Article extrait du Plein droit n° 3, avril 1988
« Quels discours sur l’immigration ? »

Les Capverdiens lendemain de réveillon

On se souvient de la mésaventure survenue à neuf Capverdiens bloqués pendant cinq jours en zone internationale à l’aéroport de Roissy à la fin du mois de décembre, avant d’être expulsés et embarqués à destination de Dakar. Le tout dans I illégalité la plus totale. Cette affaire a connu depuis de nouveaux développements surie plan judiciaire.

Les Capverdiens qui avaient passé un drôle de réveillon en zone internationale pour la fin de l’année 1987 n’ont guère apprécié les civilités de M. Pasqua (voir Plein Droit Ir 2). Le 3 février dernier, il ont assigné en référé le ministre de l’Intérieur. Étaient également convoqués à l’audience, le secrétaire d’État aux droits de l’homme et le consul du Cap-Vert.

Pour les Capverdiens, maîtres Bourguet, Hounkpatin et Tcholakian, et pour le GISTI, maître Liger, ont longuement analysé les événements en présence du juge Le Foyer de Costil, lui demandant. de se prononcer sur les nombreuses voies de fait dont ont été victimes les Capver-diens : séquestration de personnes en zone internationale en violation des textes sur l’entrée et le séjour des étrangers ; expulsions illégales ; atteinte au droit universellement reconnu pour un étranger de contacter les autorités consulaires de son pays lorsqu’il est sur le territoire national d’un autre État ; violation des droits de la défense. Ils ont également demandé au juge des référés de faire cesser le préjudice grave causé aux intéressés par leur expulsion illégale et d’organiser, aux frais du ministère de l’Intérieur, le retour en France des expulsés.

L’audience s’est tenue en présence du représentant du consul du Cap-Vert, qui a confirmé en tous points l’exposé fait par les avocats, manifestant ainsi publiquement son désaccord avec l’attitude des autorités françaises tant à son égard qu’à l’égard de ses ressortissants. Pour sa part, le secrétaire d’État aux droits de l’homme n’avait pas daigné se faire représenter.

Quant à maître Jean-Yves Cavalini, représentant le ministre de l’Intérieur, M. Pasqua, il a soutenu que tout avait été fait selon les formes prévues par la loi. Selon lui, des étrangers retenus dans une zone internationale d’aéroport ne sont pas juridiquement en territoire français tant que les formalités d’entrée ne sont pas réglées. Si les Capverdiens sont restés plusieurs jours en zone internationale, c’est que l’enquête, minutieuse et personnalisée, effectuée par la place Beauvau, exigeait de tels délais. Ces derniers ont été aussi brefs que possible : ils ne pouvaient pas être plus courts pour une décision fondée et personnalisée.

On découvrira ainsi que, sous prétexte de prendre le temps de vérifier que les conditions d’entrée en France sont remplies par des étrangers qui se présentent aux frontières, la PAF (police de l’air et des frontières) peut se permettre de retenir des étrangers en zone internationale, ceux-ci étant privés des garanties déjà bien minces que leur confère la loi du 9 septembre 1986.

Le 9 février 1988, madame Le Foyer de Costil, premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris rendait sa décision dans les termes suivants : « La demande tend non pas à ce qu’il soit mis fin au séjour forcé des personnes concernées à l’intérieur de l’aérogare d’Orly dans le cadre d’une rétention administrative, mais à ce que leur retour en France soit organisé, ce qui constituerait à l’évidence une demande en réparation d’un préjudice. Et même si l’on peut relever le caractère pénible de la mesure dont les demandeurs ont été l’objet, il demeure que la situation dans laquelle ils se trouvent placés et dont ils critiquent les modalités d’application a pris fin, de sorte qu’en cet état, il ne peut y avoir lieu à référé ».

La motivation de cette ordonnance paraît insuffisante. En effet, le trouble résultant de l’expulsion, inséparable de celui créé par la séquestration, n’a, lui, à l’évidence pas cessé, puisque les demandeurs, qui remplissent les conditions pour être en France, se trouvent actuellement… au Cap-Vert.

Cette décision risque de conforter les fonctionnaires de la PAF et le ministère de l’Intérieur dans la poursuite de leurs pratiques illicites : ils pourront continuer à séquestrer pendant un temps indéterminé, puisqu’on ne peut pas, à l’avance, dire combien de temps dureront les vérifi cations qu’ils effectuent, et enfin expulser en toute illégalité tout voyageur suspecté de vouloir s’installer en France. Aucun regard étranger au service (en particulier des avocats) ne viendra les perturber dans cette tâche que l’Intérieur considère comme essentielle dans la lutte contre ce « monstre » : l’immigration clandestine ^

(Affaire à suivre).

Consignes



Une circulaire du 5 octobre 1987 émanant du ministre chargé de la sécurité (M. Pandraud), sur la condition d’entrée en France que constitue l’examen de situation en vue d’une éventuelle annulation de visa, donne les instructions suivantes aux fonctionnaires de la PAF :

« D’une manière générale, j’insiste pour que vous vous impliquiez personnellement, vous et vos proches collaborateurs, de manière à ce que, sous le contrôle des chefs de service, l’Administration centrale soit saisie du plus grand nombre de cas, sans pour cela que ne soient retenus exagérément des étrangers qu’un examen de situation mené avec discernement aurait dû conduire à admettre rapidement.

Je ne disconviens pas des difficultés de cette mission importante et nouvelle des services de contrôle. Il vous revient à cet égard de prendre toutes les dispositions nécessaires, notamment au niveau de l’organisation des services et de la formation des personnels concernés, pour qu’elle soit remplie au mieux des intérêts que nous avons la charge de défendre dans le domaine de l’immigration irrégulière, sans pour autant méconnaître les droits des étrangers qui se présentent à nos frontières et les égards qui leur sont dus
 ».



Article extrait du n°3

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Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 17:42
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