation logement. Or, tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’il existe en France une crise du logement, notamment dans les régions où la population immigrée se trouve fortement représentée

Le logement impossible

Cette situation difficile pèse de façon accrue sur les étrangers, même si le problème concerne l’ensemble de la population. En effet, ceux-ci justifient le plus souvent de revenus faibles et ont, par ailleurs, à faire face à des attitudes spécifiques de rejet rendant plus dure encore la possibilité de se loger correctement. En faisant l’inventaire des possibilités offertes pour accéder à un logement (social ou non), on mesure mieux l’ampleur des difficultés.

– Pour l’accès au logement social, les critères sont tels qu’un chef de famille isolé ici ne deviendra que très rarement prioritaire. En pratique, ses chances d’obtenir un HLM sont quasiment nulles.

Face au nombre croissant des demandes, il est clair quel’ attribution effective pour « regroupement familial » pourtant prévue par le décret du 19 mars 1986 est illusoire. On rappelle en effet que ce décret relatif à l’attribution des logements gérés par les organismes d’HLM dispose dans son article R 441-3, que « ...les attributions sont aussi prononcées... au bénéfice de demandeurs à la recherche d’un logement ... en vue notamment :...c) De rapprocher ou regrouper les membres d’une même famille et notamment de rendre possible un regroupement familial ».

De plus, même quand la famille se trouve déjà en France, nombre d’organismes gestionnaires exigent a priori la production de la carte de séjour du conjoint pour prendre en considération une demande d’attribution de logement, ce qui ruine toute possibilité de régularisation sur place. Cette attitude est systématique de la part des services de la Ville de Paris qui va même jus qu ’ à remettre aux intéressés un formulaire dressant la liste des pièces à fournir et sur lequel on peut lire que les documents justifiant de la régularité du séjour concernent toutes les personnes devant occuper le logement !

Bien entendu, la pratique illégale mais avouée des « quotas » qu’applique un nombre croissant de communes et d’organismes gestionnaires entrave l’accès à ce type de logement.

– Concernant le fameux 1% patronal, on peut là encore relever des difficultés analogues.

Les dispositions réglementaires prévoient que toute entreprise de plus de 10 salariés doit cotiser 0,66% de sa masse salariale, somme devant être réinvestie dans l’effort de construction (une faible partie de ces cotisations est, par ailleurs réservée au logement des étrangers). En contrepartie, l’entreprise peut jouir prioritaire-ment de logements pour ses employés. Ces dispositions sont mal appliquées aux travailleurs étrangers, bénéficiaires potentiels, parce que les listes d’attente sont trop longues, qu’on applique implicitement des « quotas » , que les organismes gestionnaires exigent, a priori, des titres de séjour de l’ensemble des membres de la famille,etc.

– Quant à l’accès au parc locatif privé, indépendamment des attitudes racistes et ségrégationnistes de la part d’un grand nombre de propriétaires privés, le niveau des loyers appliqués et les exigences faites en matière de garanties le conditionnent directement.

Aujourd’hui, un travailleur touchant le SMIC, en région parisienne, ne peut envisager raisonnablement d’accéder à un logement privé qui remplisse les conditions de surfaces exigées dans le cadre du regroupement familial. D’autant plus que la famille étant absente, les ressources prises en compte n’intègrent pas les éventuelles allocations familiales, parfois conséquentes, dont pourrait bénéficier celle-ci une fois en France.

En l’état, les critères de logement retenus pour l’exercice du regroupement familial semblent donc inadaptés à la réalité, et la population immigrée se trouve confrontée à des difficultés qui la dépassent largement et sur lesquelles elle n’a que peu d’emprise.

Il semblerait que la présence en France du conjoint et des enfants génère, à plus ou moins long terme, un réel processus d’insertion aboutissant entre autre, à une amélioration des conditions de logement (possibilité de devenir « prioritaire », ressources supplémentaires par la perception d’allocations ou par la possibilité pour le conjoint de travailler, facilité alors pour accéder à la propriété…).

Les ressources prises en compte

La condition de « ressources stables et suffisantes » est elle aussi source de difficultés.

L’évolution du marché du travail ne permet plus d’envisager comme seul critère de référence la production d’un contrat à durée indéterminée sur la base du SMIC qui n’est plus la seule figure du marché de l’emploi. L’administration se doit de tenir compte des nouvelles formes d’emploi. Les titulaires de contrats à durée déterminée, les stagiaires de la formation professionnelle, les intermittents ... sont exclus à priori par la circulaire, alors que ces situations correspondent effectivement à la réalité de l’emploi éclaté et peuvent apporter, sur une année, des revenus avoisinant ou même dépassant le SMIC. C’est d’ailleurs ce qui a valu la rédaction de la circulaire du 6 décembre 1985 qui prévoit la prise en considération des demandes faites- par des travailleurs intérimaires. Au regard de la pratique, cette circulaire reste largement inappliquée.

Il n’est pas admissible de priver les étudiants étrangers du droit de vivre avec leur conjoint sans se livrer au même examen de leurs ressources (les étudiants peuvent, juridiquement, accéder à un emploi à temps partiel ).

