Article extrait du Plein droit n° 44, décembre 1999
« Asile(s) degré zéro »
Les États européens et l’asile : Ouverture à bon marché
Claudia Cortes-Diaz & Claire Saas
Doctorante à l’Université Paris X Nanterre ; doctorante à l’Université Paris I
Les 15 et 16 octobre dernier a eu lieu, à Tampere (Finlande), le Conseil européen extraordinaire consacré à la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Lors de cette réunion, les États membres de l’Union européenne se sont prononcés en faveur d’une politique d’asile et d’immigration moins répressive et plus respectueuse des droits de l’homme, dans le but de construire un espace de liberté, de sécurité et de justice.
On peut estimer que la position adoptée par les États membres marque un tournant dans le traitement des questions relatives à l’immigration et à l’asile. Depuis longtemps, en effet, ces domaines faisaient l’objet de diverses mesures à caractère très restrictif. La politique en matière d’asile était solidaire de la politique migratoire, dans la mesure où elle était utilisée comme instrument de maîtrise de l’immigration, au même titre que les dispositions relatives aux visas ou au franchissement des frontières.
Depuis les années soixante-dix, et suite à la volonté de fermeture des frontières, les États européens n’ont cessé d’essayer, par toute sorte de moyens, de rendre leurs frontières de moins en moins perméables, malgré l’incompatibilité de ces moyens avec certains principes ou engagements internationaux. Les fameuses « Résolutions de Londres » de 1992 sont une manifestation explicite de cette politique restrictive en matière d’asile. Il s’agit de deux résolutions, l’une relative aux « pays tiers sûrs », l’autre aux demandes d’asile « manifestement infondées », et des conclusions portant sur les « pays d’origine sûrs ». Adoptées de la manière la plus obscure qui soit, les États y manifestaient leur volonté d’harmoniser les modalités d’examen d’une demande d’asile.
Le véritable objectif est cependant apparu rapidement : il s’agissait d’empêcher l’examen au fond d’une demande d’asile en arguant soit que le demandeur d’asile était originaire d’un pays dit sûr, soit qu’il avait transité par un autre pays que le sien, pays également considéré comme sûr, soit enfin qu’on estimait que sa demande était « manifestement infondée ». Et il appartenait à chaque État de fixer sa propre liste des « pays sûrs » et des critères permettant de déterminer le caractère manifestement infondé d’une demande d’asile.
Ces résolutions, qui touchent directement à l’asile, ont été accompagnées d’autres décisions qui visent d’une manière plus globale la maîtrise de l’immigration. Y figurent notamment le rétablissement de l’exigence de visa pour les ressortissants de certains pays et les sanctions à l’encontre des transporteurs acheminant des voyageurs démunis des documents exigés.
Avec l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht et la création du troisième pilier en vertu duquel l’asile est une « question d’intérêt commun », les États membres se sont attachés à deux questions principales relatives à l’asile.
La première concerne l’harmonisation des critères relatifs à l’examen d’une demande d’asile et des règles communes pour l’accueil des réfugiés. La seconde est relative à la distinction à opérer entre les personnes qui peuvent se prévaloir utilement de la Convention de Genève et celles qui ne peuvent bénéficier de l’application de cette convention mais qui ont besoin d’une protection temporaire ou complémentaire.
Réticence des États
Les États ont donc adopté plusieurs décisions. Certaines avaient a priori un objectif louable, comme d’accorder des garanties minimales aux demandeurs d’asile, aussi bien au niveau de l’accueil que des procédures d’examen de leur demande. D’autres étaient néanmoins toujours empreintes de la volonté de restreindre le droit d’asile. C’est le cas de la « position commune » du Conseil du 4 mars 1996, qui porte sur l’application harmonisée de la définition du réfugié. Cette décision « exemplaire » illustre très bien la réticence des États à donner un sens véritable à la Convention de Genève. Ces derniers ont, en effet, interprété l’article 1 A de ladite Convention de telle manière que soient reconnues comme réfugiées uniquement les personnes persécutées par les autorités du pays d’origine ou par des tiers avec l’encouragement ou l’autorisation des pouvoirs publics. Cette interprétation exclut donc, par exemple, les ressortissants algériens.
