Article extrait du Plein droit n° 27, juin 1995
« Dénoncer et expulser »
Les pièges de la préfecture
La loi Pasqua modifiant l’ordonnance de 1945 est claire, comme les instructions qui l’ont accompagnée : on ne régularise plus. Sans que cela soit dit expressément, cette conséquence découle de l’obligation qui est faite à l’étranger d’être en situation régulière lorsqu’il sollicite un titre de séjour, quel qu’il soit, même s’il s’agit d’une carte de résident prétendument délivrée « de plein droit ».
Situation irrégulière même de quelques jours, même due à une mauvaise information – plus ou moins délibérée – d’un employé (« Revenez dans un mois avec les papiers qui manquent… ») non accompagnée d’un récépissé de séjour, etc., et le couperet tombe. La sanction, qu’elle soit immédiate ou différée, vise toujours à obtenir le même résultat : rétention et reconduite à la frontière…
Cette sanction peut prendre plusieurs aspects. Elle est parfois directe et brutale : c’est l’arrestation de l’intéressé à son domicile. Dans d’autres cas, c’est la douche froide : l’étranger qui n’en peut plus de vivre dans la clandestinité, se décide à aller voir un avocat, une assistante sociale ou une association qui font alors une demande de régularisation. Comme par hasard, dans les quinze jours qui suivent, l’intéressé reçoit un arrêté de reconduite à la frontière. Dernière forme enfin de la sanction, la plus subtile et la plus perverse : la convocation-piège. L’intéressé est invité, par écrit, à se présenter muni de toute une série de documents, sans oublier photos, timbre et passeport. L’étranger, tout heureux, son dossier à la main, fort du soutien de tous, se présentera à la préfecture aux jour et heure indiqués sur sa convocation. Il ne ressortira pas.
M. X., algérien, est électronicien. En France depuis des années, son certificat de résidence est périmé : ayant eu des difficultés professionnelles (chômage), puis familiales, sans travail, sans domicile, il perd ses droits au séjour et mène une vie errante. Recueilli par une association caritative, il reprend goût à la vie : il est très vite apprécié par les responsables pour son sérieux, ses qualités de travail. Au bout de quelques mois, les travailleurs sociaux qui le suivent écrivent à la préfecture, un solide dossier à l’appui, et demandent sa régularisation. M. X. reçoit rapidement une convocation : on lui demande photos, passeport, certificats de travail, d’hébergement, etc., et on l’invite à se présenter telle date à telle heure. Confiant et encouragé par tous, il se présente à la préfecture. Il n’en ressortira pas. L’arrêté de reconduite ne sera pas annulé. Refusant d’embarquer pour l’Algérie où il n’a plus de famille, M. X. est libéré par le juge judiciaire… avec un délai de trois mois pour régulariser sa situation. Il semblait en effet évident au juge, au vu du dossier et du soutien unanime de l’entourage de M. X., que la préfecture ne pouvait que le régulariser.
M. Z est tamoul. Arrivé en 1989, il dépose une demande d’asile auprès de l’OFPRA. Il est rapidement pris en charge par un médecin du COMEDE [1], pour graves troubles psychologiques dus à des traumatismes. Il est parallèlement suivi par une assistante sociale qui l’aide de manière très efficace. Il travaille régulièrement jusqu’au rejet définitif de sa demande d’asile. Il est alors trop tard pour bénéficier de la régularisation ouverte aux demandeurs d’asile en juillet 1991. L’assistante sociale, persuadée que le dossier médical et la durée du séjour de M. Z. sont suffisamment probants pour qu’on le régularise, écrit à la préfecture de police, et confie copie de la lettre à M. Z. Peu de temps après, celui-ci est invité à se présenter à la préfecture muni de toute une liste de documents. Il s’y rend mais n’en ressortira pas.
M. C. est un jeune cubain. Entré en France en juillet 1974, il sollicite la délivrance d’une carte de séjour étudiant. Invité par une fondation littéraire pour une étude sur un poète français qui a vécu à Cuba, il ne justifie d’aucune inscription universitaire.
Le titre de séjour sollicité lui est refusé.
M. C. transmet au préfet tous les justificatifs et attestations nécessaires à une nouvelle instruction de son dossier. Le préfet adresse une convocation à M. C. au 8e bureau pour le vendredi. M. C. est très heureux de cette convocation. Il est certain qu’un titre de séjour lui sera remis. Par sécurité, il se rend jeudi soir chez son avocat. Ce dernier est formel : « cette convocation n’a d’autre but que celui de s’assurer de votre départ forcé vers Cuba ».
Mais M. C. est très optimiste et il se rend à la préfecture comme prévu le vendredi à 9 heures 30. À 17 heures, appel téléphonique de M. C. au cabinet de l’avocat : « Je ne comprends pas, j’ai été arrêté, je suis au dépôt, métro Cité ». C’est alors pour l’avocat, la course habituelle : samedi, juge délégué, lundi, tribunal administratif.
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