Article extrait du Plein droit n° 40, décembre 1998
« Les ratés de la libre circulation »

Le statut des immigrés de longue durée dans l’Union européenne : Vers un statut de résident permanent ?

Claudia Cortes-Diaz et Claire Saas

Doctorante à l’Université Paris X Nanterre ; doctorante à l’Université Paris I
Depuis de nombreuses années est débattue la question de la reconnaissance d’un statut de résident permanent aux ressortissants d’Etats tiers installés durablement sur le territoire européen. Elément indispensable d’une véritable politique d’intégration, cette question est loin de recueillir le consensus nécessaire à la définition d’un statut juridique stable basé sur égalité de traitement et liberté de circulation.

Depuis le milieu des années soixante-dix, la plupart des pays européens ont mis en œuvre une nouvelle politique d’immigration fondée sur trois axes principaux : la maîtrise des flux migratoires, la lutte contre l’immigration clandestine et la politique d’intégration des ressortissants d’États tiers séjournant légalement sur leur territoire. La maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l’immigration clandestine ont fait l’objet de nombreuses dispositions. Il suffit de regarder, en France, les différentes modifications législatives apportées, depuis 1980, à l’ordonnance du 2 novembre 1945 pour se rendre compte qu’ici, comme dans tous les autres États membres de l’Union européenne, la tendance est de rendre de plus en plus restrictives les législations sur les étrangers. La politique d’intégration, quant à elle, est restée quasiment lettre morte. Et ce, malgré les diverses voix qui se sont élevées (et qui s’élèvent encore) pour demander un renforcement des droits des ressortissants d’États tiers considérés comme établis de longue date.

Si les États ne se sont guère penchés sur la politique d’intégration, la Commission des Communautés européennes, elle, s’est intéressée à cette question. C’est ainsi qu’en 1991, elle a présenté une communication sur la « Politique d’immigration et d’intégration sociale des immigrés dans la Communauté européenne »(1), dans laquelle elle formulait toute une série de mesures à adopter afin de mieux intégrer les populations venant des pays tiers. Au nombre de ces propositions figurait la reconnaissance d’un statut de résident permanent, qui permettrait de donner une sécurité à la situation des ressortissants d’États tiers déjà présents sur le territoire européen depuis un certain temps.

La Commission proposait également d’accorder à ces ressortissants l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne les conditions de travail, la rémunération, la sécurité sociale, le logement, l’éducation. Enfin, il était question de leur reconnaître un droit à la libre circulation à l’intérieur du territoire des États membres sans soumettre ce droit à l’obtention préalable d’un visa. Il ne restait donc qu’à déterminer la nature et l’étendue de ces droits.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, la politique d’immigration et la politique à l’égard des ressortissants des pays tiers sont considérées par les États membres comme des « questions d’intérêt commun », c’est-à-dire qui seront désormais traitées conjointement par tous les États au niveau institutionnel. Dans cette nouvelle perspective, la Commission européenne a donc présenté, le 23 février 1994, au Conseil et au Parlement européen une communication sur les politiques d’immigration et d’asile(2), dans laquelle la Commission reprend les propositions qu’elle avait faites en 1991.

Clé de voûte de l’intégration

Elle y insiste en effet sur l’importance et la nécessité de donner aux ressortissants de pays tiers de longue durée un statut de résident permanent, ce qui est la clé de voûte d’une politique d’intégration. Elle propose également d’accorder un statut permanent et indépendant aux membres de famille des immigrés légaux, tels que les enfants lorsqu’ils dépassent l’âge de la scolarité ou le conjoint en cas de divorce, de séparation ou de veuvage. Enfin, pour la première fois, la Commission envisage d’accorder à ces ressortissants la possibilité de se déplacer dans l’Union européenne afin d’exercer une activité économique.

Ces propositions ont été étudiées par le Conseil de l’Union européenne, lequel, en vertu du Traité de Maastricht, possède le « dernier mot ».

C’est ainsi que le 4 mars 1996, il a adopté une résolution relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée sur le territoire des États membres. Il s’agit de la seule décision prise dans ce domaine. Cette résolution exclut de son champ d’application toutes les personnes qui bénéficient d’une manière quelconque du droit à la libre circulation. Elle définit ensuite les ressortissants de pays tiers de longue durée comme « ceux qui apportent la preuve qu’ils ont résidé légalement et sans interruption sur le territoire de l’État membre concerné pendant une période déterminée par la législation de celui-ci et, en tout cas, au bout d’une période de dix ans de résidence légale ».

