Article extrait du Plein droit n° 63, décembre 2004
« Petits arrangements avec le droit »
Quand le ministre absout le préfet
Jean-Pierre Alaux
Permanent au Gisti.
L’avalanche d’illégalités commence dès sa première démarche administrative. En mai 2000, quand il décide de solliciter le statut de réfugié, il ne parvient pas, malgré de multiples tentatives, à entrer dans le centre de réception des étrangers (CRE, 218 rue d’Aubervilliers) de la préfecture de police (PP) de Paris, où il aurait dû recevoir immédiatement une autorisation de séjour lui permettant de demander l’asile. Quand il finit par pénétrer dans les locaux, on tente de lui imposer l’asile territorial au motif qu’il est algérien. Ces difficultés incitent deux membres du Gisti à se rendre sur place avec lui. La surprise est de taille : ils découvrent tant de tricheries que le Gisti rend public, en juillet, un rapport intitulé « Au CRE, une procédure cavalière, maladroite et illégale » [1] qui laissera de marbre aussi bien le ministre de l’intérieur que le président de la Commission des recours des réfugiés (CRR) et le directeur de l’Ofpra. Pareille indifférence explique que la situation au CRE soit à peu de choses près la même quatre années plus tard [2]. Il faudra user de la menace d’un contentieux pour que la PP finisse par délivrer à M.M... une autorisation de séjour.
Ce CRE, si dilettante à l’égard de la réglementation, n’hésite pas à en rajouter dès lors qu’un zeste d’intégrisme juridique dessert les étrangers. Quand M.M... y revient en août muni de l’accusé postal de réception de sa demande d’asile à l’Ofpra, on exige qu’il produise le certificat de dépôt du même Ofpra notifiant la même réception, laquelle a l’avantage pour le CRE d’être beaucoup plus tardif. Résultat immédiat : point de renouvellement de récépissé de M.M..., qu’il n’obtiendra qu’en septembre, et quelques semaines absurdes sans aucun papier.
Passons sur le rejet de l’Ofpra (février 2001). La CRR le confirme en mai tout en indiquant qu’elle ne doute pas de la réalité des persécutions invoquées. Mais – hélas – elles lui semblent hors du champ de la Convention de Genève !
Entre-temps, M.M... a changé de domicile et de préfecture. Il réside désormais en Seine-Saint-Denis. La préfecture de Bobigny lui notifie en juin un refus de séjour contre lequel il forme rapidement un recours en annulation devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Le 1er juillet 2001, M.M... dépose une demande argumentée d’asile territorial dans la boîte aux lettres « demandes d’asile » – une affichette la dénomme ainsi près de la façade – de ladite préfecture. Quatre mois après, M.M... informe le Gisti qu’il n’a aucune nouvelle de sa requête. Interrogée le 9 novembre, la préfecture répond quatre jours plus tard qu’elle trie les formulaires déposés dans sa boîte « demandes d’asile » et n’étudie que les demandes de statut de réfugié. Quant aux autres...
Le 28 novembre 2001, M.M... se rend donc sur place. Mais c’est un mercredi et le service est fermé. L’assistante sociale de la communauté Emmaüs dans laquelle il est accueilli témoigne de trois autres vaines tentatives à la fin de 2001 et au début de 2002 avant que M.M... ne se décourage.
Le 9 avril 2002, un journaliste de La Croix et deux membres du Gisti accompagnent M.M... à la préfecture de Bobigny pour sa sixième tentative de dépôt d’une demande d’asile territorial. Elle ne sera pas plus fructueuse que les précédentes. Une fonctionnaire exige, en effet, passeport et visa pour recevoir la requête, en violation d’une réglementation internationale d’exception au profit des demandeurs d’asile qui sont dispensés de toute autorisation d’entrée de la part du pays dans lequel ils souhaitent obtenir une protection. On remet à M.M... un minuscule papillon de 3cm x3 sans aucune trace d’origine.
Le 12 avril, M.M... forme, devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, une requête en référé-liberté contre la préfecture de Seine-Saint-Denis. Le Gisti intervient volontairement à ses côtés. Il est ordonné, le 16 avril, à la préfecture d’enregistrer la demande d’asile de M.M... et de lui verser 1 500 € en dédommagement de frais de procédure.
Fort de cette décision, M.M... retourne le 23 avril à la préfecture, laquelle réitère ses exigences illégales. Le 6 mai, M.M... demande au tribunal administratif de Cergy de faire exécuter sa propre décision du 16 avril. La magistrate attend le 21 mai pour audiencer l’affaire. Elle surseoit à statuer parce que la préfecture vient opportunément de convoquer M.M... pour le lendemain. Le 22 mai, la préfecture enregistre enfin la demande. En représailles, elle décide aussi de procéder, sur le champ, à l’audition de M.M... qui doit donc immédiatement raconter ses persécutions en Algérie quand les demandeurs « ordinaires » d’asile territorial disposent en général d’un délai de l’ordre de six mois pour s’y préparer. A l’issue de l’entretien, on remet à M.M... une « attestation de dépôt non renouvelable » d’une durée de trois mois, quand la réglementation prévoit la délivrance d’un « récépissé constatant une demande d’asile » qui est renouvelable [3]. La préfecture avertit enfin M.M... qu’elle ne lui versera pas les 1 500 € exigés par le tribunal administratif aux prétextes qu’il ne dispose pas d’un compte en banque et que elle – la préfecture – se refuse à virer la somme sur le compte CARPA (caisse de règlements pécuniaires des avocats) de son avocat.
Le jour même, M.M... retourne pour exécution de la décision du 16 avril devant le tribunal administratif. Mais, au lieu de juger, la magistrate choisit de négocier avec la préfecture qui fait mine de céder en s’engageant à recevoir M.M... le 28 mai de façon à lui remettre le récépissé prévu par les textes.
Mais, le 28 mai, au lieu de la délivrance d’un récépissé, la préfecture notifie à M.M... un rejet surprise de sa demande d’asile territorial par le ministre de l’intérieur, accompagné d’un refus de séjour du préfet. Pour bien marquer son approbation des entourloupes de son préfet, le ministre a pris sa décision en cinq jours alors qu’il lui fallait d’ordinaire environ un an.
C’est dans ces conditions que, le 24 juin, M.M... reçoit notification d’une ordonnance de non-lieu de la part du tribunal administratif de Cergy à la suite de la demande d’exécution du 6 mai : après la décision exceptionnellement prompte du ministre de l’intérieur, il n’y avait, en effet, plus de raison de délivrer un récépissé, la procédure ayant été clôturée avec une célérité qui, pour être légale, n’en est pas moins spécieuse.
Ce n’est que le 2 décembre 2002 que la préfecture a payé les 1 500 € sur un compte CARPA. Mais il aura fallu, pour l’obtenir, divers courriers et l’intervention du bâtonnier... ;
Notes
[1] Voir Plein droit n° 46, septembre 2000, article p. 32 et sur le site du Gisti www.gisti.org/ doc/actions/2000/centre/communique.html
[2] Lire « A la préfecture de police de Paris, violences et illégalités pour empêcher des demandes d’asile » http://pajol.eu.org/ rubrique138.html
[3] Art. 4 du décret du 30 juin 1946 avant sa modification d’août 2004.
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