Édito extrait du Plein droit n° 34, avril 1997
« Zéro or not zéro ? »

Zéro or not zéro ?

ÉDITO

Pendant que nos parlementaires discutaient de la loi Debré, la Direction de la population et des migrations (DPM) rendait public son rapport annuel : Immigration et présence étrangère en France, 1995/1996. On y trouve beaucoup de chiffres qui se laissent résumer en un constat simple : le nombre des entrées permanentes d’étrangers en France a considérablement chuté au cours des années récentes, de 135 000 personnes en 1992 à 83 000 en 1994 et 68 000 en 1995. Si l’on se cantonne aux étrangers originaires des pays tiers à l’espace économique européen, on passe de 90 000 entrées en 1993 à 53 000 en 1995. Cette baisse « très marquée […] doit être rapprochée des changements intervenus en 1993 par les lois fixant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France », commente pudiquement la DPM – laquelle pourrait être plus justement rebaptisée : « Direction de la prévention des migrations ».

Car ces chiffres attestent que l’objectif de la loi Pasqua, et plus généralement de la politique gouvernementale menée depuis quelques années, n’était pas principalement de lutter contre l’immigration clandestine mais bien de tarir les flux migratoires qui, plus de vingt ans après qu’on ait décrété l’arrêt de l’immigration de main-d’œuvre, restent encore trop importants aux yeux des pouvoirs publics. Autrement dit, et bien que l’affirmation ait été corrigée aussitôt après avoir été lancée, le mot d’ordre est bien immigration zéro, et non pas immigration clandestine zéro.

Comme le souligne le document officiel lui-même, en ce qui concerne l’immigration dite à caractère permanent « la baisse des entrées est particulièrement marquée pour le regroupement familial et les réfugiés » ; et s’agissant de l’immigration dite à statut temporaire, elle affecte aussi bien les étudiants que les demandeurs d’asile. C’est bien la preuve qu’au-delà de l’immigration de main-d’œuvre, seule officiellement visée par la fermeture des frontières, c’est l’ensemble des étrangers, toutes catégories confondues, dont on s’efforce d’empêcher l’accès au territoire français et l’installation en France.

On imagine que la satisfaction est grande du côté des responsables de la politique d’immigration. Et pourtant, si on se donne la peine de lire au-delà des chiffres, il y a plutôt lieu de s’affliger. La froideur des statistiques ne doit pas masquer les situations humaines souvent difficiles, parfois dramatiques, qu’engendre cette politique.

Que disent en effet les chiffres ? Que le nombre de travailleurs salariés originaires des pays tiers admis au séjour a chuté de 26 % en 1995 par rapport à 1994, mais surtout :

  • que le regroupement familial qui concernait encore 20 000 familles et 32 000 personnes en 1993 n’a plus concerné que 13 000 familles et 20 600 personnes en 1994 (- 36 %), pour tomber à « un niveau jamais atteint », comme le dit le rapport, en 1995, avec 9 100 familles et 14 360 personnes (- 30 %) admises au séjour ;
  • que le nombre d’étrangers qui ont obtenu le statut de réfugié (15 000 en 1991) est tombé à moins de 10 000 en 1993 (- 38 % en deux ans), à 7 000 en 1994 (29 %), et à 4 700 en 1995 (- 32,5 %). Cette baisse résulte à la fois du recul du nombre des demandeurs d’asile (- 21 % entre 1994 et 1995) et d’un taux de rejet qui ne cesse, à l’inverse, d’augmenter depuis 1992 pour atteindre près de 84 % en 1995.

Les étudiants ne sont pas mieux traités et, comme on pouvait le pressentir, ce sont les étudiants d’origine africaine qui font les frais de cette politique restrictive puisque leur nombre a chuté de 20 % entre 1994 et 1995, contre une baisse de 5,7 % pour l’ensemble des étudiants. Au point qu’en 1995, les Japonais ont été plus nombreux que les Algériens à obtenir le droit de venir étudier en France !

Conclusion sans surprise : tout est mis en œuvre pour entraver la venue des étrangers en France, même si – et surtout si – ils ont des raisons légitimes de vouloir s’y établir.

Dans ces conditions, l’annonce faite un mois après la publication de ces chiffres par le ministre délégué à la Ville et à l’Intégration d’un programme ou, plus exactement, d’un catalogue de mesures éclectiques destinées à relancer la politique d’intégration a quelque chose de dérisoire. Beaucoup des mesures préconisées, au demeurant, soit ne font que prolonger des actions existantes, soit apparaissent comme des gadgets sans portée réelle (création d’une médaille de la citoyenneté, permanence téléphonique pour les victimes de discriminations…). D’autres ont une connotation inquiétante parce qu’elles reflètent et confortent l’image stéréotypée et fantasmatique de l’immigré, telle celle qui préconise l’élaboration d’un livret d’information sur les droits et les devoirs des étrangers en France et qui, comme par hasard, cite exclusivement parmi les devoirs l’égalité des hommes et des femmes et l’interdiction de la polygamie et de l’excision.

Dans ce contexte, ce n’est pas du Parti socialiste que viendra la lumière. Le rapport « Pour une nouvelle politique de l’immigration et de l’intégration », qui préfigure son programme en la matière, s’inscrit dans la tradition de la fermeture des frontières. Ses touches de couleur humanitaires ne résisteront donc pas à l’expérience, si expérience il devait y avoir. Quant à l’immigration alternée sur la base d’une négociation avec les pays d’origine – qu’il ne faudrait, paraît-il pas confondre avec des quotas –, elle correspond surtout au souci de les « mouiller » davantage dans la défense de nos intérêts supposés. Les gouvernements du Sud participeraient ainsi au départ des étrangers inutilisables, tandis que la France pourrait choisir sur place les instruments humains adaptés à ses besoins. Vivent les idées neuves !



Article extrait du n°34

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Dernier ajout : vendredi 21 mars 2014, 23:27
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