Le Conseil invite les États à accorder à ces ressortissants, selon leur législation interne, un titre de séjour d’une durée minimale de dix ans qui pourrait être prorogé pour une durée égale, voire remplacé par une autorisation de séjour illimitée.

La délivrance de ce titre est toutefois soumise à certaines conditions. En effet, la résolution prévoit que le niveau et la stabilité des ressources dont l’intéressé devra justifier, « en particulier son adhésion à un régime d’assurance maladie, ainsi que les conditions d’exercice d’une activité professionnelle, devraient pouvoir figurer parmi les facteurs déterminants pour l’octroi de cette autorisation ». Bien évidemment, l’intéressé ne doit pas représenter une menace pour l’ordre public.

Enfin, il est prévu que ce titre de séjour pourra être annulé ou non renouvelé si la personne concernée a fait l’objet d’une mesure d’éloignement, si elle quitte définitivement

le territoire de l’État d’accueil ou si elle s’absente pour une durée supérieure à six mois, ou s’il s’avère que l’autorisation a été obtenue de manière frauduleuse.

Cette résolution est capitale. C’est en effet la première fois que les États manifestent, à travers le Conseil, leur intention de donner une stabilité au statut des ressortissants d’États tiers de longue durée. Cette initiative est donc tout à fait significative. Dans la pratique, toutefois, la reconnaissance de ce statut est soumise à des conditions telles qu’elle risque d’être limitée.

Que faut-il entendre, par exemple, par « conditions d’exercice d’une activité professionnelle » dont il faut que l’intéressé justifie ? Un ressortissant d’un pays tiers établi de longue date mais qui n’est titulaire que de contrats à durée déterminée pourra-t-il bénéficier de ce statut ? De même, la demande d’une personne qui est au chômage sera-t-elle rejetée ? De plus, le Conseil ne dit mot de la possibilité d’accorder à ces ressortissants le droit de se déplacer à l’intérieur du territoire européen, non seulement pour un séjour de courte durée, mais également pour y exercer une activité professionnelle, comme la Commission l’avait suggéré dans sa communication de 1994.

Une vision restrictive

Fin 1996, le Conseil de l’Union européenne a rappelé que « l’examen de la situation juridique des ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres » était une des priorités en matière d’immigration. La Commission a donc présenté, le 30 juillet 1997, un projet de convention relative aux règles d’admission des ressortissants d’États tiers dans les États membres, dont un chapitre est consacré aux ressortissants de pays tiers durablement installés. La Commission y reprend les grandes orientations données par le Conseil dans sa résolution du 4 mars 1996.

La définition qu’elle donne des ressortissants de pays tiers durablement installés et des droits qui peuvent leur être reconnus dans l’État de résidence ainsi que dans les autres États membres est cette fois assez restrictive. La Commission estime, en effet, que doit être reconnu comme ressortissant de pays tiers établi de longue date celui qui réside de façon régulière et légale dans un État membre depuis au moins cinq ans à condition qu’il possède une autorisation permettant une durée totale du séjour d’au moins dix ans depuis la première admission.

Par exemple, un ressortissant colombien entré en France en 1990 et titulaire, depuis cette date, d’un titre de séjour temporaire pourra, en 1995, être considéré comme « durablement installé », s’il est muni d’une carte de résident valable au moins jusqu’en 2000. Par contre, s’il est encore en possession d’une carte temporaire, il devra attendre 1999 pour se voir reconnaître ce statut. Celui-ci sera matérialisé par un titre de séjour correspondant à la durée maximale de séjour dans l’État de résidence mais ne pourra être inférieur à dix ans.

Deux sortes de droits sont reconnus aux bénéficiaires de ce statut : dans l’État de résidence, ils se verront octroyer les mêmes garanties que celles accordées aux ressortissants communautaires en matière de séjour, d’éloignement et de travail. En revanche, dans les autres États membres, les droits reconnus seront très limités : il s’agit du droit de postuler à un emploi (mais à condition que celui-ci ne puisse être pourvu ni par un ressortissant communautaire, ni par un ressortissant national, ni par un ressortissant d’État tiers légalement ou durablement installé) et du droit de poursuivre des études.

