Article extrait du Plein droit n° 44, décembre 1999
« Asile(s) degré zéro »
La France, un « pays sûr » ?
Jean-Éric Malabre
Avocat
« L’interprétation française de la Convention de 1951 concernant les persécutions par des tiers dans des circonstances où un État existe mais est incapable d’offrir une protection est, dès lors, totalement incompatible avec son sens en droit international et hors du champ de toute interprétation possible. Elle a pour effet de refuser protection à une catégorie importante de demandeurs d’asile, dont le demandeur, qui sont fondés à obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention de 1951. En conséquence, il y avait un risque réel que le demandeur, s’il était reconduit en France, serait renvoyé en Algérie, en violation de l’art. 33 de la Convention de 1951. »
« … le point à trancher est de savoir si, en droit, l’art.1 A 2) (de la Convention de Genève) s’applique aux personnes qui craignent des persécutions par des agents non étatiques dans des circonstances où l’État n’est pas complice de la persécution, soit qu’il ne veuille, soit qu’il ne puisse (ce qui inclut le cas de figure où il n’existe pas d’autorité effective de l’État) accorder sa protection. Nous n’avons aucun doute que de telles personnes, lorsque les faits sont établis, ont droit à la protection de la Convention. Cela est la conséquence logique des termes mêmes de l’art. 1 A 2) : "… ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays" ; ce, sans qu’il soit besoin d’une lecture technique ou d’un légalisme pointilleux du texte. »
Le « pays des droits de l’homme », formule qui ne fait plus rire quiconque est un tant soit peu familiarisé avec la défense des étrangers, se distinguait déjà pour avoir été condamné à Strasbourg, après la Turquie, pour actes de torture.
Voici que, sous le regard extérieur et objectif de deux hautes juridictions britanniques – vénérables institutions qui ne sauraient être soupçonnées d’un particulier activisme… –, il ne peut plus compter au nombre des pays sûrs pour les demandeurs d’asile, puisque n’appliquant pas la Convention de Genève sur les réfugiés.
Ce constat, aussi brutal qu’incontestable, ne surprendra hélas pas les praticiens : l’action quotidienne de l’administration aux frontières qui, sous couvert de « demande d’asile manifestement infondée », si elle leur laisse en général la vie, renvoie les demandeurs d’asile se faire occire dans leur pays d’origine, en l’absence de tout recours suspensif, nous vaudra tôt ou tard d’être à nouveau cloué au pilori européen.
Il était néanmoins opportun que ce que beaucoup chez nous crient depuis longtemps dans le désert, nous soit ainsi rappelé à l’occasion d’un examen extérieur minutieux de nos textes et pratiques.
Ainsi se trouve condamnée la position de l’OFPRA et de la Commission des recours (CRR), validée par le Conseil d’État, lisant dans la Convention de Genève une mystérieuse exigence de persécutions étatiques n’y figurant nulle part ; et qui, poussée à l’absurde, aura permis de rejeter sans même l’examiner toute demande de ressortissant d’un pays où l’on considère que n’existe pas un État centralisé au sens jacobin du terme. Voici la farce des jurisprudences somaliennes ou éthiopiennes, chef d’œuvre du génie juridico-administratif et de l’humour français, auxquels les hauts magistrats d’outre-manche se montrent si cruellement hermétiques.
Comme des milliers d’autres Algériens, en quête d’un improbable asile territorial que le ministère de l’intérieur ne semble d’ailleurs plus accorder, M. AITSEGEUR exposait avoir des craintes non de l’État mais de groupes armés incontrôlés, en l’espèce le GIA. Sans doute bien renseigné, il préféra tenter sa chance en Grande-Bretagne, mais après être passé sur le territoire français.
Un juge resté de marbre
D’autres décisions britanniques de même nature, pour des demandeurs d’asile d’origines diverses, étaient déjà intervenues. Mais celles concernant M. AITSEGEUR sont d’une particulière importance car il s’agit des premières, à ce niveau, postérieures à l’entrée en vigueur de l’asile territorial en France et des accords de Dublin qui voudraient un renvoi quasi automatique du demandeur d’asile vers le premier pays européen traversé ou celui qui lui a délivré un visa.
Le message est clair : l’harmonisation de la politique d’immigration et d’asile dont on parle tant ne saurait se faire, en tout cas du point de vue (judiciaire) britannique, par le bas, en s’alignant sur les législations et les pratiques les plus restrictives.
L’alinéa 4 du Préambule de la Constitution, qui est tout de même en vigueur (et directement applicable selon le Conseil constitutionnel) depuis plus de quarante ans, a été soudain découvert par le législateur (loi du 11/05/98) puis par la CRR dans deux récentes décisions, dont une des sections réunies (25/06/99, ZITOUNI) concernant précisément un Algérien à la tête d’un groupe d’autodéfense et menacé par les islamistes dont il condamnait les buts et les méthodes. La CRR retiendra qu’il peut bénéficier de l’asile constitutionnel indépendamment de l’auteur des persécutions.
Elle n’a sans doute pas réalisé que sa position sur l’asile « Genève » devenait plus absurde encore. De fait, l’exigence de persécutions étatiques ne figure pas dans l’alinéa 4 du Préambule ; elle n’y figure pas plus, mais pas moins, que dans la Convention de Genève…
Cela devra laisser de marbre le juge anglais. La Court of Appeal a voulu expressément préciser que seule la question de l’application de la Convention de Genève l’intéressait, et qu’elle n’avait pas à tenir compte des éventuels substituts nationaux tel l’asile territorial français. Or, la notion de « combattant de la liberté » constitutionnel, actif, est, à cet égard, plus restrictive que celle du « persécuté Genève », simple victime.
Le dernier considérant de la Court of Appeal est lui aussi précieux. Elle retient que l’interdiction de renvoi vers son pays d’origine du demandeur d’asile (art. 33 Conv. de Genève) pourrait encore être violé s’il se retrouvait dans une situation de précarité telle – absence de droit au travail, de droits sociaux, de ressources – qu’elle ne lui laisserait d’autre choix qu’un retour. Suivez mon regard…
La France n’a pas l’apanage des interventions de l’exécutif et du législateur pour faire échec à la garantie, par le juge, des droits fondamentaux, spécialement des étrangers. Le secrétaire d’État à l’intérieur soutient, suite à cette affaire, un projet de loi visant à ce que soient considérés sûrs, sans appréciation judiciaire possible, les pays de l’Union européenne…
Ceux qui seront vexés de voir nos amis britanniques donner des leçons pourront toujours leur rappeler que, alors que la durée de rétention a toujours été strictement limitée en France, notamment par le Conseil constitutionnel, la Grande-Bretagne est le seul pays européen où le demandeur d’asile peut être privé de liberté jusqu’à ce qu’il ait été statué sur son cas… Reste qu’à tout moment un juge peut être saisi et statuer sur la liberté en la forme d’un habeas corpus ; et, à tout le moins, l’étranger sera-t-il toujours présent, et vivant, lorsqu’interviendra la décision sur sa demande d’asile.
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