Article extrait du Plein droit n° 62, octobre 2004
« Expulser »

Le Maroc et l’Espagne contre les pateras

Claudia Cortes-Diaz

Juriste, permanente au Gisti.

Après la deuxième opération espagnole de régularisation des étrangers en 1991, qui a principalement concerné les Marocains, et les premières arrivées de pateras sur la péninsule ibérique, amenant non seulement des Marocains mais également des ressortissants d’Afrique subsaharienne, l’Espagne et le Maroc ont signé, le 13 février 1992, un accord bilatéral de réadmission.

Cet accord prévoit, à l’article 1er, que les autorités de l’Etat sollicité (le Maroc) réadmettront les ressortissants des pays tiers qui auraient transité par leur territoire afin d’atteindre l’Etat requérant (l’Espagne). Cette disposition, assez nouvelle pour l’époque, s’est révélée tellement difficile à appliquer, tout au moins pour ce qui concerne les Subsahariens que, quelques jours seulement après la signature de l’accord, le Maroc a manifesté son intention de le renégocier, ce que l’Espagne a catégoriquement refusé. En effet, alors que la réadmission des Marocains arrivés de manière irrégulière sur le territoire espagnol ne posait pas de problème majeur, il n’en allait pas de même pour les étrangers provenant, entre autres, du Nigéria, de Sierra-Leone, du Liberia, de Côte d’Ivoire, du Mali, de la République démocratique du Congo. Pour ceux-ci, la grande difficulté résidait dans la preuve de leur passage par le territoire marocain avant leur arrivée en Espagne (obstacle moins important à Ceuta ou Melilla en raison de leur situation géographique). C’est ainsi que, selon certaines sources, pour le seul premier semestre 2003, une unique demande de réadmission de ressortissants subsahariens sur les 271 formulées par l’Espagne a été acceptée par le Maroc.

Face à cette situation, les deux Etats ont décidé, en décembre 2002, de créer un groupe de travail sur les questions d’immigration. Ce groupe a été chargé de répertorier les indices permettant de déterminer quand un étranger provient du territoire marocain. Il a été ainsi décidé que le seul fait que le conducteur de la « patera » sur laquelle arrivent les étrangers soit Marocain suffisait pour considérer qu’ils arrivaient en provenance du Maroc et que, par conséquent, la demande de réadmission devait être acceptée.

Le 27 février 2004, pour la première fois, le Maroc a donc procédé à la réadmission de trente ressortissants de plusieurs pays africains anglophones et francophones arrivés sur l’île de Fuerteventura, aux îles Canaries. Selon la presse espagnole, six cents autres Subsahariens attendaient d’y être renvoyés.

Cette évolution dans l’attitude des autorités marocaines prêtes à assumer désormais leurs « obligations » [1] concerne également les mineurs isolés. Un « mémorandum » signé le 23 décembre 2003, permet en effet à l’Espagne de procéder au renvoi des mineurs isolés marocains, après qu’ils aient été identifiés et que leur famille ait été localisée. A défaut, les enfants seront rendus aux autorités marocaines qui seront chargées de retrouver leurs familles. Sur ce point, de nombreuses ONG espagnoles émettent des doutes quant à la capacité et à la bonne volonté des services marocains. Le mémorandum précise par ailleurs que ce rapatriement doit se faire dans le respect des conventions internationales et, notamment, de la convention relative aux droits de l’enfant. Or, le renvoi des mineurs est déjà contraire au droit espagnol de protection de l’enfance qui prévoit que tout enfant en danger – ce qui est le cas des mineurs isolés marocains – doit être accueilli et protégé.

La mise à exécution de ce « mémorandum », ne s’est pas fait attendre. Dès le mois de février, quarante mineurs avaient déjà été renvoyés et, selon la presse des deux pays concernés, une « liste d’attente » d’au moins trois cents noms serait déjà constituée. Dans un rapport rendu en 2002, l’association Human Rights Watch avait déjà dénoncé le renvoi de ces mineurs isolés sans aucune formalité depuis les enclaves de Ceuta et Melilla.




Notes

[1La position espagnole a également évolué sur certains dossiers « épineux » comme la délimitation des espaces maritimes et la coopération financière de l’Espagne avec le Maroc.


Article extrait du n°62

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:58
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