Dans les deux cas, l’intéressé se verra délivrer une autorisation de séjour temporaire. Au bout de deux ans de séjour, il pourra être reconnu comme ressortissant « de longue durée » dans le nouvel État de résidence. Il aura donc droit, à ce moment-là, à une autorisation de séjour valable pendant au moins dix ans. Il ne sera cependant plus reconnu comme résident établi de longue date dans le premier État de résidence.

Le projet de convention prévoit également que ces ressortissants ne pourront, au risque de perdre le statut, s’absenter pour une période supérieure à vingt-six semaines, délai qui pourrait être dépassé s’il existe des motifs sérieux ou exceptionnels.

Un avenir incertain

Face à cette vision assez restrictive de la Commission, certaines organisations non gouvernementales ont réagi en faisant des propositions alternatives. Parmi elles, le groupe « Ligne de départ », sans proposer de définition précise des ressortissants de pays tiers

durablement installés, demande néanmoins qu’un droit de séjour permanent soit reconnu aux ressortissants de pays tiers exerçant une activité salariée ou indépendante depuis au moins trois ans, ainsi qu’aux membres de leur famille. Ce statut serait accompagné des mêmes droits que ceux reconnus aux ressortissants communautaires en matière de regroupement familial, de libre circulation et de libre accès au marché de l’emploi de chacun des États membres. Par contre, ces droits ne seraient plus reconnus si l’intéressé s’absente du territoire européen pour une durée supérieure à trois ans.

Cette proposition s’inscrit davantage dans une réelle perspective d’intégration des ressortissants de pays tiers, en leur offrant une certaine stabilité juridique tout en tenant compte des différentes susceptibilités des États membres.

L’avenir du statut des ressortissants de pays tiers durablement installés est incertain. En effet, la signature du traité d’Amsterdam, qui prévoit la communautarisation des politiques d’immigration et d’asile reconnaît à la Commission la possibilité de présenter une proposition de directive. D’ailleurs, celle-ci a envisagé cette possibilité dans l’exposé des motifs du projet de convention. L’intention de proposer un texte directement applicable dans chacun des États membres est certes louable, à condition que la Commission révise au préalable sa copie.

En premier lieu, la définition des ressortissants de pays tiers durablement installés doit être élargie. Quel intérêt y a-t-il à reconnaître un tel statut à des personnes qui sont titulaires d’une carte de dix ans, et qui donc, a priori, bénéficient déjà d’une stabilité juridique ? De même, pourquoi soumettre les titulaires d’une carte temporaire à une durée de séjour d’au moins neuf ans, alors qu’ils sont, eux, dans une situation précaire ?

En deuxième lieu, la Commission a déjà franchi un petit pas en proposant d’accorder aux ressortissants de pays tiers durablement installés la liberté de circulation afin d’exercer une activité salariée. Mais elle est restée silencieuse sur la possibilité d’exercer une activité économique autre que salariée, hypothèse qui concerne un grand nombre de ces ressortissants.

Enfin, il semble paradoxal de prôner une sécurité du statut des ressortissants de pays tiers tout en prévoyant que ce statut se perdra en cas d’absence du territoire de l’État de résidence pour une durée supérieure à vingt-six semaines. Rappelons qu’en France, la législation en vigueur prévoit que le statut de résident (valable dix ans) peut se perdre en cas d’absence du territoire pendant une période supérieure à trois ans !

Les différents acteurs institutionnels et politiques ne cessent de proclamer la nécessité de lutter contre le racisme et la xénophobie, et d’insister sur l’urgence de mener une véritable politique d’intégration. Cela fait plus de dix ans que ce thème est débattu. Les résultats se font pourtant encore attendre, notamment pour ce qui est de la politique d’intégration des ressortissants d’États tiers établis de longue date dans un pays de l’Union européenne.


Notes

(1)Politique d’immigration et intégration sociale des immigrés dans la Communauté européenne, SEC (91) 1857 final.

(2) Commission des Communautés européennes, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les politiques d’immigration et d’asile, COM (94) 23 final, le 23 février 1994.



Article extrait du n°40

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 20 mars 2014, 21:51
URL de cette page : www.gisti.org/article3682