Article extrait du Plein droit n° 59-60, mars 2004
« Acharnements législatifs »
Naïma et Rachid au pays des maires
Christophe Daadouch
Juriste, formateur auprès des collectivités locales.
Rachid M. est ressortissant marocain en situation irrégulière et habite la commune de Meuilly s/Seine depuis plusieurs années. Il rencontre un jour Naïma Z. également marocaine, titulaire d’une carte de résident et demeurant aussi dans la commune de Meuilly.
Ils souhaitent se marier et entreprennent leurs premières démarches en mairie. Rachid n’y précise pas qu’il est en situation irrégulière et présente simplement l’ensemble des pièces justificatives exigibles aux termes de l’instruction générale relative à l’état civil.
Par malchance, son acte de naissance paraît douteux à l’agent d’état civil qui instruit le dossier. L’orthographe de son nom n’est pas tout à fait la même que sur son passeport. Conformément à l’article 47 du code civil modifié par la loi Sarkozy, si « d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité », l’agent sursoit à la demande. Ce dernier invite alors gentiment l’intéressé à saisir le procureur de la République de Nantes pour qu’il soit procédé à la vérification de l’authenticité de l’acte. Le doute étant contagieux, le procureur fait procéder à des investigations auprès des autorités consulaires compétentes.
Après six mois d’enquête, il informe la mairie de Meuilly et Rachid qu’au vu des résultats des investigations menées, il doit saisir le tribunal de grande instance de Nantes pour qu’il statue sur la validité de l’acte présenté. Plusieurs mois plus tard, celui-ci valide l’acte de naissance. Rachid renaissant, il réitère aussitôt sa volonté de se marier auprès du service d’état civil.
Devant tant d’insistance et de pugnacité, l’agent d’état civil flaire une fraude au mariage. Conformément à la loi Sarkozy, il le convoque pour un entretien, d’abord avec Naïma, puis il les entend individuellement. Il y sera question de leur volonté de se marier, de l’ancienneté de leur union, de leur projet commun. Au détour, on demandera à Rachid s’il a un titre de séjour pour avoir de tels projets avec Naïma. A celle-ci on indiquera que Rachid étant en situation irrégulière, il encourt un éloignement et une sanction pénale. Quant à elle, conformément au nouvel article 21 quater ajouté par la loi du 26 novembre 2003, on lui précise que « le fait de contracter un mariage aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
L’agent d’état civil, ayant maintenant la conviction que Rachid se marie pour régulariser sa situation, envisage de saisir le procureur en application de l’article 175-2 du code civil (
voir note n° 1
). Dommage que ce sacré foutu Conseil constitutionnel ait retiré à l’absence de titre de séjour la qualité d’indice d’un mariage entaché d’un défaut de consentement (décision du 20 novembre 2003, n° 2003-484) (
voir note n° 2
) !
Voyons donc ailleurs… ça y est, lors de l’entretien, Rachid n’était pas fichu de connaître la date de naissance de sa future. Et, en plus, on a pu repérer une « attitude distante » entre les deux futurs époux (
voir note n° 3
) au moment où on a évoqué la peine de cinq ans de prison !
Le procureur étant saisi et ayant besoin de temps pour mener son enquête, il utilise les deux mois auxquels il a désormais droit (article 175-2 modifié) (
voir note n° 1
) pour faire connaître aux intéressés son verdict. Après une nouvelle audition, cette fois-ci diligentée par le procureur, les intéressés sont autorisés à se marier et le maire en est aussitôt avisé.
Mais voilà que Rachid et Naïma se sont mis en tête de faire venir en France la mère de Naïma pour qu’elle assiste à la cérémonie de mariage. Bien sûr, ils savent qu’ils doivent demander une attestation d’accueil en mairie. Certes, ils veulent bien prendre le risque de payer désormais quinze euros de frais sans aucune garantie d’obtenir l’attestation en question. Ils sont même d’accord pour contracter une assurance privée couvrant les frais de santé éventuels de leur invité, conformément à l’article 5 modifié de l’ordonnance (
Ne sachant trop comment apprécier ce qu’est un « logement normal » en application de la loi, ces derniers en ont profité, à la demande de l’adjoint aux affaires sociales, pour vérifier que le train de vie et l’intérieur de Naïma correspondaient à ses déclarations lors de sa demande d’aide sociale. Ils se sont aussi demandé qui était cet autre monsieur qui semblait vivre avec le couple, et se sont empressés de le signaler au bailleur, l’office municipal HLM.
Le maire ayant refusé l’attestation, Rachid, qui en a vraiment assez, a décidé d’aller au tribunal. Oui, mais voilà, la loi Sarkozy prévoit qu’il doit obligatoirement saisir le préfet avant tout recours contentieux. Pourvu que ce dernier ne se souvienne pas de l’invitation à quitter le territoire de l’année dernière !
Bref, le mariage se fit sans la mère de Naïma et ils eurent… beaucoup d’ennuis.
Il faut dire que Rachid, qui entend régulariser sa situation, s’est entêté à vouloir respecter la loi et a décidé de partir au Maroc pour revenir par le biais du regroupement familial. Et, qui viendra visiter l’appartement de Naïma dans le cadre de la procédure du regroupement familial modifiée par la loi de novembre 2003 ?… Les services municipaux ! D’ailleurs, bientôt Naïma leur laissera les clés...
Après des mois d’attente et une contre-visite par l’OMI, Rachid arrive en France. Oh, certes, il n’a plus droit à la carte de dix ans comme avant la réforme Sarkozy (
voir note n° 5
) mais, après tout, la carte d’un an fera l’affaire, au moins provisoirement, pense-t-il.
Deux ans plus tard, Rachid se dit qu’il est temps, conformément au nouvel article 14 de l’ordonnance de 1945 (
voir note n° 6
), de demander une carte de résident.
Oui, mais voilà, le préfet a un doute sur l’« intégration républicaine » de Rachid (nouvel article 14 de l’ordonnance) : sa femme serait voilée et Rachid ne parlerait pas bien le français. Pour parfaire son opinion, et conformément à l’article 6 modifié (
voir note n° 7
), le préfet décide de saisir celui qui connaît le mieux Rachid, à part sa mère, … le maire.
Trop content d’avoir à délivrer un tel certificat d’aptitude et consciencieux dans sa mission, ce dernier ne veut certes pas se fonder sur ses nombreux souvenirs de Rachid : il décide d’interroger ses services. Ou au moins deux d’entre eux : sa police municipale (« est-il connu de vous ? ») et son CCAS (« a-t-il un dossier chez nous ? »). Et quand même de vérifier, pour la forme, le fichier informatique des hébergeants. Pas de chance pour Rachid, tous les voyants rouges s’allumant, c’est bien sa carte de résident qui s’échappe.
Alors, que faire face à un tel harcèlement ? Déménager ? Sauf que depuis la suppression du contingent préfectoral de logements en décembre 2003 (
voir note n° 8
), le maire est l’unique décideur du logement social. Et ceux des communes voisines ne veulent pas de Rachid et de Naïma puisqu’ils relèvent de la commune de Meuilly.
Si, au moins, Rachid et Naïma pouvaient voter, ils lui feraient savoir, au maire de Meuilly, ce qu’ils pensent de lui… ;
Ce que disent les textes
1/
Art. 175-2 modifié du code civil
2/
Décision du Conseil constitutionnel
3/
4/
Art 5, ord. 45
5/
Art. 29, ord. 45
6/ La carte de résident peut également être accordée :
Art. 14, ord. 45
7/
Art. 6, ord. 45
8/
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