Le 2 octobre 1997 a été signé le Traité d’Amsterdam, qui marque une nouvelle étape dans la construction européenne. En vertu du titre IV de ce texte, la politique de l’asile relève désormais de la compétence de la Communauté européenne, alors qu’auparavant, elle faisait partie du domaine de compétence exclusive des États. Le Traité d’Amsterdam est entré en vigueur le 1er mai dernier. Il faudra cependant attendre encore cinq ans et une décision unanime du Conseil de l’Union pour que l’asile soit définitivement « communautarisé ».
Entre-temps, dans la perspective de la mise en place de ce titre IV, la présidence autrichienne de l’Union européenne a présenté, en 1998, un document de « stratégie sur la politique de l’Union européenne en matière de migration et d’asile » dans lequel on trouve une analyse superficielle, voire simpliste de la situation géopolitique actuelle et de celle des demandeurs d’asile.
La confusion entre immigration et asile ainsi que l’amalgame entre immigration clandestine et asile sont symptomatiques : les demandeurs d’asile forment des « mouvements migratoires » qui trouvent leur cause « dans des facteurs tels que les persécutions inter-ethniques, suivies d’exode, par des mouvements extérieurs à l’appareil étatique, ainsi que dans la pauvreté et la précarité des conditions de subsistance sévissant dans les régions d’origine. » Une analyse qui vide de son sens la Convention de Genève.
De son côté, la Commission européenne a présenté, le 3 mars 1999, un document de travail intitulé « Vers des normes communes pour les procédures d’asile ». Ce document doit servir de base de discussion et de négociation et déboucher sur la proposition d’un instrument juridique communautaire. La Commission revient sur les différents aspects qui concernent l’asile et les textes adoptés, n’hésitant pas à remettre en question certains des principes qui y sont énoncés.
C’est ainsi qu’elle envisage la possibilité de renoncer à la notion de « pays sûr » ou, tout au moins, de ne l’utiliser qu’avec un certain recul en tenant toujours compte de la situation particulière du demandeur d’asile.
En tout état de cause, cette notion ne devrait plus permettre de ne pas examiner au fond une demande d’asile, comme c’est le cas actuellement dans certains pays. De même, certaines autres notions devraient également être revues, comme que celle de « demande manifestement infondée », notamment en ce qui concerne les motifs qui peuvent donner lieu à une telle qualification.
Vers un instrument juridique communautaire
La Commission propose, par ailleurs, deux thèmes de réflexion, l’un sur la possibilité de mettre en œuvre une procédure unique aussi bien pour la reconnaissance du statut de réfugié que pour l’octroi d’une protection temporaire ou complémentaire, l’autre sur le niveau de preuve applicable lors de l’examen d’une demande d’asile. Sur ce dernier point, l’expérience a montré de grandes différences entre les États, certains d’entre eux accordant à une personne le statut de réfugié alors que d’autres le lui refusaient.
Cela ne signifie pas pour autant que les demandeurs d’asile ont la possibilité de choisir le pays dont le niveau d’exigence est le moins élevé. D’abord, parce qu’à l’heure actuelle, on se demande quel est le pays dont les conditions d’examen des demandes d’asile sont les plus favorables ou, plutôt, les moins restrictives. Ensuite, parce qu’en vertu de la Convention de Dublin, entrée en vigueur le 1er septembre 1997, les demandeurs d’asile n’ont plus le choix de leur pays d’accueil, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner au niveau familial.
Ce document de travail a reçu un accueil plutôt favorable de la part des organisations non gouvernementales spécialisées dans le droit d’asile. Espérons que, du côté des institutions communautaires, il servira de base de réflexion pour parvenir à l’adoption d’un instrument juridique à caractère contraignant.