Il semble donc nécessaire d’interpréter plus largement le critère de ressources et de prendre en compte la situation de l’emploi dans la région concernée. Les modalités de relecture de la circulaire préconisées par le Conseil d’Etat sont insuffisantes pour réformer les pratiques. Doit être inscrite dans un texte, la possibilité de tenir compte de toutes les formes d’emploi, des allocations potentielles auxquelles la famille pourra accéder en étant en France, des pensions, des retraites, des bourses de recherche ...

Élargir le nombre des bénéficiaires

La composition de la famille doit être revue.

Le décret Dufoix et sa circulaire d’application donnent une définition stricte des bénéficiaires du regroupement familial, à savoir le conjoint et les enfants de moins de 18 ans. Cette liste restreinte des membres de famille privilégiés ne va pas sans poser de problèmes.

En effet, un certain nombre de membres du noyau familial se trouvent exclus de cette possibilité alors que, bien souvent, leur charge échoit au chef de famille, candidat au regroupement familial. Il s’agit en particulier des ascendants isolés et des collatéraux mineurs dont la garde a été officiellement confiée au chef de famille. Nous rappelons que le décret de 76 prévoyait la prise en compte de vieux ascendants isolés. Or, ces situations ne sont jamais prises en considération sauf à titre très exceptionnel et on aboutit, bien souvent, à des cas ingérables (cf. à ce propos la circulaire du 14 mars 85 d’ application de l’accord franco-algérien qui prévoit expressément la prise en compte de vieux parents. Elle demande aux autorités préfectorales de réserver « un examen bienveillant lorsqu’il s’agira d’ascendants isolés dans leur pays d’origine »). Une des solutions préconisées étant de faire obtenir au parent âgé une carte temporaire « visiteur ».

Par ailleurs, dans un certain nombre de pays d’émigration, l’âge de la majorité est de 21 ans. N’est-ce pas cette majorité là qu’il faut considérer si on veut respecter la notion de famille telle qu’elle est perçue dans les pays d’origine ? A défaut, la réglementation multiplie les contradictions. Ainsi, les juges suprêmes ont implicitement pris en considération la loi personnelle en donnant la possibilité à un étranger de faire venir sa seconde épouse. Il faut dire que la portée « quantitative » des dispositions n’est pas la même.

La réglementation actuelle aboutit à des situations familiales particulièrement injustes. Ainsi, toute une famille peut se trouver en situation régulière hormis l’aîné(e) qui, à cause de son arrivée tardive en France, ne rentre dans aucun cadre légal (ni celui du regroupement familial, ni celui de l’ordonnance du 2 novembre 1945). Il nous semble souhaitable de repenser la composition de ce noyau familial en s’inspirant des dispositions appliquées aux ressortissants de la CEE qui peuvent faire venir en France leurs ascendants, leurs enfants âgés de moins de 21 ans ou de plus s’ils sont encore à charge.

Une telle disparité de traitement ne semble ni justifiée ni équitable.

Lenteurs et tracasseries administratives

La procédure administrative enfin, suscite remarques et critiques.

Elle s’avère excessivement rigoureuse et rigide ; les directives contenues dans le titre 4 de la circulaire du 5 janvier 1985 sont loin d’être respectées : des demandes sont encore jugées irrecevables aux guichets, au vu des pièces et des documents présentés par les demandeurs, les délais d’examen des demandes vont jusqu’à 6 mois, les critères sont appréciés avec une grande rigidité dans la logique d’exclusion de la circulaire et non de la jurisprudence trop timorée du Conseil d’État, un certain nombre de conclusions erronées portant sur les conditions réelles de ressources et de logement sont enregistrées, l’instruction de la demande échappe entièrement au contrôle du demandeur, les voies de recours possibles en cas de refus ne sont pas indiquées, etc.

Pour pallier à ces carences et assurer le respect de la procédure, l’administration se doit, en premier lieu, de considérer le demandeur comme partenaire et agent responsable de son insertion et de celle de sa famille. Il convient, à cet égard, de prévoir de nouvelles garanties devant permettre au demandeur d’intervenir face à d’éventuelles insuffisances de la part de l’administration ou même d’abus. Avant de notifier un refus fondé sur la non satisfaction de l’un des critères prévus par la réglementation, l’OMI devrait avertir le demandeur de la décision qu’il s’apprête à prendre, en lui donnant la possibilité de fournir, le cas échéant, des éléments complémentaires susceptibles de modifier cette décision avec l’aide d’un conseil de son choix s’il le désire.

Il est évident que le traitement satisfaisant des dossiers de regroupement familial nécessite, dans l’immédiat, un renforcement des services compétents. En effet, les effectifs sont trop faibles compte tenu du travail à assurer (2 agents chargés de l’examen de ces demandes pour Paris, une seule pour tout l’hexagone au niveau central).

Propositions

Les propositions qui suivent constituent une base de négociation. Nous avons rappelé dans notre introduction l’objectif de notre travail : la réalisation du droit de vivre en famille.

– La procédure de régularisation doit être rétablie. Le contrôle a priori n’est pas adapté à la volonté de venir rejoindre le conjoint installé en France.

En tout état de cause, si des modifications réglementaires interviennent, il est indispensable de procéder à la régularisation des membres de famille déjà présents sur notre territoire à la date d’application de ces nouvelles dispositions.

– En matière de logement, d’une part la condition de « logement normal » examinée avec bienveillance pour les ressortissants de la CEE doit être élargie aux autres nationalités, d’autre part tout demandeur de regroupement familial doit être effectivement prioritaire dans l’attribution d’un logement social si, bien sûr, sa situation financière le justifie.

Sans qu’il soit besoin de modifier le décret, il faut d’ores et déjà que les demandes de personnes qui ne sont ni propriétaires, ni locataires mais simplement jouissant à titre gracieux d’un logement ou d’un hébergement dans la famille, soient prises en considération.

– En matière de ressources, devront être examinées les demandes des étrangers ayant un statut considéré jusqu’à aujourd’hui comme précaire (contrats à durée déterminée, stages, retraites, pensions d’invalidité ….). La condition de ressources (non requise pour les communautaires) devrait à tout le moins inclure les allocations potentielles auxquelles la famille aura droit une fois en France.

– En matière de composition de la famille, les dispositions appliquées aux ressortissants de la CEE doivent l’être également aux autres nationalités (ascendants, enfants de moins de 21 ans). Les collatéraux mineurs dont la charge échoit au chef de famille devraient bénéficier du droit de venir le rejoindre.

– Devrait être, dans l’immédiat, abrogé, le décret Barzach qui prive les enfants arrivés en dehors du regroupement familial d’allocations familiales. Cette restriction dans le versement des prestations pèse lourdement sur les familles et donc, sur des enfants, qui en aucun cas, ne sont responsables de la situation de non droit qu’on leur oppose.

– En matière de procédure administrative, une simplification s’impose, agrémentée d’une réelle possibilité de recours. Les délais raisonnables fixés par la circulaire doivent effectivement être respectés, ce qui suppose une augmentation des effectifs adaptée à la charge de travail.

Un droit muselé par des pratiques restrictives



Monsieur A-B, marocain est arrivé en France en novembre 1977. Il travaille depuis douze ans comme mineur de fond aux Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais. Mi-décembre 1987, il dépose une demande de regroupement familial pour faire venir sa femme et son enfant.

Le 26 janvier 1988, l’OMI donne un avis favorable à son dossier.

Six mois plus tard, après plusieurs interventions auprès de la préfecture du Pas-de- Calais, il reçoit une lettre lui refusant le droit de faire venir sa famille pour le motif suivant : instabilité de l’emploi. En effet, les Houillères vont fermer le 31 décembre 1990…

Le 25 novembre 1988, un recours a été introduit auprès de la Direction de la Population et des Migrations qui, dans une lettre du 24 mars 1989, confirme la décision de la Préfecture du Pas-de-Calais, suggérant à l’association qui avait épaulé M. A.B dans ses démarches administratives, de l’aider dans un projet de reconversion.

Septembre 1986, Zia dépose une demande de regroupement familial au bénéfice de six personnes de sa famille.

Un an après, jour pour jour, Zia reçoit la décision de refus de la préfecture du Loiret :

  • la surface habitable de l’appartement n’est que de 76,76 m2. Elle devrait être de 114 m2.
  • Aimas, la fille de Zia, ne pourra bénéficier de toute façon d’une telle procédure parce qu’elle était âgée de 18 ans lors du dépôt de la demande. Or, le dossier a été constitué en mairie 4 mois avant l’enregistrement par la D.D.A.S.S, Aimas était alors encore mineure.



Zia dépose un recours gracieux le 29 septembre 1987. En effet, depuis peu, il exploite un fonds de commerce en location-gérance. Il a à sa disposition, trois chambres et des aménagements sanitaires répondant aux normes de surface exigées : 122,73 m2 (sont comptabilisés les m2 de son appartement).

Une décision de rejet implicite oblige Zia à saisir le tribunal administratif en février 1988. Depuis, l’audience n’a toujours pas été fixée et la préfecture refuse de réviser la situation malgré les éléments nouveaux. Pire encore, les services de la préfecture semblent invoquer, pour motiver le rejet implicite, les démêlés qu’aurait eus avec la justice, le fils aîné de Zia qui, déjà admis à séjourner, est retourné de lui-même au pays.

La longueur de la procédure n’est presque rien à coté de l’énergie déployée et des espoirs déçus. La femme de Zia ne peut bénéficier que de séjours touristiques. Tout récemment, la préfecture a refusé de prolonger son visa, ce qui lui aurait permis de bénéficier de soins hospitaliers urgents. Quant aux enfants, ils continuent à attendre patiemment au pays de pouvoir vivre avec leur père absent depuis huit ans. Zia vit seul depuis 3 ans dans deux appartements inoccupés.


(1) Le Réseau d’Information et de Solidarité regroupe les associations suivantes : Accueil et Promotion, le CAIF, le CIEMI, la Cimade, le CLAP, la FASTI, le GISTI, le GREC, le MRAP, le SNPM.



Article extrait du n°9

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Dernier ajout : mercredi 26 mars 2014, 18:54
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