Toutefois, certains aspects du droit d’asile, que les États devraient s’engager à respecter, sont totalement absents de ce texte, comme la garantie de non-refoulement des demandeurs d’asile, le droit à un recours efficace, la nécessité de disposer de moyens d’existence suffisants et de bénéficier de l’accès aux soins afin de pouvoir vivre de manière digne en attendant la décision définitive de l’organisme compétent.
Lors du Conseil européen extraordinaire de Tampere, l’expectative était donc grande et les enjeux de taille. Les décisions prises n’ont finalement pas été à la hauteur des attentes. Certes, les chefs d’État et/ou de gouvernement des États membres ont, fort heureusement, réitéré leur refus des orientations proposées dans le document de la présidence autrichienne de 1998. Ils ont insisté sur leur attachement à la Convention de Genève et sur leur volonté de respecter la particularité du droit d’asile.
Déclarations de principe
Néanmoins, on peut légitimement s’interroger sur la sincérité de ces affirmations. La tendance actuelle des États membres consiste à chercher la manière de maintenir les « candidats » au statut de réfugié dans leur pays d’origine. Les travaux menés jusqu’à présent par le groupe de Haut niveau sur l’asile et l’immigration en sont une parfaite illustration.
En janvier dernier, il a été décidé de mener des enquêtes sur une série de pays à « risque migratoire » : Irak, Pakistan, Somalie, Afghanistan, Albanie. Ces enquêtes devaient permettre d’analyser la situation politique, économique, sociale de ces pays, et de trouver des remèdes aux problèmes économiques, des manières d’apaiser les tensions sociales et de prévenir les conflits, avec, à la clé, une aide financière de l’Union européenne.
Ces missions ont bien sûr pour but de connaître les raisons principales pour lesquelles les gens fuient leur pays et de tarir les sources éventuelles de demandeurs d’asile. Il s’agit de mettre en place les mesures nécessaires pour que d’éventuels « flux » de demandeurs d’asile ne se mettent pas en branle vers les pays de l’Union européenne en cas de nouveaux conflits. Ces enquêtes restent bien superficielles et n’ont certainement pour autre but qu’un échange de bons procédés : « Vous gardez vos frontières efficacement et on vous aidera financièrement un peu plus ».
Le texte de la présidence autrichienne imaginait une série de cercles concentriques autour de l’espace Schengen et de l’espace communautaire, qui constitueraient autant de barrières à franchir avant de parvenir à l’Eldorado européen. Les enquêtes menées en Irak et ailleurs ne semblent être que la manifestation concrète de ce souhait d’une forteresse Europe, y compris à l’égard des demandeurs d’asile, que les États dénoncent pourtant à l’unisson.
On pourrait imaginer que l’Union européenne reconnaisse un jour l’Irak comme un État d’origine sûr, dans lequel les droits de l’homme seraient respectés. Les demandeurs d’asile transitant par ce pays n’auraient alors plus aucune chance d’être accueillis dans un État membre de l’Union européenne.
La dimension donnée depuis quelques années à la notion de protection temporaire amène également à penser que les États ne sont pas aussi attachés à la Convention de Genève qu’ils l’ont affirmé à Tampere. A l’origine, la protection temporaire devait être accordée à des personnes qui, bien que persécutées, ne pouvaient se prévaloir de la Convention de Genève.
Cette idée a été aujourd’hui détournée de son objectif, et la protection temporaire est accordée à des personnes qui pourraient entrer dans le cadre de la Convention de Genève, mais auxquelles on ne veut pas octroyer de protection définitive. La situation des Kosovars en est un bon exemple (sur ce sujet, voir les articles p. 40 et suivantes).
Le Traité d’Amsterdam offre certainement une perspective nouvelle en matière d’asile. L’absence d’une volonté politique claire et forte risque néanmoins de réduire le droit d’asile à une peau de chagrin.
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